Prospective Enjeux sociétaux

ODD : leviers pour des partenariats stratégiques

Tribune Fonda N°238 - ODD : quelles alliances pour demain ? - Juin 2018
La Fonda
Et Bastien Engelbach, Marianne Eshet, Fella Imalhayene, Philippe Jahshan, Alexandre Touzet, Alain Grozelier
L’objectif de développement durable (ODD) n°17 « Partenariats pour la réalisation des objectifs » souligne le défi que représente la construction d’alliances entre une pluralité d’acteurs, étatiques, privés lucratifs et associatifs.
ODD : leviers pour des partenariats stratégiques

La seconde table-ronde de l’université Faire ensemble 2030, animée par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda, a réuni Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF, Fella Imalhayene, déléguée générale du Global Compact France, Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif et de Coordination Sud et Alexandre Touzet, président  de Notre Village et maire de Saint-Yon dans l’Essonne. 

Objectif : comprendre comment se saisir de la grille de lecture partagée que proposent les Objectifs de développement durable (ODD) pour structurer des alliances et construire des partenariats entre différents acteurs. La synthèse des échanges est rédigée par Alain Grozelier, bénévole à la Fonda.
 



Au-delà de l’obligation de répondre à des indicateurs, comment les ODD peuvent- ils être intégrés comme projets d’avenir et quel renouveau de l’engagement citoyen impliquent-ils ?
 

La collaboration avec les entreprises dans le cadre du Global Compact


Fella Imalhayene nous explique pourquoi et comment le Global Compact s’est saisi des ODD. Ce mouvement rassemble 10 000 entreprises dans le monde (1 200 en France), engagées en faveur du développement durable sous l’égide de l’Onu. Il lui revient la charge d’expliciter les ODD aux entreprises, aux côtés d’autres acteurs.

Pour appeler le secteur privé à contribuer aux ODD, l’un des axes retenus est de parler d’opportunités d’affaires car le financement des ODD ne peut reposer sur les seuls États et ils représentent aussi un marché potentiel important pour  les entreprises, en particulier en ce qui concerne l’alimentation, la ville, l’énergie et la santé.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Les entreprises françaises réalisent des performances plutôt meilleures que leurs homologues dans le monde et globalement, les entreprises contribuent le plus aux objectifs en rapport avec leur quotidien, principalement l’ODD n°8 sur le travail décent, et l’ODD n°5 sur l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes. Un des écueils, cependant, est l’absence de prise en compte des ODD dans leur ensemble. Les entreprises s’approprient les ODD à quatre niveaux.

Au premier, elles font le lien entre les démarches RSE et les ODD, comme aujourd’hui la majorité des entreprises  du CAC 40 qui les intègrent dans leurs rapports extra-financiers. À cette étape, elles peuvent se familiariser avec les ODD mais ce n’est pas encore suffisant.

Au second niveau, les entreprises établissent une hiérarchisation entre ces objectifs en fonction de leurs capacités à produire des externalités positives et à réduire les négatives. Cela se réalise dans le cadre d’un dialogue avec les parties prenantes sur la base d’un arbitrage entre leurs priorités respectives. C’est à cette étape cruciale que les ODD jouent leur rôle.

Au troisième niveau, les entreprises vont labelliser et créer des produits qui contribuent aux ODD. Ainsi, des banques vont conditionner l’octroi de prêts à la contribution aux ODD et se fixer des objectifs quantitatifs en termes de financement de secteurs s’y rapportant, comme l’agriculture durable. Enfin, au dernier niveau, les entreprises transforment complètement leur business model afin qu’il participe pleinement à la réalisation des ODD. C’est le paradigme vers lequel on tend.

Mais que faire face au risque d’ODD-washing, c’est-à-dire, en comparaison avec le green-washing, le risque qu’ils ne deviennent qu’une simple question d’affichage et de communication, permettant de mettre en avant certains résultats, pour masquer des pratiques moins vertueuses ?

Le Global Compact est un texte qui se base sur dix principes qui concernent les droits humains, le droit du travail, le respect de l’environnement, la lutte contre la corruption. Le message, rappelle Fella Imalhayene, est de dire aux entreprises que ces principes, de même que les démarches RSE mises en place, restent le socle et les ODD des objectifs à atteindre.
 

