Prospective Enjeux sociétaux

Fiche ODD n°12 - Consommation et production responsables

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Mateusz Evesque
Mateusz Evesque
Présentation et approche prospective de l'Objectif de développement durable n°12. Cette fiche est publiée dans le supplément au numéro 237 de la Tribune Fonda « Faire des ODD un projet de société ».
Fiche ODD n°12 - Consommation et production responsables

Cette fiche a été réalisée par Mateusz Evesque, étudiant en master Politiques publiques à Sciences Po, avec le concours de François de Jouvenel, délégué général de Futuribles International, et Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


Les vingt prochaines années annoncent l’entrée dans la classe moyenne de bon nombre de personnes à travers le monde, augmentant ainsi la pression déjà forte sur les ressources naturelles. Pour éviter de trop ponctionner la planète, il importe de modifier nos comportements de production ou de consommation. « Faire plus et mieux avec moins », pour reprendre la formule extraite de l’intitulé de l’ODD par l’ONU, est ainsi l’enjeu principal de cet ODD.
 

Repères


SITUATION DE l'ODD EN FRANCE

Indicateurs à suivre

  • Indicateur de consommation intérieure de matières et de productivité matière.
  • Pertes et gaspillages alimentaires au long de la chaîne alimentaire.
  • Taux de recyclage des déchets municipaux.
  • Projets d’éducation au développement durable dans les écoles.


Où en sommes-nous en France ?

Pour ce qui est des objectifs non chiffrés (mise en place d’une utilisation écologique des ressources et sensibilisation de la société civile à cette dernière), il est difficile de se prononcer.

Notons en matière d'initiation au développement durable une augmentation du nombre de projets d’éducation au développement durable dans l’enseignement entre 2014 et 2015 (Insee) tandis que la consommation intérieure de matières continue d’augmenter légèrement et que la productivité matière reste stable.

Pour les objectifs chiffrés, les ambitions françaises surpassent les ambitions onusiennes, sans toutefois que la France ne soit à la hauteur des objectifs qu’elle s’est fixé. La directive-cadre des déchets de l’Union européenne définit un objectif de réemploi ou de recyclage des déchets ménagers de 50 % d’ici 2020, mais Eurostat indique un taux de recyclage français de 40 % en 2015, avec un taux moyen de progression qui ne semble pas suffisant pour réaliser cet objectif.

En matière de gaspillage alimentaire, si en septembre 2011 l’Union européenne a fixé un objectif de réduction de 50 % d’ici à 2020, la France avec son Pacte national contre le gaspillage alimentaire (qui présente des mesures concrètes de lutte) de 2017-2020 repousse cet objectif à 2025 et bien qu’elle se soit dotée d’une loi anti-gaspillage alimentaire, les Français continuent à gaspiller en moyenne l’équivalent de 20 kg de nourriture par an et par personne ; un chiffre stable. 
 

Prospective exploratoire


Tendances lourdes


 La croissance de la consommation intérieure de matières apparente

Par ce terme, on désigne la quantité de matières consommées par la population présente sur le territoire pour ses besoins propres. Seule la biomasse (alimentation, bois), renouvelable, voit sa consommation diminuer tandis que la part des ressources non renouvelables consommées explose. Les métaux sont principalement en cause.
 

L’optimisation continument croissante de la production

Motivée par l’incitation à diminuer les coûts, l’optimisation contrecarre la croissance de la consommation intérieure de matières apparentes. Réduire la consommation de ressources peut se faire en amont comme en aval. En amont, des procédés techniques peuvent permettre une telle réduction. Le cas par exemple du Near net shape (NNS) manufacturing (« fabrication à la forme la plus juste ») mis en place dans les entreprises Rolls Royce et qui réduit la quantité d’input nécessaires à la fabrication.

Le cas aussi dans les programmes de lutte contre le gaspillage, comme le dispositif « Antigaspi » de Carrefour qui consiste à être plus vigilant lors de la production. En aval, citons dans le cadre de la lutte contre le gaspillage le lancement par E. Leclerc et un groupe d'entreprises de « Bon et Bien », pour produire des soupes à partir de fruits et légumes ne répondants pas aux critères commerciaux.
 

Incertitudes majeures


—  Le progrès technique et son impact incertain

Sur le plan théorique, il existe en économie un débat entre soutenabilité faible et forte. Les partisans de la soutenabilité faible, prenant appui sur la règle de Hartwick, défendent la thèse selon laquelle le capital technique créé par l’homme pourrait se substituer au capital naturel offert par la nature. Les partisans de la soutenabilité forte défendent l’inverse et pensent qu’il est nécessaire d’adopter une démarche volontariste de réduction de la production ou de la consommation.

Le progrès technique est ambivalent, pour la consommation finale de matières premières (consommation des ménages) comme pour la consommation intermédiaire (consommation des entreprises, pour la production). Côté production, l’introduction de techniques plus efficaces énergétiquement (innovation de production) peut conduire à une augmentation de la consommation des ressources, une mécanique qu’illustre le paradoxe de Jevons. 

