Organisée par la Fonda avec le groupe Domplus et le Numa Paris, la rencontre réunissait Claire Malzac (directrice générale adjointe de DhomPlus), Sophia Lakhdar (présidente de l'association Bio Consom'acteurs) et Hugues Ferrebœuf (chef de projet « Lean ICT » pour The Shift Project). La rencontre était animée par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda. La synthèse des échanges est proposée par Claire Rothiot, chargée de communication de la Fonda.
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Poursuivant son exploration de l’usage des données numériques par et pour les citoyens et collectifs, la Fonda a choisi de consacrer la dernière rencontre de son cycle Fond’après 2018 aux enjeux d’une consommation et d’une production responsables, qu’il soit question de biens matériels ou de biens immatériels. Reliés à l’Objectif de développement durable (ODD) n°12, ces enjeux concernent l’emploi des ressources disponibles, l’amélioration de la qualité de l’information permettant d’adopter des procédés et comportements éclairés et responsables, ainsi que la notion de qualité de vie.
Dans ce cadre, les données numériques peuvent apporter des connaissances plus fines sur nos manières de produire et consommer, ainsi que sur leur impact sur l’environnement. Avisés, nous pouvons adapter nos comportement individuels et collectifs, développer de nouvelles solutions plus responsables, etc. Mais s’il apporte des leviers formidables en matière d’information et de conscientisation, le numérique soulève à son tour la question de son impact. Le numérique est lui-même objet d’une consommation qui fait appel à des ressources énergétiques croissantes, au même titre que la production de ses supports…
Pour aborder ces questions, les trois intervenants ont partagé leurs retours d’expérience et de nombreux exemples.
Proposer des services durables et anticiper les besoins
La société Dhomplus1
travaille comme intermédiaire en marque blanche pour différentes mutuelles et groupes de protection sociale : elle propose un service de téléassistance à destination des sociétaires, bénéficiaires ou salariés de ces organisations. Les conseillers Dhomplus accompagnent ces personnes dans leurs démarches de santé, sécurité au travail et prévention des risques. La société a fait de l’exploitation des données qu’elle recueille et qu’elle croise2
un levier pour proposer un accompagnement toujours plus adapté aux besoins des personnes. Dhomplus s’est ainsi dotée d’un algorithme puissant et de data scientists afin d’analyser différents types d’informations et produire des réponses de qualité. En cela, la société produit de la connaissance de manière responsable et développe un service durable auprès de ses publics en situation de fragilité.
Réussir à mieux agir en prévention sur les questions sociales ou de santé est devenu un défi majeur aujourd’hui. Les nouvelles technologies numériques ont participé à l’évolution des pratiques et des métiers, de manière à la fois pertinente et quantitative. Claire Malzac témoigne : « L’analyse des données permet de mieux comprendre les besoins et les préoccupations quotidiennes des personnes3 . Le diagnostic est plus fin et permet d’adapter l’accompagnement. Les bénéficiaires sont ainsi plus armés face à leurs difficultés ».
Concrètement, cet accompagnement individualisé vise à proposer aux personnes un « parcours » pour les aider à progresser dans leur situation. Dhomplus a ainsi créé de nombreux contenus numériques préventifs ou pédagogiques : questionnaires d’auto-diagnostic, webinars, fiches-conseils… En parallèle, les conseillers restent en contact par téléphone avec les personnes et organisent parfois, en lien avec des acteurs de proximité, des temps de rencontre.
La conjugaison d’une relation humaine et de l’interactivité numérique permet de développer la pertinence des informations récoltées et de trouver les meilleures solutions pour accompagner la personne. Cette connaissance accrue des personnes et de leurs besoins a d’ailleurs donné aux conseillers Dhomplus un sens plus fort à leur travail, et renforcé leur engagement et leur implication personnelle. Il a cependant également fallu créer des dispositifs d’écoute pour aider les conseillers faisant face à des situations difficiles à gérer émotionnellement.
