Prospective

Faire Ensemble 2030 : mobiliser la société civile française pour les ODD - contribution au livret « Les indicateurs des ODD : une boussole pour les soutenabilités ? »

Nils Pedersen
Nils Pedersen
Dans le cadre du séminaire Soutenabilités de France Stratégie « Indicateurs, critères, comptabilité des soutenabilités », le président de la Fonda Nils Pedersen a contribué au livret « Les indicateurs des ODD : une boussole pour les soutenabilités ? ». La question des indicateurs est en effet un sujet de plus en plus central. Dans cette contribution, il démontre la pertinence des ODDs comme boussole, un moyen de mobiliser tous les acteurs de la société civile.
Faire Ensemble 2030 : mobiliser la société civile française pour les ODD - contribution au livret «  Les indicateurs des ODD : une boussole pour les soutenabilités ?  »
Photo par Jametlene Reskp

Les Objectifs de développement durable portés par l’ONU « visent à éradiquer la faim et la pauvreté d’ici 2030, tout en reconnaissant que le développement humain et la préservation de notre planète vont de pair ». Loin d’être l’alpha et l’oméga d’une responsabilité collective, ils dressent un nouvel horizon vers lequel nous tourner. Ils constituent de ce fait une démarche universelle et transversale pour tous les pays, du Nord comme du Sud, et pour tous les acteurs : État, entreprises et organisations de la société civile. Avec l’ODD 17 sur les partenariats, le Faire ensemble est encouragé, comme mode d’action collective pour relever les défis de l’Agenda 2030. Pour la première fois, tous les pays de la planète se sont accordés autour d’enjeux globaux. On peut critiquer ces 17 ODD, qui se déclinent en 169 cibles, assortis de 244 indicateurs, et dont la couverture de tous les enjeux de société est imparfaite : culture, droits de l’homme, transition numérique, démocratie…, pour ne citer qu’eux, sont absents. Néanmoins, un cadre commun est posé au service de la planète, des populations, de la prospérité, de la paix et des partenariats. à lui seul, cet Agenda 2030 modifie profondément nos approches politiques, c’est-à-dire l’organisation de la vie en commun.

Cet Agenda nous offre une occasion rare de nous projeter à 10 ans, alors même que le monde vit dans une accélération permanente. La France a connu des cycles de planifications stratégiques qui lui a permis de dessiner à la fois ses ambitions économiques, mais aussi sociales et territoriales. Cette approche planificatrice obligeait à définir des priorités fortes et mesurables, décorrélées du seul cycle des élections politiques, dont les mandats ne 2 permettent pas de s’inscrire dans le temps long. Les ODD posent ainsi les questions fondamentales pour le monde de demain et proposent des trajectoires crédibles pour réussir ce pari universel.

Depuis son adoption en 2015, l’Agenda 2030 n’a évidemment en rien permis d’éviter les migrations contraintes, les catastrophes climatiques, la raréfaction des ressources naturelles, l’augmentation des températures, ni même les crises sanitaires. La pandémie du COVID-19 a néanmoins souligné de manière flagrante que seule une réponse coordonnée à l’échelle planétaire, sous l’égide de l’OMS, était à même d’apporter des solutions crédibles. L’absence de réponse de l’Europe, qui ne dispose pas de compétences communautaires en matière de santé, a également démontré l’ineptie d’approches uniquement étatiques. En cela, l’ODD n° 17 qui promeut des « partenariats efficaces entre les gouvernements, le secteur privé et la société civile » offre un cadre idéal aux acteurs associatif pour être pleinement partie-prenante de cet Agenda.

Si les ONG ont été précurseurs en matière de coopération internationale et dans la mise en œuvre des Objectifs du millénaire pour le développement, force est de constater que les associations locales ne partagent pas de cadre commun et ne parlent pas systématiquement le même langage. Alors qu’elles s’inscrivent pleinement dans la dynamique des ODD, les associations les intègrent sans s’en rendre compte, tellement ces derniers sont ancrés dans leur réalité. Or, il faut le dire et le faire savoir !

Les Objectifs de développement durable proposent ainsi un nouveau système de mesure qui ne repose pas uniquement sur le PIB, très largement obsolète. Pour une majorité d’économistes, seul est pris en compte ce qui a une « valeur ». L’entreprise intègre aujourd’hui des coûts de production et d’achats. Elle n’intègre que rarement dans sa propre chaîne de valeur, ses coûts sociaux (stress lié au travail, bas salaires, absence de formation…) et encore moins ses coûts environnementaux. La destruction des écosystèmes écologiques ou la paupérisation des salariés ne sont jamais intégrées dans les bilans comptables. Parallèlement, les innovations sociales, le vivre ensemble ou l’émancipation des filles – par exemple – ne sont pas valorisés dans les indicateurs de performances économiques. Bien qu’universels, les ODD sont mis en œuvre en fonction des particularités nationales et territoriales. Les résultats sont différents d’un pays à l’autre ; les ambitions seront en revanche partagées. C’est là toute la force de l’Agenda 2030. Il impose une cohérence dans l’action publique ; la mise en place de feuille de route nationale exige des arbitrages entre des injonctions de court-terme et des perspectives de long-terme.

