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Le rôle des organisations de la société civile
Charlotte Debray : Les échanges montrent que les organisations de la société civile auront un rôle clé à jouer à l’horizon 2040. Quels sont les sujets clés pour elles ?
Claire Thoury : Selon le rapport annuel du Conseil économique, social et environnemental (CESE) sur l’état de la France, 76 % des personnes interrogées estiment que les femmes et les hommes politiques sont déconnectés des réalités vécues par les citoyens et les citoyennes1 . Cela alimente la défiance à l’égard des représentants et de la démocratie.
Les Français ont besoin de davantage d’écoute et de proximité du personnel politique par rapport à leurs difficultés du quotidien, d’autant plus qu’elles augmentent. Par exemple, 58 % des Français éprouvent des difficultés d’accès au logement, voire 84 % pour l’outre-mer.
Dans un tel contexte, les corps intermédiaires jouent un rôle clé. Ils sont à la manœuvre dans une bataille du réel. Autrement dit, ils doivent être en capacité de retranscrire la réalité du vécu des individus de façon très immédiate et territoriale. En cas d’augmentation du prix du carburant, le quotidien ne change pas énormément pour un Parisien qui n’utilise sa voiture qu’une fois par mois pour partir en week-end. La réalité est tout autre si vous habitez à la campagne et que la voiture est essentielle dans tous les aspects de la vie, notamment pour travailler.
Les corps intermédiaires sont à la manœuvre dans une bataille du réel.
Nous, corps intermédiaires, avons donc un enjeu à représenter la diversité de ces vécus et problèmes du quotidien, ainsi qu’à nous en faire l’écho. Il s’agit d’une forme de démocratie d’exercice du quotidien qui se déroule au sein de nos organisations. Elle est un élément de réponse à l’aspiration des citoyens de proximité et de représentation.
Et quel rôle pour le Mouvement associatif ?
Claire Thoury : L’une des ambitions du Mouvement associatif est de réenchanter la démocratie et le politique dans le sens noble. Il vise à porter un projet commun au service de l’intérêt général pour les citoyens, quelle que soit la place de chacun dans la société (citoyens, corps intermédiaires, politiques, institutions, etc.).
Le Mouvement associatif est particulièrement attentif aux messages de souffrance et de défaut de bonne représentation.
Qu’en est-il pour la CFDT, première organisation syndicale de France ?
Olivier Guivarch : La CFDT est historiquement attachée à la défense et à la production de nouveaux droits pour les salariés, tout en s’engageant pour la défense de l’intérêt général en coopération avec les associations, les grandes institutions démocratiques sociales, l’État et les décideurs politiques. C’est indispensable, car la société est confrontée à de grandes transformations, notamment écologiques et technologiques, qui conduiront à des transformations économiques. La CFDT souhaite relever ces défis en coopérant avec ces acteurs.
Dans un contexte de fragmentation de la société, la CFDT s’engage en faveur du vivre ensemble et du travailler ensemble. À ce titre, elle s’intéresse à des thèmes variés, allant de la place des bénévoles vis-à-vis des salariés dans les associations, au temps que les actifs peuvent consacrer au bénévolat, en passant par les apports de la vie professionnelle au bénévolat, etc.
Comme beaucoup d’organisations, la CFDT s’interroge sur elle-même et la notion d’engagement. Une enquête « Parlons engagement » a été initiée en 2022 par la CFDT sur l’engagement, dont le syndicalisme. Elle a recueilli 26 000 réponses. L’amélioration de la vie au travail, l’écoute, la prise en compte des aspirations et de l’autonomie font partie des principales revendications, auxquelles les entreprises répondent différemment selon leur taille et leur capacité à se projeter.
Le Pacte du pouvoir de vivre
Vos réponses montrent l’urgence à coopérer pour répondre aux problématiques contemporaines. Pourquoi avoir lancé le Pacte du pouvoir de vivre ?
Claire Thoury : En 2018, lors de la crise des Gilets jaunes, dix-neuf organisations de la société civile2 , dont la CFDT et le Mouvement associatif, observent la nécessité de se rassembler pour contribuer à faire évoluer le débat public sur les enjeux majeurs de société. Elles souhaitent aussi construire un rapport de force face à des décideurs politiques qui peinaient à les écouter et à les entendre. Ensemble, elles fondent le Pacte du pouvoir de vivre, qui est une organisation en propre, et formulent 66 propositions communes pour répondre à l’urgence sociale et écologique3 .
Et aujourd’hui, quelles sont les réalisations du Pacte ?
