La Tribune Fonda n°224 explore les modèles de gouvernance et les enjeux d'un questionnement sur ces modèles.
Abonnement
Pour accéder à l'intégralité des articles de la Tribune Fonda dès leur publication, abonnez-vous !
Vous y trouverez chaque trimestre des éclairages inédits et inspirants sur les évolutions du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire.
De la vitalité démocratique
La question de la vitalité démocratique de notre société est posée. Pas seulement en raison de la hausse de l’abstention et du vote protestataire ; pas seulement à cause des ambivalences du Net, hier catalyseur de démocratie de la Tunisie à l’Ukraine, aujourd’hui fournisseur du terrorisme en libre accès, demain champ d’expansion de l’État sécuritaire ; pas seulement sous l’ombre portée du pouvoir financier, aussi bien quand il échappe à l’impôt que lorsqu’il prescrit l’austérité.
Cette question est posée partout où la capacité d’agir, et donc le pouvoir de décider, doit composer avec la multitude des sujets porteurs de droits, dans chacun des groupes, des territoires, des entreprises et des organisations auxquels nous appartenons. La majesté des architectures démocratiques conçues à l’époque des Lumières s’effrite et menace parfois de s’effondrer parce que leurs fondations ne résistent ni à la fluidité ni à la fragmentation des sociétés contemporaines.
On ne doit pourtant pas se laisser intimider par la difficulté de l’enjeu. Inutile de promettre ou d’attendre la grande réforme qui balaiera une fois pour toutes l’accumulation des incertitudes, qui rendra la société enfin « lisible ». La complexité est là, avec ses acteurs inattendus, ses migrants indésirables et ses innovations disruptives. Pour chaque projet imaginé, chaque action entreprise, il y a des parties prenantes, des publics concernés, des écosystèmes perturbés. La question de la gouvernance, c’est la question de la cohérence de l’action dans un monde d’interdépendance où chacune de ces parties prenantes tient sa légitimité du regard des autres.
Les associations ont à cet égard une responsabilité particulière. La question de la gouvernance n’est pas pour elles une question parmi d’autres, c’est la question dont la réponse conditionne la transformation du geste initial de mise en commun en capacité d’agir, de faire ensemble dans la société telle qu’elle est. Si nous parlons de vitalité et non d’idéal ou de modèle démocratique, c’est parce que l’expérience nous enseigne qu’aucun système de règles, d’élection ou de contrôle ne garantit le fonctionnement démocratique une fois pour toutes. Il y a longtemps que nous avons remisé les statuts-type au magasin des antiquités et brocante. Nous nous sommes mis à parler de gouvernance le jour où nous nous sommes rendus compte que la vitalité démocratique de l’association ne trônait pas à la tribune de l’assemblée générale mais se nichait dans chaque recoin de son activité : dans la qualité de l’information donnée aux administrateurs, dans la clarté des missions confiées aux bénévoles, dans la reconnaissance du travail accompli par les salariés, dans la diffusion des comptes-rendus, dans la transparence des comptes, dans la mise à jour du projet associatif…
C’est à l’exploration de ces recoins que nous consacrons ce numéro de La tribune fonda. Depuis un an, Michel de Tapol et Francine Evrard animent un groupe de travail sur la gouvernance qui s’est d’abord attaché à analyser des expériences réussies avant de tenter de décrypter les non-dits de l’exercice du pouvoir.
Florent Duclos rappelle le contexte théorique de ce travail. Nous avons demandé à nos amis du Mouvement associatif, d’Ideas et du Comité de la Charte de nous faire part de l’état de leurs réflexions et de leurs outils d’accompagnement. Cécile Bazin, de Recherches et Solidarités, montre qu’en la matière, le numérique est un amplificateur des problèmes comme des solutions. Nous avons aussi cherché à élargir l’horizon en demandant à Adelphe de Taxis du Poët de rendre compte de l’expérience des Scic et à Pierre Tavernier d’évoquer ce que pouvait apporter le modèle « sociocratique » sur lequel il s’appuie en tant que consultant.
Enfin, Jean-Pierre Worms et Guillaume Coti montrent comment la gouvernance associative permet de dépasser les limites de la démocratie représentative et les impasses de la démocratie participative en tissant les moments de la décision au cœur même de l’activité des hommes et des femmes : l’offre de services de l’association et la proposition politique ne sont pas des moments séparés de la vie associative, mais les deux dimensions d’un même projet.
On l’aura compris, notre objectif n’est pas d’élaborer une doctrine de la gouvernance associative mais plutôt d’inciter les associations à enrichir l’intelligence de leur propre gouvernance, à armer leurs parties prenantes d’expérience et d’exigence pour porter partout dans la société la vitalité démocratique.