Prospective Enjeux sociétaux

Fiche ODD n°10 - Inégalités réduites

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Philippe Queruau Lamerie
Philippe Queruau Lamerie
Présentation et approche prospective de l'Objectif de développement durable n°10. Cette fiche est publiée dans le supplément au numéro 237 de la Tribune Fonda « Faire des ODD un projet de société ».
Fiche ODD n°10 - Inégalités réduites

Cette fiche a été réalisée par Philippe Queruau-Lamerie, étudiant en master International Energy à Sciences Po, avec le concours de François de Jouvenel, délégué général de Futuribles International, et Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


Réduire les inégalités dans les pays et d’un pays à l’autre. « Les inégalités fondées sur les revenus, le sexe, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle, la race, la classe, l’origine ethnique, la religion et les inégalités de chance persistent à travers le monde, dans les pays et d’un pays à l’autre. Les inégalités constituent une menace pour le développement économique et social, sont préjudiciables à la réduction de la pauvreté et sapent le sentiment l’accomplissement et l’estime de soi desvindividus. Une telle situation risque à son tour de favoriser le crime, les maladies et la dégradation de l’environnement. »1
 

Repères


SITUATION DE l'ODD EN FRANCE


Indicateurs à suivre 

Indicateurs Insee

  • Taux de croissance du revenu réel par unité de consommation : pour les 40% plus pauvres / pour l’ensemble de la population
  • Taux de pauvreté (seuil à 50% du revenu médian) : hommes vs. femmes / par âge 
  • Poids des rémunérations des salariés dans le PIB 

 

Où en sommes-nous en France ? 

D’après les données 2015 de l’Insee, en France, 10 % des ménages les plus riches concentrent 47 % du patrimoine, et les 50 % les plus pauvres n’en représentent que 8 %. La France est donc directement concernée par les inégalités, qui s’observent au sein de son espace national, et ont eu tendance à se renforcer au long des vingt dernières années.

La France est également traversée par des inégalités des chances. Il existe par exemple une corrélation entre les performances scolaires et le milieu socio-économique des étudiants. Selon les données du ministère de l’Éducation nationale 41 % des enfants de cadres supérieurs, chefs d’entreprises et professions libérales, ont un diplôme de niveau bac + 5, contre 4 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés, dont 60 % sortent du système scolaire avec un diplôme inférieur au bac ou sans diplôme. Ces inégalités d’accès aux diplômes se prolongent ensuite dans les inégalités d’accès à un emploi stable, ainsi que le soulignent les études du Cereq.  

Selon la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), la France a vu une augmentation de 26 % des menaces discriminatoires en 2015.

La crise migratoire que connaît l’Europe actuellement ajoute le défi de prendre en charge efficacement l’intégration des migrants.

La France est également sujette aux inégalités territoriales, y compris vis-à-vis de l’outre-mer, dans un contexte où la métropolisation accentue les inégalités entre territoires. 

La France mène une politique active sur le sujet des inégalités : elle s’attache à la protection des droits de l’homme et dispose d’un système de redistribution des richesses qui limite les effets négatifs des inégalités de revenus. Mais la persistance des inégalités et leur accroissement incitent à compléter ces approches. 

Alors que le système actuel est plutôt curatif, il faudrait essayer de passer à une logique plus préventive, visant à limiter au plus tôt l’apparition des inégalités, notamment en améliorant l’égalité des chances. En d’autres termes, certains experts suggèrent de passer d’une logique de subvention et redistribution à une logique d’investissement social.
 

Prospective exploratoire


Tendances lourdes


 Culturellement, la France n’aime pas les inégalités

Alors que certains articles faisaient état d’une « fatigue de la compassion » qui ferait son apparition en France, cette affirmation a été remise en cause par des sondages. Contrairement aux pays anglo-saxons, qui ont pu dériver d’une guerre contre la pauvreté à une guerre contre les pauvres, en tenant ces derniers pour responsables de leur situation, l’aversion pour les inégalités et une empathie pour les personnes en difficulté est un trait national fort.

D’après une enquête réalisée par le Credoc en 2013, 62 % des Français interrogés considèrent que si une personne est pauvre, c’est qu’elle n’a pas eu de chance. Si ce chiffre est en baisse par rapport aux 67 % de 2010, cette part a toujours oscillé entre 60 et 70 % depuis les années 1990. Ainsi que le souligne Julien Damon, ces taux fluctuent en fonction de la situation économique générale. Ces enquêtes soulignent par ailleurs que la défiance s’exerce moins à l’encontre des personnes que des politiques sociales, avec la crainte d’un effet désincitatif de celles-ci.

Cependant les systèmes de protection sociale constituent le premier rempart contre la montée des inégalités. D’après l’Organisation internationale du travail (OIT), les systèmes de protection sociale mis en place par les pays européens après la Seconde Guerre mondiale ont permis de « réduire la pauvreté de manière spectaculaire et ont favorisé la prospérité économique ».  Avec 31,5 % de son PIB consacré à la dépense sociale en 2016 (OCDE), record des pays de l’OCDE – dont la moyenne s’établit à 21 %, la France fait partie des pays les plus performants en terme de protection sociale.
 

 Après un recul, des inégalités à nouveau à la hausse

Selon les données présentées par l’Observatoire des inégalités, le taux des inégalités a globalement baissé depuis les années 1970. Cependant, depuis les années 1990, les inégalités repartent à la hausse, sans retrouver cependant le niveau des années 1970.