Devenir consom’acteurs
Comment encourager les comportements de consommation vertueux ? En quoi le numérique peut-il renforcer notre capacité à agir de manière responsable ?
Le concept de « consom’action », porté et diffusé par Bio Consom’acteurs4 , recouvre préoccupations écologiques et bien-être individuel. Il s’agit d’adopter des modes de consommations responsables, à la fois respectueux de l’environnement et nous aidant à préserver notre santé ainsi que celle des personnes qui nous entourent.
Pour amener les citoyens à agir de manière responsable, plusieurs leviers existent :
- informer et sensibiliser (sur la manière dont sont produits, transformés et acheminés les aliments, sur leur composition, sur la gestion des déchets…) ;
- réaliser des actions de soutien et de défense des consommateurs, pour obliger les industriels à préserver la santé du public ;
- promouvoir l’agriculture et les process biologiques.
Le numérique offre aujourd’hui la possibilité de mieux connaître la composition des produits de consommation courante, leurs modes de production, de transformation, de livraison… ainsi que les impacts qui en découlent. Ainsi, les consommateurs peuvent faire leur choix de manière éclairée. De nombreuses plateformes et applications ont récemment vu le jour pour aider les citoyens dans leurs achats, avec des approches et des fonctionnalités variables : Yuka, Siga, Mylabel, BuyOrNot, Vrac and roll, Shopopop, Veggup…
Sur le volet de l’alimentation, Bio Consom’acteurs a de son côté impulsé un projet de charte éthique qui vise à rapprocher les différents acteurs ─ producteurs, commerçants de grandes et moyennes surfaces (GMS), consommateurs ─ autour de valeurs communes. Une application sortira en 2019 dans le prolongement de cette charte. Elle permettra, en s’adossant aux données fournies par d’autres plateformes déjà existantes, de situer les différents acteurs sur une échelle éthique, par le biais de critères reprenant les dimensions écologiques, sanitaires et sociales qui conduisent à une production et une consommation durable. Les différents producteurs et GMS seront cartographiés selon les efforts qu’ils réalisent. L’application permettra ainsi de pouvoir comparer les pratiques, d’inciter les acteurs à aller plus loin dans leur démarche RSE5 et de choisir où faire ses courses.
On le voit avec ces exemples, le numérique et l’analyse des données est un véritable levier de pouvoir d’agir pour les citoyens consommateurs et les collectifs qui les défendent.
Limiter sa consommation numérique
Le « numérique » en lui-même est une chose que l’on consomme. Le rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique » réalisé par The Shift Project démontre que la surconsommation numérique a des effets néfastes sur l’environnement et notamment en termes d’émission de gaz à effet de serre. Et face au développement exponentiel des usages numériques, il devient urgent d’adapter nos modes de consommation pour en réduire l’impact écologique.
Achat d’équipements numériques. Le nombre de terminaux numériques dans le monde devrait passer de 17 milliards en 2017 à 30 milliards en 2022. La progression du nombre de smartphones vendus est un facteur important de cette croissance : de 5 milliards aujourd’hui à 7,5 milliards dans quatre ans. Bien sûr, le taux d’équipement est très hétérogène selon les pays du monde. On compte ainsi deux équipements numériques par personne au niveau mondial, alors qu’il y en a quatorze par personne aux États-Unis. Globalement, dans les pays de l’OCDE, le taux de croissance par an des ventes d’équipements domestiques connectés est de 67% par an ! Cette progression est facilitée par les industriels, qui rendent difficile ou peu avantageuse la réparation des matériels (batteries non extractibles, arguments marketing…) et encouragent l’achat de nouveaux produits.
Usage des équipements et d’internet. Prédominante à tous les autres usages, la consommation de vidéos représente 70 % du trafic aujourd’hui, et devrait atteindre 80 à 85 % en 2022. Les jeux en ligne montent en puissance également. En bref, 90 % du trafic internet correspond à des usages de loisir. Le partage de fichiers, la consommation électrique d’un smartphone, n’ont pas d’impact majeur : le problème vient de l’usage de bande passante.