Le défi est de taille pour la France, construite au fil des décennies sur la base d’un État jacobin et pyramidal, dans un emboitement d’institutions dont la matrice commune est la relation tutélaire entre un dominant - qui exerce un pouvoir légitime - et un dominé - supposé bénéficiaire des politiques publiques mises en œuvre. Chacun en conviendra, cette relation verticale ne fonctionne plus. La nouvelle matrice de l’action collective est l’associativité : c’est le lien social et la mise en commun qui désormais conditionnent la pérennité des activités économiques et l’efficacité des politiques publiques.

Notre pays compte plus d’1,5 million d’associations, 22 millions de bénévoles, 1 850 000 salariés (7% de l’emploi total). Le secteur associatif génère plus de 113 milliards d’euros de ressources (3,3% du PIB). À elles seules, les associations gèrent la quasi-totalité des structures d’accueil d’urgence, 1 lit d’hôpital sur 10, les trois-quarts de l’hébergement médicosocial privé (crèches, maisons de retraites, foyers de jeunes travailleurs…), la quasi-totalité des activités périscolaires, les clubs sportifs et de loisirs…. Proches du terrain, à l’écoute des besoins émergents, elles ont acquis des savoir-faire et une légitimité uniques dans les résolutions des problèmes sociaux et environnementaux. La crise du COVID-19 a agi comme un révélateur : l’aide alimentaire, l’accompagnement médico-social, la médiation dans les quartiers, l’aide scolaire…. Autant d’actions indispensables mises en œuvre par les 3 associations de terrain. Cette crise a redonné une nouvelle valeur à une action humaine non marchande, et pourtant essentielle à notre cohésion sociale. Elle a démontré qu’une Nation sans société civile organisée et reconnue était un colosse aux pieds d’argile.

L’atteinte des ODD reposera ainsi sur une pleine intégration des acteurs associatifs. Loin d’être des supplétifs des politiques publiques, les associations sont pleinement légitimes pour apporter des solutions nouvelles aux grands défis sociaux et environnementaux qui sont devant nous. Les acteurs de l’ESS ont eu l’occasion d’exprimer leurs priorités lors de la construction de la feuille de route nationale des ODD. Dans le cadre d’une série d’ateliers pilotés par la Fonda pour le Haut-Commissariat à l’ESS et à l’innovation sociale, les représentants des grandes familles de l’ESS ont dressé les grandes lignes d’un futur souhaitable :

  • une société inclusive qui ne laisse personne de côté (la solidarité est une valeur cardinale de l’ESS) ;
  • une transition vers une économie durable : une société équitable, tant au niveau des richesses, des savoirs que des droits ;
  • un secteur de l’ESS exemplaire et moteur de la transition écologique, qui intègre l’économie des ressources et la maîtrise des impacts environnementaux dès la conception des produits et des services offerts.
  • une société de coopérations, entre individus et entre organisations : coopérations nécessairement accompagnées et ancrées dans les territoires.

La France dispose sans nul doute d’un appareil statistique incomparable. Mais les indicateurs de suivi des 17 Objectifs de développement durable ne peuvent que s’apprécier dans le temps long. Ils provoquent une dynamique de Faire ensemble dans laquelle des communautés d’action se constituent pour résoudre des défis collectifs et partagés. Ils nous offrent une grammaire des civilisations pour conjuguer l'innovation sociale au futur durable. Mais le Faire ensemble ne se décrète pas ! Il faut l’accompagner afin qu’il s’ancre dans les réalités territoriales. Au-delà d’un langage partagé, il requière une ingénierie et une gouvernance partagée : des compétences clés encore nouvelles. Des moyens doivent ainsi être fléchés pour faire monter en compétences l’ensemble des acteurs de l’Agenda 2030. L’État et la puissance publique ont un fort rôle en la matière pour :

  • donner aux communautés d’action toutes les chances de produire des changements significatifs, avoir plus d’impact ensemble que si chacun continue à agir isolément ;
  • assurer «l’emboîtement des échelles d’action », c’est-à-dire la mise en cohérence – et non la mise en concurrence, des acteurs.

Ce qui se dessine est une puissance publique qui ose déléguer, en s’appuyant sur la société civile organisée ; l’État a ce devoir d’assurer le rôle d’intégrateur qui permettra le plein déploiement de l’Agenda 2030.

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