Prospective Enjeux sociétaux Innovation sociale

Fiche ODD n°9 - Industrie, Innovation et Infrastructure

Tribune Fonda N°237 - Faire des ODD un projet de société - Mars 2018
Philippe Queruau Lamerie
Philippe Queruau Lamerie
Présentation et approche prospective de l'Objectif de développement durable n°9. Cette fiche est publiée dans le supplément au numéro 237 de la Tribune Fonda « Faire des ODD un projet de société ».
Fiche ODD n°9 - Industrie, Innovation et Infrastructure

Cette fiche a été réalisée par Philippe Queruau-Lamerie, étudiant en master International Energy à Sciences Po, avec le concours de François de Jouvenel, délégué général de Futuribles International, et Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation. « La croissance économique, le développement social et la lutte contre les changements climatiques dépendent fortement des investissements dans les infrastructures, le développement industriel durable et le progrès technologique. »1
 

Repères


PRÉSENTATION DE L'ODD


Les infrastructures de base, qui jouent un rôle de catalyseur dans le développement, restent trop rares dans de nombreux pays en développement. En France, si notre réseau d’infrastructures est particulièrement bien développé, nous pouvons en revanche redoubler d’efforts pour soutenir une croissance durable dans ces pays.

Nous devons également mettre davantage l’accent sur les aspects de résilience et de durabilité, par exemple en encourageant l'innovation. Ces aspects sont tout aussi importants en regard de l’atteinte d’un développement durable mondial.


SITUATION DE l'ODD EN FRANCE


Indicateurs à suivre 

  • Part de transport collectif de voyageurs (intérieur terrestre)
  • Valeur ajoutée manufacturière dans le PIB
  • Part du secteur high-tech dans le PIB
  • Émission de CO2 par rapport au PIB
  • Dépense intérieure en R&D 
     

Où en sommes-nous en France ? 

Le réseau d’infrastructures de transport est particulièrement dense en France (routes, rails, ports). Mais si la France a des infrastructures très bien développées, la question de leur résilience et durabilité se pose. En plus de l’enjeu de l’entretien et de la modernisation de ces infrastructures, c’est aussi la performance environnementale qui doit davantage être prise en compte dans les projets.

En ce qui concerne la recherche et l’innovation, la France a encore des efforts à faire. Située au 10e rang mondial en part de dépenses R&D dans le PIB (2,24 % en 2013), la France est encore loin de l’objectif européen des 3 % en 2020. Emmanuel Macron souhaite cependant faire de la France un pays « leader de l’hyper-innovation », et a promis un fonds de dix milliards d'euros dédié aux start-ups pour l’innovation.  L’importance accordée par le gouvernement aux start-ups dans le domaine du numérique se retrouve dans son label French Tech, ou encore l’incubateur GreenTech verte mettant le numérique au service de la transition énergétique. La France poursuit ses efforts concernant la couverture numérique et vise une couverture très haut débit intégrale du territoire d’ici 2022.
 

Prospective exploratoire


Tendances lourdes


 Les inégalités sociales et entre territoires face à l’infrastructure numérique

Les inégalités face au développement d’infrastructures numériques semblent avoir creusé les inégalités déjà existantes entre les territoires. Or, c’est justement dans ces territoires où se concentrent les inégalités que le numérique a un rôle fondamental à jouer. Le gouvernement a ainsi mis l’accent ces dernières années sur le développement des infrastructures, et un plan d’équipement de l’intégralité du territoire en haut débit d’ici 2022 a été mis en place (cf. Claudy Lebreton). 

Cependant, un autre problème majeur doit être traité en complément : l’appropriation de ces nouvelles technologies a un rôle clé à jouer dans le développement, or il existe aujourd’hui un écart dans leur utilisation, qui reflète encore trop les inégalités préexistantes entre les territoires. L’enjeu serait donc de développer les capacités de chacun à tirer profit des outils numériques.