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Table ronde « Les ODD: un levier pour des partenariats stratégiques ? », avec Philippe Jahshan, président du Mouvement associatif et de Coordination Sud, Alexandre Touzet président de Notre Village, Fella Imalhayene, déléguée générale de Global Compact France et ​​Marianne Eshet, déléguée générale de la Fondation SNCF. Une table ronde animée par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


L'exemple de la SNCF


Selon Marianne Eshet, la SNCF contribue activement aux ODD en tant qu’entreprise adhérente du Global Compact depuis 2003. Depuis 2016, le rapport RSE (responsabilité sociale de l’entreprise)  du groupe satisfait à peu près à tous les indicateurs et il s’est réapproprié les ODD jusqu’au second niveau suscité, en parvenant maintenant au troisième.

La Fondation SNCF place le vivre-ensemble et l’action collective au cœur de son engagement. Ainsi, ses domaines d’intervention correspondent à la plupart des ODD comme l’éducation, la culture et la solidarité. Elle dispose, comme l’ensemble du groupe, d’un certain nombre de leviers d’actions.

L’ancrage territorial de l’entreprise lui permet d’avoir des correspondants dans chaque région pour être au plus près des réalités locales, pour diagnostiquer et piloter les réponses aux enjeux sociaux locaux. Il y a cinq ans, a été mis en place un dispositif de mécénat de compétences qui permet aux salariés de s’engager sur leur temps de travail dans des associations. La co-construction est centrale, que ce soit en interne, avec les filières ou avec les salariés.

Deux exemples de co-construction illustrent ses actions. Le premier concerne le décrochage scolaire. Onze entreprises, sous l’impulsion de l’Admical, ont décidé de créer une association, l’Alliance pour l’éducation, en mettant en avant la nécessité d’une approche globale du jeune en pré-décrochage. Elle est allée rencontrer les associations et un travail commun a été impulsé. Ainsi les associations et les entreprises collaborent, avec le soutien des pouvoirs publics, avec la volonté de partager des objectifs, une expérience, de mutualiser et réinventer les pratiques en partant de l’existant.

Le second exemple, c’est l’appel à projets « Faire ensemble avec nos différences » lancé, il y a cinq ans, avec le Réseau national des maisons d’associations (RNMA). Cet appel à projets soutient des initiatives portées collectivement en leur offrant un cadre commun. Ainsi, 504 projets ont été co-construits et accompagnés par 1 390 associations depuis cinq ans et il est possible d’aller plus loin si l’on poursuit dans une logique d’alliances.
 

La collaboration des collectivités locales


L’association présidée par Alexandre Touzet, Notre Village, s’appuie sur la mobilisation des différents acteurs d’un territoire pour en assurer le développement. Sa philosophie est de considérer que c’est au travers des ressources du territoire, et donc des partenariats, qu’il est possible d’agir, pour constituer soit des projets de territoires, soit des « Agenda 21 », en mobilisant toutes les ressources locales, de la boulangerie bar-tabac à l’entreprise industrielle des environs.

Notre Village s’est constitué autour de la mise en œuvre de l’Agenda 21, dans la même logique que celle proposée par les ODD, logique transversale particulièrement utile pour faire revenir la question du développement durable sur les territoires. Alexandre Touzet témoigne :
« On est dans une logique de continuité, mais l’intérêt des ODD est de revenir à la transversalité. On sort d’une période où l’on mettait l’accent de manière assez exclusive sur la biodiversité et l’efficacité énergétique alors que le développement durable ne peut faire l’objet d’approches trop compartimentées ».

Notre Village établit un lien entre des activités locales et des objectifs nationaux et internationaux. Or, les ODD sont un soutien aux élus locaux pour qu’ils ne se battent pas seuls, car les demandes des citoyens au niveau local portent souvent sur des sujets tels que l’état des routes, les places en crèches, etc, mais rarement sur les actions des communes en faveur du développement durable.

 

La construction d'alliances élargies

Comment les ODD peuvent-ils être susceptibles de susciter des alliances et contribuer à faire converger les actions, les acteurs et les politiques ? Philippe Jahshan souligne tout d’abord la nécessité des ODD. En effet, ce que dit l’Agenda 2030 c’est que nous ne pourrons pas continuer les trente prochaines années comme les trente précédentes, avec certes une croissance économique importante et une réduction mondiale de la pauvreté, mais aussi une progression insoutenable des inégalités, un affaiblissement des classes moyennes en Occident et une dégradation importante de l’environnement.