Claire Thoury : Aujourd’hui, le Pacte rassemble 63 organisations. En travaillant ensemble, nos structures croisent leurs pratiques, influencent les politiques et construisent un projet de société qu’elles ne pourraient pas mener seules. Cette expérience est enrichissante, car elle propose des espaces de dialogue entre des organisations qui n’ont pas l’habitude de faire ainsi et permettent de bâtir des compromis.
Olivier Guivarch : La question des compromis est centrale. Il n’est pas toujours évident de se mettre d’accord entre organisations sur des sujets complexes. Après cinq ans d’existence, le Pacte a notamment formulé à plusieurs reprises des mesures communes lors des municipales ou la fin du confinement, il a actualisé les propositions et a lancé l’École du pouvoir de vivre.
Plusieurs questions se posent à la jonction entre les politiques publiques, le rapport au politique et à l’engagement.
Par exemple, comment peut-on peser davantage sur les politiques publiques ? Quel engagement des organisations au sein du Pacte ?
Montée des idées d’extrême droite
Au cours des travaux de prospective de la Fonda, la montée des idées d’extrême droite a été identifiée comme un risque pour l’avenir. Comment la CFDT se positionne-t-elle ?
Olivier Guivarch : La CFDT a toujours eu un positionnement très clair par rapport à l’extrême droite. Elle appelait déjà à voter contre en 2002. Nous nous mobilisons face au danger pour déployer un plan d’action de lutte contre les idées d’extrême droite, d’abord auprès de nos militants et de nos organisations fédératives, pour toucher ensuite nos adhérents, les salariés et les agents.
La lutte contre l’extrême droite est une préoccupation majeure. Le risque démocratique pour notre pays, nos institutions démocratiques, notre organisation syndicale, et pour tous nos concitoyens est bien présent : stigmatisation, discrimination, plus d’autoritarisme et moins de libertés.
Comment les organisations de la société civile peuvent-elles lutter face à l’extrême droite ?
Olivier Guivarch : La compréhension des ressorts électoraux est particulièrement complexe. Les organisations de la société civile doivent être dans une posture d’écoute pour faire remonter les préoccupations des citoyens. Faire barrage à l’extrême droite implique de proposer des solutions qui répondent aux problèmes des citoyens. Avec le Pacte, nous proposons un autre projet de société, ancré dans des valeurs humanistes.
Claire Thoury : Grâce à la dynamique collective du Pacte, plusieurs membres ont pris conscience qu’ils étaient à la tête d’organisations de valeurs, comme le martelait Laurent Berger, ancien Secrétaire général de la CFDT. Et qu’à ce titre, ils ont une légitimité à se positionner dans le débat public, notamment lors des élections. Ainsi, en 2022, le Mouvement associatif s’est engagé très fortement contre l’extrême droite. En 2022, il a appelé à voter pour Emmanuel Macron face à Marine Le Pen.
Dans ce contexte de montée de l’extrême droite, il est nécessaire de repenser le continuum de l’engagement, et de reconstruire un récit politique, solides sur nos valeurs. Cela pourrait prendre la forme d’espaces de dialogue et de désaccord organisés. Ils permettraient aux uns et aux autres de s’exprimer pour construire, avec nuance, un chemin commun pour l’avenir.
Pistes de réflexion identifiées par les participants à l’Université
- Comment s’emparer des enjeux stratégiques énoncés lors de l’Université ?
- Doit-on parler de la montée des extrêmes ou seulement de l’extrême-droite ?
- Comment créer des espaces au service de cette vitalité démocratique ? Quel rôle pour les outils de l’éducation populaire ?
- Quid du scénario du désengagement ?
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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Yannick Blanc, Charlotte Debray, Olivier Guivarch, Anna Maheu et Claire Thoury. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
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- 1Conseil économique, social et environnemental (CESE), Sortir de la crise démocratique, Rapport annuel sur l’état de la France 2024, octobre 2024, [en ligne].
- 2Le Pacte du pouvoir de vivre est à l’initiative de 19 organisations de la société civile : ATD Quart Monde, la Cfdt, la CFTC, la Cimade, la FAGE, le Pacte civique, la Fondation Abbé Pierre, le Mouvement associatif, la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, l’Unsa, France nature environnement, l’ Uniopss, France Terre d’Asile, les Francas, humanité et biodiversité, la Ligue de l’enseignement, la Mutualité française, le Réseau action climat France et le Secours catholique — Caritas France.
- 3Pacte du pouvoir de vivre, 66 propositions pour donner à chacun le pouvoir de vivre, l’urgence d’un pacte social et écologique, mars 2019, [en ligne].