Quels sont les ressorts de nos engagements dans leur diversité ? Quels sont les possibles « déclics » d’un passage à l’action : le besoin d’exercer son pouvoir civique, une indignation, l'absence de choix ? Le numéro 264 de la Tribune Fonda s’intéresse aux moteurs de l’engagements.
Commander
Abonnement
Pour accéder à l'intégralité des articles de la Tribune Fonda dès leur publication, abonnez-vous !
Vous y trouverez chaque trimestre des éclairages inédits et inspirants sur les évolutions du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire.
D’où viennent nos engagements ?
Au commencement de ce dossier, il y a une énigme qui peut paraître insoluble tant elle est vaste : quels sont les moteurs de nos engagements ? Comment se fabrique cette légitimité à agir ? Pourquoi son corollaire, le sentiment d’illégitimité, se creuse-t-il ?
Comment nos parcours s’associent-ils à des orga- nisations — une association par exemple — pour répondre à certains événements qui nous touchent de près ou de loin ? Nos engagements répondent-ils à des peurs intimes, à un besoin de se mettre en mouvement, ou à des besoins de reconnaissance ?
Très vite, notre comité éditorial s’est également interrogé sur sa propre démarche : pourquoi tenter de comprendre les origines, les ressorts et éventuellement les intentions de ce passage à l’action ?
Les conséquences du dérèglement climatique, la perte de confiance dans les pouvoirs publics et la fragmentation sociale9 nous rendent psychiquement plus vulnérables. Face à nos vulnérabi- lités, et nous pouvons penser à celles des plus jeunes10, certaines personnes se questionnent, d’autres luttent, ou s’enferment dans le déni. Chacun de ces mouvements naît d’émotions, mais aussi de structures qui les accueillent et leur permettent de s’exprimer. Alors, comment pouvons- nous, en tant qu’acteurs de l’intérêt général, contribuer à une juste mise en mouvement ? Si nous trouvions des pistes de réponses, que nous apporteraient-elles à nous, actrices et acteurs du monde associatif ? Comprendre la « recette » de l’engagement nous permettrait-il d’en nourrir la dynamique collective ? Cherchons-nous à nous rassurer sur la vitalité associative, ou plutôt à passer d’une société civile à une société civique1 ? Alors ce que nous nous proposons, c’est de prendre un temps de réflexion.
D’abord nous constatons que la manière de s’engager change et que cela n’est pas sans conséquences sur l’organisation de la vie associative2. Si certaines façons « classiques » de s’engager demeurent, d’autres, plus ponctuelles, se développent2 . En attente de résultats concrets, visibles et immédiats, ces nouvelles formes d’engagements se caractériseraient par une certaine urgence3 . Elles seraient aussi plus émotionnelles, mais tous les engagements ne le sont-ils pas ?
Certaines et certains identifient ces mutations de l’engagement comme étant l’expression de ressorts individualistes : s’engager avec ses affects viendrait bouleverser certains « codes » établis. Et pourtant, en partant du postulat que tout engagement est politique, nous émettons l’hypothèse suivante : les émotions sont le principal carburant de nos engagements, et de toutes nos tentatives de forger des communs.
Nous pouvons, à ce titre, nous appuyer sur les analyses de Pierre Rosanvallon dans Les épreuves de la vie4 : « ce sont les émotions qui aujourd’hui génèrent des communs, et non plus seulement les doctrines, les idées ou les intérêts de classe portés par les partis politiques et la représentation en général. »5
Autrement dit, au-delà des transmissions sociales et héritées, nos engagements parlent de nos libertés et de nos dignités. Cynthia Fleury la désigne, en citant Wilhelm Reich, comme une « aptitude à la liberté »6 . Or, s’engager, n’est-ce pas avoir la capacité de ressentir ses émotions, ses affects et ses maux ? Notre pouvoir d’agir naît donc de valeurs et de délibérations intérieures, mais aussi d’émotions qui sont alors interrogées, écoutées, conscientisées et réparées.
Identifier les émotions comme ressorts de nos engagements nous semble d’autant plus nécessaire alors que l’organisation de notre monde tend à s’émietter. Aujourd’hui, les anciens et les plus jeunes ne se rencontrent pas toujours7 et les petits et les grands récits ne s’écoutent plus.
Les conséquences du dérèglement climatique, la perte de confiance dans les pouvoirs publics et la fragmentation sociale8 nous rendent psychiquement plus vulnérables. Face à nos vulnérabilités, et nous pouvons penser à celles des plus jeunes9 , certaines personnes se questionnent, d’autres luttent, ou s’enferment dans le déni.
Chacun de ces mouvements naît d’émotions, mais aussi de structures qui les accueillent et leur permettent de s’exprimer. Alors, comment pouvons- nous, en tant qu’acteurs de l’intérêt général, contribuer à une juste mise en mouvement ?
- 1Terme que nous devons au philosophe Patrick Viveret, la société civique désigne l’alliance entre la partie de la société civile qui s’empare de sujets politiques et de la partie de la société politique prête à un nouveau rapport au pouvoir, du « bas » vers le « haut ».
- 2Lire à ce sujet la Tribune Fonda n°239 « Les dynamiques de l’engagement », parue en septembre 2018.
- 3 Julien Mast et Claire Thoury, « Passer d’une société engagée à une société politisée », Tribune Fonda n°258, juin 2023, [en ligne].
- 4Pierre Rosanvallon, Les épreuves de la vie, Seuil, 2021.
- 5Extrait de l’entretien de Charles Perragin, « Pierre Rosanvallon : “L’indignation est une réaction aux épreuves de la vie” », Philosophie magazine, 23 septembre 2021, [en ligne].
- 6Cynthia Fleury, Ci-gît l’amer, Gallimard, 2020.
- 7 Lire à ce sujet Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi, Payot, 2023.
- 8La Fonda, Compte-rendu du dialogue « Fragmentation sociale » avec Marion Ducasse, Laurence de Nervaux et Christine Duval, mars 2024, [en ligne].
- 9Voir les dernières données de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) sur la santé des enfants et des adolescents.