L’agenda des ODD pose le défi d’une croissance redistributive, qui réduise la pauvreté et les inégalités simultanément et qui soit compatible avec l’environnement. Il va falloir trouver des points de convergence entre tous les acteurs pour réussir ce changement. L’ODD n°17 pose la question d’une meilleure cohérence et transversalité dans les politiques publiques ainsi que d’une meilleure collaboration avec les acteurs non étatiques. Il représente aussi un défi, pour les acteurs que nous sommes, non gouvernementaux, privés lucratifs, associatifs ou autres, de trouver des points de convergence. L’enjeu est de créer une majorité de mouvement pour que cet Agenda 2030 devienne un langage commun et dessine une perspective politique à 15 ans vers laquelle nous devons tous nous diriger. C’est pourquoi le Mouvement Associatif et Coordination Sud se sont engagés dans cette démarche, mais les associations françaises devraient se mobiliser davantage. Plus que d’être force de plaidoyer sur les ODD, il va falloir que chacun se questionne sur ses pratiques et sorte de son environnement immédiat pour nouer des alliances.

Les Objectifs de développement durable, pour les entreprises, constituent un langage commun mais il reste beaucoup de conditions avant d’en faire des leviers de partenariats stratégiques, nous dit Fella Imalhayene. En interne, les engagements se concrétisent sous forme d’actions de reporting mais on voit moins d’actions qui vont porter sur la mobilisation de l’ensemble des collaborateurs, alors même que les salariés réagissent  très bien aux propositions qui leur sont faites. Dans leurs relations avec les autres acteurs, en France, les entreprises ont fait un bon travail d’appropriation mais leurs partenaires ne les interpellent pas encore sur ces enjeux. Or, l’objectif de l’université Faire ensemble 2030 est de commencer à monter tous en compétences pour comprendre les ODD, ses 169 cibles, pour s’adresser aux entreprises et après construire ces partenariats.

En réponse à une question portant sur la pertinence des ODD comme outil de mobilisation sur des projets de déve loppement locaux, Alexandre Touzet souligne que les élus doivent faire face à une multitude de demandes immédiates et qu’ils ne peuvent s’en sortir sans un fil conducteur entre toutes ces sollicitations individuelles et un objectif. Les ODD peuvent être utiles pour faire converger vers un projet collectif, dans une dimension politique, au sens noble du terme, par rapport à toutes ces demandes particulières.

 

Projets d'avenir et renouvellement de l'engagement citoyen


Philippe Jahshan souligne que les ODD, pris sous l’angle du reporting, doivent faire l’objet d’une projection vers l’avenir. Il ne s’agit pas seulement de satisfaire à des indicateurs de développement durable, même s’ils permettent de parler un langage commun et constituent un outil de vérification de l’atteinte des objectifs. Mais au-delà, il importe de faire en sorte que le développement durable soit intégré dans les stratégies des acteurs dans le cadre de leurs projets.

Ainsi, quand l’Agence française de développement (AFD) analyse l’ensemble des projets selon l’évaluation de leurs effets externes environnementaux et sociaux, cela ne signifie pas nécessairement qu’ils répondent aux impératifs de développement durable. La partie planification est la plus ambitieuse et la plus difficile, c’est pour cela que beaucoup ont plaidé - et obtenu - que le gouvernement se dote d’une feuille de route le 8 février 2018.

Enfin, se pose la question du renouvellement de l’engagement citoyen et du bénévolat pour permettre la pleine mobilisation des associations dans les démarches de développement durable. Alexandre Touzet constate un épuisement du secteur associatif dans les domaines sportifs, culturels et éducatifs, lié au vieillissement du bénévolat, au multi-engagement et au rythme de la vie en Île-de-France. Il faut rendre soutenable le bénévolat dans un cadre de vie qui a tendance à se détériorer et accompagner les associations pour le faire perdurer, sinon, il n’est pas certain que le tissu associatif puisse se maintenir.

Philippe Jahshan souligne que le bénévolat est un sujet qui mobilise beaucoup au Mouvement Associatif car nous sommes dans une transformation des modes d’engagements. Le monde associatif doit savoir se renouveler, faire place aux bénévoles dans ses projets, sa gouvernance, ses modes d’action et répondre aux nouvelles envies et aspirations de l’engagement d’aujourd’hui qui ne s’inscrivent pas forcément dans la durée. Or, il est important de susciter l’envie de s’engager sur le long terme et s’inscrire dans des logiques de connexion car les associations assurent le lien social et la permanence d’une économie non lucrative dont le pays et le développement durable ont besoin.

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