La création d’une mission « Société numérique » au sein de l’Agence du numérique souligne ainsi que le numérique ne pourra tenir ses promesses que s’il parvient à bâtir une société innovante et inclusive. L’enquête Capacity, portant sur la réalité de l’empowerment grâce au numérique souligne des disparités à deux niveaux : territoriaux et selon le niveau de diplôme. Les villes moyennes sont globalement plus en retard tant sur l’équipement que sur les usages, tandis que les personnes les moins diplômées peinent à faire de ces outils un vecteur de développement de leur capacité d’action.

L’enjeu central de la médiation numérique consiste à mettre en autonomie les personnes. On recense aujourd’hui 10 000 structures de la médiation, portées aussi bien par des associations que des collectivités, des espaces publics numériques, des entreprises ou des collectivités.
 

  L'injonction à l’innovation

Droit à l’expérimentation ou droit à l’essai-erreur : ce principe favorise le droit d’innover dans les politiques publiques. Cette injonction à l’innovation, par effet de propagation, bénéficie alors à tous les secteurs, industrie comprise.

Non cantonnée à l’industrie, l’innovation a aussi sa place dans le social. L’innovation sociale, qui peut se retrouver dans tous les secteurs, consiste à élaborer des solutions à des besoins sociaux non ou mal satisfaits. Ce sont généralement des enjeux auxquels ni l’État ni les entreprises ne peuvent apporter seuls une réponse adéquate. À ce titre, le principe d’expérimentation législative locale introduit dans la constitution en 2003 est un outil pouvant stimuler l’innovation, mais il reste encore trop peu utilisé par les décideurs publics. Il avait par exemple permis l’expérimentation du RSA en 2007, avant qu’il ne soit ensuite généralisé à toute la France.

Mais l’innovation peut aussi se situer à la frontière entre industrie et social. Le développement actuel de l’économie circulaire, l’économie de fonctionnalité ou encore l’économie de partage, en est une bonne illustration (cf. fiche ODD n°12).
 

Incertitudes majeures : l'évolution des modes de production


Faisant suite à des années de délocalisation de la production dans une course à la réduction des coûts, on voit de nouveaux modes de production apparaître. Parmi eux, deux modes de production émergent. Bien que très différents, ils pourront tous deux avoir d’importantes conséquences sur la façon dont nous produisons :
 

Le mouvement d’automatisation, déjà bien ancré, et qui s’oriente aujourd’hui vers l’industrie 4.0 : robots, big data, intelligence artificielle, Internet of Things (IoT), permettront de produire de plus en plus efficacement, dans un environnement où l’homme travaillera cette fois en complémentarité avec les robots (appelés alors « cobots »).
 

L’autre mouvement, c’est celui des makers, qui utilisent le potentiel des nouvelles technologies ouvertes, accessibles et moins onéreuses pour développer leurs propres projets et les partager. Ce nouveau mode de production et d’innovation se pose alors en rupture avec l’ancien modèle où laboratoire et usine étaient indispensables pour pouvoir innover et produire.

Les fablabs, imprimantes 3D, forums en ligne, crowdfunding, etc. sont autant d’outils rendant l’innovation accessible à tous. Ce nouvel éventail de possibilités, où le numérique reste au centre,  pourra mener à un changement radical dans la logique de production, qui deviendra accessible même aux zones plus reculées. En effet, ce ne seraient plus les moyens à disposition mais la créativité qui deviendra source et condition de création.

L’automatisation, nécessitant une organisation assez capitalistique, s’oppose donc à un mouvement de réappropriation de l’industrie dans des plus petites unités où règne plutôt l’économie du partage, avec l’utilisation de logiciels libres, la mise en commun d'idées et de moyens... Néanmoins, ces deux mouvements ne sont pas incompatibles et pourraient tous deux mener à une relocalisation de l’industrie, le coût de la main d’œuvre n’étant alors plus un élément déterminant dans la production.
 

Émergences


 La résilience d’infrastructures toujours plus complexes et hyper-connectées

L’enjeu de durabilité de nos infrastructures doit être complété d’un enjeu de résilience. La résilience d’un système se définit par sa capacité à résister à un choc. Ainsi, en plus de limiter l’impact de nos infrastructures sur l’environnement, il faut aussi pouvoir garantir leur résistance à toute catastrophe (naturelle ou non). À la poursuite de performance, nous cherchons à bâtir des infrastructures toujours plus complexes, que la technologie nous permet de mettre en réseau. Mais complexification et interconnexion engendrent aussi une fragilisation, avec un accroissement non seulement des risques, mais aussi de l’ampleur de leurs conséquences.