En 1970, les 10 % les plus pauvres avaient un niveau de vie 4,6 fois moins élevé que les 10 % les plus riches. En 1990, ce rapport était de 3,3, contre 3,5 en 2015 après un pic à 3,6 en 2011.

Depuis le début des années 2000, le niveau de vie moyen des personnes les plus pauvres, au-delà des mouvements conjoncturels, n’a que très peu bougé : + 6 € de 2003 à 2015 (en tenant compte de l’inflation), contre +356 € pour les plus riches. 
 

 Métropolisation et reconfiguration des revenus entre territoires (cf. Frédéric Weill)

On peut identifier trois principaux facteurs expliquant la redistribution géographique de la création de richesses :

  • la métropolisation entraîne une concentration des emplois les plus qualifiés dans les métropoles ;
  • la désindustrialisation, qui touche de manière très contrastée les territoires, et qui s’accompagne en parallèle d’une tertiairisation de l’économie ;
  • la forte mobilité des ménages ces dernières années, qui a participé à la reconfiguration des richesses et des moyens de production dans les territoires.


Les territoires étant différemment exposés à ces facteurs, on voit se creuser des disparités entre eux dans la production de richesses. Par exemple, les façades littorales au sud et à l’ouest, de par leur fort dynamisme démographique, ont pu tirer profit au mieux de la tertiarisation de l’économie.

Cependant, si les disparités de production de richesse se creusent, les écarts de revenu entre les territoires semblent eux se tasser. Ce découplage peut s’expliquer par plusieurs facteurs, dont la forte politique de redistribution de richesses de la France, les déplacements des touristes et retraités vers d’autres régions, ou bien, plus localement, les travailleurs urbains redistribuant les richesses dans leur périphérie résidentielle. 

Avec un système de redistribution national fragilisé et l’apparition de solidarités plus locales, on peut s’attendre à ce que les disparités entre territoires se creusent à l’avenir.
 

Incertitudes majeures


 Une bascule vers l’investissement social ?

Dans un contexte où le système social actuel semble avoir atteint ses limites, incapable de répondre efficacement à l’évolution des besoin sociaux, des experts et le gouvernement s’interrogent sur des approches alternatives. En développant une logique d’investissement social, ils cherchent à donner une nouvelle orientation plus préventive au système social, actuellement fondé sur une logique plutôt curative.

Cette approche consisterait à accompagner davantage les individus dans leur parcours de vie, tout en cherchant à intervenir aussi plus en amont pour leur donner les atouts nécessaires à leur réussite. L’idée est qu’en investissant sur le développement des capacités individuelles et des compétences, l’État verra un retour sur investissement à la fois sur le plan social et économique.

Poursuivant cette logique d’un État qui anticipe et intervient justement au cours de la vie, Bruno Palier identifie cinq domaines d’attention :

  • l’ accueil de la petite enfance ;
  • l' investissement dans la jeunesse ;
  • la conciliation de la vie professionnelle et de la vie familiale ;
  • l’organisation d’une prévention santé plus précoce et l’optimisation du parcours de soins ;
  • l’amélioration de la gouvernance du système social.
     

 Vers une polarisation de l’emploi ?

Les transformations du travail, portées notamment par le numérique, mais aussi par d’autres phénomènes tels que la financiarisation de l’économie, le renforcement de la concurrence international ou encore le développement du capitalisme cognitif, font évoluer le marché de l’emploi. 

Le phénomène de polarisation de l’emploi désigne l’évolution conjointe des emplois hautement qualifiés et celle, plus faible, des emplois les moins qualifiés, tandis que les emplois intermédiaires voient leur proportion se réduire. Selon France Stratégie, si ce phénomène est avéré aux États-Unis, il reste globalement contenu en Europe.

L’extension de l’automatisation des tâches administratives, y compris celles présentant un certain degré de complexité, pourrait cependant changer la donne à terme. Un tel phénomène de polarisation est porteur d’un risque d’inégalités.
 

→ Découvrez des projets en coopération qui répondent à cet ODD.

 


Ressources

_ Julien Damon, « L’investissement social : contenu et portée d’une notion en vogue », Revue de droit sanitaire et social, 4, 2015.

_ Julien Damon, « Y a-t-il une fatigue de la compassion en France ? », Telos, 2017.

_ Credoc, « Les Français en quête de lien social », baromètre de la cohésion sociale, 2013.

_ Organisation internationale du travail (OIT), « Protection sociale universelle pour atteindre les objectifs de développement durable », rapport mondial sur la protection sociale 2017-2019. 

_ Observatoire des inégalités, « Les inégalités de niveau de vie continuent d’augmenter ».

_ Frédéric Weill, « Avènement de la métropolisation et reconfiguration spatiale de la production des richesses » ; « Des phénomènes de convergence et de différentiation de revenus entre territoires », Rapport Vigie 2016, Futuribles International.

_ Cyprien Avenel et al., L’investissement social : quelle stratégie pour la France ?, La documentation française.

_ Bruno Palier, La stratégie d’investissement social, 2014.

_ Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil, Paris, 2013.

_ Site du World Wealth & Income Database : http://wid.world/

_ France Stratégie, « La polarité des emplois, une réalité plus américaine plus qu’européenne ? ».

  • 1Descriptif de l’ODD n°10 par l'ONU
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