Dans Sur la question du charbon, paru en 1865, Stanley Jevons explique qu’à mesure que les améliorations techniques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource peut augmenter au lieu de diminuer. Les innovations de produits et de procédés aboutissent à la consommation de nouvelles ressources (par exemple le nickel difficilement extrait pour l’iPhone ou la très gourmande fracturation hydraulique pour le gaz de schiste). 

Côté consommation, la dématérialisation, apparemment positive par sa réduction des biens matériels, suppose toutefois des supports électroniques, et donc une consommation d’électricité et ne permet en réalité pas la baisse des biens matériels. 
 

—  L’impact incertain voire pernicieux du recyclage

Le recyclage présente des limites. Des limites intrinsèques en premier lieu : il ne s’applique ni à tous les matériaux (ceux utilisés en petites quantités sont très difficiles à trier - les taux de recyclage sont inférieurs à 10 % pour la plupart des métaux utilisés), ni infiniment (les matériaux s’érodent irrémédiablement au cours du processus). Des limites extrinsèques ensuite, son efficacité dépendant de la croissance économique, instigatrice de nouvelles extractions de ressources lorsqu’elle est supérieure à 1 % (F. Grosse, 2014).

Le recyclage peut en outre avoir un effet  désincitatif : les consommateurs peuvent ne pas réduire leur consommation, estimant leur devoir écologique de recyclage suffisant ; les producteurs peuvent conserver des volumes de production inchangés, voire les augmenter,  pour rentabiliser les filières de recyclage.
 

Émergences


— Le passage d’une économie « linéaire » à une économie « circulaire » 

Le passage d’une économie « linéaire » (extraction, production, consommation, destruction) à une économie « circulaire » (réduction de l’extraction, refabrication, réutilisation, recyclage), explicitement promu dans les cibles de cet ODD, est une émergence réelle. Une telle économie est liée à trois domaines : la gestion des déchets, l’offre des entreprises et la demande des consommateurs. 

Pour reprendre la typologie de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), cette économie repose sur plusieurs piliers : l’approvisionnement durable (dans l’extraction, l’exploitation ou l’achat) ; l'écoconception (minimisation de l’impact environnemental dans la conception des biens, procédés ou services et pour l’ensemble du cycle de vie des produits) ;  l’écologie industrielle et territoriale (forme d’organisation aux synergies environnementales positives) ;  l’économie de la fonctionnalité (vendre les services liés aux produits plutôt que les produits eux-mêmes) ; la consommation responsable (prise en compte de l’impact environnemental), l’allongement de la durée d’usage et le recyclage. 
 

— Modes de production et de consommation alternatifs

Le passage à des modes de consommation et de production responsables peut supposer un changement dans nos façons même de produire et consommer. Plusieurs voies alternatives sont ainsi explorées, qui cherchent à transformer nos représentations et nos habitudes.   

En France, Pierre Rabhi est une figure charismatique pouvant être vu comme porte-parole de la « sobriété heureuse », notamment avec son Mouvement Colibris créé en 2007 en France, association qui vise à promouvoir, entre autres, la consommation responsable. 

L’économie de la fonctionnalité repose sur la location de biens plus que sur la vente de biens neufs. Pareille économie a pour conditions de possibilités matérielles l’existence de produits à durée de vie longue et pour conditions de possibilité formelle, l’attrait pour une conception de la propriété comme droit d’usus (droit d’user d’une chose) et de fructus (droit de disposer des fruits d’une chose) plutôt que d’abusus (droit de disposer entièrement d’une chose et de l’aliéner à sa volonté).

Négativement, les contraintes économiques et la recherche d’un lien social y poussent ; positivement, le souci de réduction de l’impact environnemental et la modification du rapport aux objets y incitent. Des initiatives comme mud jeans (service de location de jeans) l’illustrent. 

L’économie du partage ressemble à l’économie fonctionnelle mais s’en distingue par son modèle plus communautaire : il s’agit de mettre des biens ou des services à la disposition de tous, gratuitement, pour prolonger leur durée de vie. Les Repairs Cafés, lieux de réparation bénévole des biens particuliers, en sont un exemple. Là encore, psychologiquement, il s'agit de déprivatiser dans l’imaginaire la notion de propriété pour envisager une propriété collective. 
 



Ressources

_ Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, « Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire 2017-2020 ».
 
_ Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), « La France passera-t-elle les Objectifs du développement durable ? », 2016.

_ Comité 21, « Quelle appropriation des ODD par les acteurs non-étatiques français ? », 2017.

_ Futuribles international, Rapport Vigie 2016.

_ Statistiques du ministère de la Transition écologique et solidaire

_ François Grosse, « La croissance quasi-circulaire », dans Futuribles, 403, 2014

 

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