Actes terroristes et accidents constituent des risques potentiels. Un domaine de plus en plus concerné par les attaques terroristes est la cybercriminalité. Cybercriminalité et hyper-connectivité constituent les principaux phénomènes que la cyber-résilience doit aujourd’hui prendre en considération. Ce concept de cyber-résilience signifie que le risque zéro n’existe pas dans le cyber-espace, et que l’on doit dès lors admettre l’éventualité des chocs et s’y préparer. Cyber-résilience et résilience des infrastructures étant fortement liées, ces deux approches doivent être abordées conjointement lorsque nous cherchons à garantir la survie du système face à un choc.
 

  Le développement d’un web soutenable

Le web que nous utilisons quotidiennement a des impacts environnementaux non-négligeables. Ainsi, des réflexions sont menées concernant le développement d’un web soutenable, plus respectueux de l’environnement. Par l’utilisation d’infrastructures plus légères ou d’une architecture décentralisée, ces solutions espèrent limiter les impacts de l’utilisation du web sur nos écosystèmes.

Ces nouvelles réflexions sur l’avenir du web vont au-delà du technique, incluant les champs de la philosophie ou du social, souvent dans une démarche prospective. 

Certaines équipes s’interrogent par exemple sur l’interaction homme-machine, ou bien le mouvement « downscaling the web » cherche des solutions pour développer l’accès au web dans des zones dépourvues d’infrastructures suffisantes. Certains programmes se consacrent même par exemple au collapse informatics, en étudiant la possibilité d’un web résistant à un potentiel effondrement de notre civilisation.
 

  Vers des infrastructures durables

Le développement industriel, porté successivement par la révolution du charbon et de la machine à vapeur, puis celle du pétrole et de l’électricité, s’il a fait entrer nos sociétés dans une dynamique de progrès a cependant également été le vecteur d’atteintes à l’environnement et a été accompagné par le développement de nouvelles fragilités, y compris économiques, ainsi que l’apparition d’inégalités. 

L’ODD n°9 met ainsi l’accent sur la nécessité de favoriser le développement économique, l’innovation, dans une logique inclusive et durable, soucieuse donc de ne laisser personne de côté et respectueuse de l’environnement. Elle peut pour se faire s’appuyer sur les logiques d’innovation sociale ainsi que les mécanismes de sobriété et de circularité. 

La Troisième révolution industrielle (TRI) prônée par le prospectiviste américain Jérémy Rifkin, fondée sur la transition énergétique et le développement du numérique, et l’idée d’une énergie distribuée plutôt que centralisée, propose d’aller dans ce sens. Dans les Hauts-de-France, le « Master Plan TRI », présenté par Emmanuel Bertin et Antoine Goxe dans le rapport du Comité 21, s’inspire de cette approche.

Il met ainsi en place une pluralité d’initiatives guidées par les principes suivants :

  • développement de plateformes numériques pour améliorer le traitement des données et accroître l’efficacité des systèmes énergétiques,
  • développement des énergies intelligentes,
  • conversion des moyens de transport aux énergies propres,
  • mise en œuvre de l’économie circulaire.
     

→ Découvrez des projets en coopération qui répondent à cet ODD.

 


Ressources

_ Claudy Lebreton, « Les territoires numériques de la France de demain. Rapport à la ministre de l'Égalité des territoires et du Logement », 2013.

_ Premiers résultats de l’enquête ANR Capacity sur les usages numériques des Français, mars 2017.

_ « Le mouvement des makers », Wave. 

_ Florian Forestier, « Vers la création d’un web soutenable ? », Futuribles n°416, 2016.

_ Emmanuel Bertin, Antoin Goxe, « Vers une appropriation collective de la Troisième Révolution industrielle », Quelle appropriation des ODD par les acteurs non étatiques français ?, rapport du Comité 21, juin 2017.

  • 1Descriptif de l’ODD n°9 par l'ONU
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