Comment, pour un individu, évaluer ce que le numérique que l’on consomme représente et en comprendre les impacts ? Le numérique est souvent considéré comme moins polluant car « immatériel ». Il est une alternative au papier, au déplacement, au transport…
En l’occurrence, pour produire des équipements et faire fonctionner les services numériques, il faut des infrastructures, des réseaux, des data centers… et donc énormément d’énergie. La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre mondiales a augmenté de moitié depuis 2013, passant de 2,5 % à 3,7 %. L’empreinte énergétique directe du numérique, incluant l'énergie de fabrication et d'utilisation des équipements progresse de 9 % par an. Un taux qui pourrait passer à 14 % entre 2020 et 2025. La tendance à la surconsommation numérique n’est pas soutenable au regard de l’approvisionnement en énergie et en matériaux qu’elle requiert. Elle nous met face à un problème écologique mondial, même si cette surconsommation est le fait des pays développés.
L’industrie numérique agit à l’encontre des objectifs de découplage énergétique et climatique du PIB fixés par l’Accord de Paris. Les impacts constatés sont exactement à l’opposé de ceux qu’on attribue généralement au numérique, à savoir dématérialiser l'économie6 . Il est nécessaire de parvenir à encadrer le phénomène.
The Shift Project a imaginé plusieurs scénarios, le plus probable étant que la croissance du parc informatique et du trafic de données continue au même rythme sans que cela puisse être compensé par des progrès en matière d’efficacité énergétique.
Un autre scénario « de sobriété » est envisageable : il ne permettrait pas de réduire l’empreinte environnementale du numérique mais d’éviter son explosion. Il consiste notamment « à acheter les équipements les moins puissants possibles, à les changer le moins souvent possible, et à réduire les usages énergivores superflus »7 . Il s’agit également « d’accélérer la prise de conscience des impacts environnementaux du numérique » dans les entreprises, organisations publiques, au sein du grand public… Plus globalement, la sobriété numérique doit être portée par un projet politique fort. The Shift Project met en avant dans son rapport des leviers concrets pour encourager la conscientisation et agir différemment, à titre individuel ou collectif.
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En conclusion, la responsabilité commence dès lors qu’on saisit la conséquence de ces actes. La « consom’action » semble être une solution pour favoriser le développement de pratiques responsables, mais implique d’être informé sur l’impact de ses actions et de pouvoir effectuer des choix éclairés.
Si des solutions numériques, par l’analyse de données et la transparence qu’elles offrent sur les produits, contribuent à l’adoption de comportements plus responsables, il ne faut pas oublier que la consommation numérique devrait, elle aussi, se faire de manière raisonnée.
- 1Une des sociétés du groupe Domplus.
- 2Les données recueillies par les conseillers sur les personnes accompagnées sont croisées, par exemple, avec les données de leur environnement territorial (accès aux soins, présence de médecins…) et des chiffres fournis par diverses études en matière de santé et de prévention. Conformément à la loi RGPD, les données personnelles sont fournies avec le consentement et protégées par Dhomplus (sécurisation, anonymisation).
- 3Par exemple, des problématiques de santé, financières, d’isolement, d’habitat précaire et difficultés rencontrées par leurs proches aidants…
- 4 Association de consommateurs dont l’objet est de promouvoir la production en agriculture biologique et la consommation de produits bios. L’association touche près de 60 000 personnes, elle cherche à conscientiser les citoyens dans leurs pratiques de consommation.
- 5Responsabilité sociale et environnementale.
- 6« D’une manière générale, la contribution nette du numérique à la réduction de l'impact environnemental reste à démontrer, secteur par secteur, en prenant garde aux nombreux effets rebond. » Extrait du rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique », octobre 2018. Résumé aux décideurs, accessible sur theshiftproject.org/lean-ict/
- 7Rapport « Lean ICT – Pour une sobriété numérique », octobre 2018.