La rédaction : Qu’est-ce qu’une Scic ? En quelques mots pourriez-vous présenter les caractéristiques et spécificités d’une Scic ?
Adelphe de Taxis du Poët : Une Scic est une société commerciale qui répond au code de commerce sous forme coopérative. Il s’agit d’ une société de personnes régie par les règles de la démocratie « un homme, une voix », dont le capital est variable afin d’assurer la liberté d’entrée et de sortie des sociétaires, et dont la lucrativité est doublement limitée par des exigences de mise en réserve d’au moins 57,5 % des excédents et d’encadrement de la distribution du solde à un taux maximum égal au taux moyen des obligations du secteur privé. Mais la principale spécificité de la Scic, qui la différencie autant de la Scop que de l’association, est l’obligation d’organiser un multi-sociétariat composé des salariés (ou producteurs du bien ou service rendu), des bénéficiaires (personnes morales ou physiques ayant un lien d’usage avec la coopérative) et d’une troisième catégorie qui peut être des bénévoles, mais aussi bien des collectivités locales ou toute autre partie prenante. C’est ce dernier qui définit l’intérêt collectif et se concrétise par la mobilisation, dans un projet à vocation économique, de parties prenantes ayant des intérêts qui doivent être durablement conciliés.
La rédaction : Pourquoi ce type d’entreprise a-t-il été créé ?
AdTdP : Je dirais que la définition de ce statut est fortement liée à la rencontre d’évolutions sociales profondes ; la nécessité de repenser l’action sociale avec la prise en compte d’un chômage structurel et des phénomènes durables d’exclusion, d’une volonté politique de favoriser l’insertion des jeunes (avec, notamment, le programme emplois-jeunes) et de l’implication d’acteurs de l’économie sociale engagés dans de nouvelles voies cherchant à concilier création d’activités et de richesse, insertion de publics en difficulté, emplois. De plus, tout cela s’opère dans un contexte de décentralisation qui bouleversait aussi les habitudes de pouvoir et de financement des projets locaux.
Un certain nombre de dates clefs en rapport avec la structuration des Scic sont à retenir.
– Le programme gouvernemental « nouveaux services - emplois jeunes », lancé en 1997 par Martine Aubry alors ministre du Travail, et qui a beaucoup interpelé, en raison de son caractère massif, le mouvement associatif sur sa capacité à générer les richesses nécessaires à la pérennisation des emplois créés semble être une première base constitutive à ce statut.
– La commande par la même Martine Aubry, en septembre 1998, d’un rapport, confié à Alain Lipietz, sur « l’opportunité de la création d’un nouveau statut d’entreprise à but social » qui conclue positivement.
– L’organisation, dès 1999, d’une « démarche collective d’innovation », portée par un certain nombre de réseaux associatifs ou de l’économie sociale : la confédération générale de Scop, et le groupement national de la coopération, la fédération nationale des coopératives d’utilisation de matériel agricole, l’union nationale des foyers de jeunes travailleurs, soutenus par la Datar, la délégation interministérielle à l’économie sociale (Dies) et la Caisse des dépôts. Cette démarche fait suite à un programme européen « digestus » qui a débouché sur l’expérimentation d’une vingtaine de projets portés par la Cgscop en lien avec la Dies.
– La promulgation de la loi en juillet 2001 (loi n° 2001-624) portant sur la modification de la loi coopérative de 1947, introduisant les Sociétés coopératives d’intérêt collectif.
– Parallèlement, le ministère de l’économie et des Finances s’attachait à réécrire une « instruction fiscale » pour les associations qui n’a pas peu contribué au mouvement de réflexion sur l’exercice d’activité économique par les associations.
La rédaction : Quelles sont les spécificités de la gouvernance d’une Scic ?
- La gouvernance des Scic est structurée de façon explicite et normative. Pouvez-vous nous décrire cette gouvernance. Celle-ci est-elle facile à mettre en place ? (freins, leviers et avantages de cette gouvernance).
- Dans la pratique comment cela fonctionne-t-il ?
AdTdP : La gouvernance d’une Scic repose sur les règles formelles des sociétés commerciales (gérant de Sarl, Pdg et conseil d’administration ou directoire et conseil de surveillance pour une SA) à ceci près que la récente loi du 31.07.2014 relative à l’économie sociale et solidaire ouvre la possibilité de choisir le statut de la SAS 1
dont la gouvernance est plus ouverte puisque la seule obligation réside en l’existence de l’assemblée générale des associés et d’un ou d’une présidente.
Cette ouverture devrait permettre la mise en place de modes de gouvernance (comités stratégiques, éthiques, gouvernance plus collégiale…) plus adaptés que les règles standard. Car la principale caractéristique de la gouvernance des Scic est bien celle-là : l’organisation et l’animation durable du multi-sociétariat, de « l’affectio societatis »2 qui réunit les parties prenantes au projet.
Cette question va bien au-delà de la mise en place de « collèges de vote», qui occupe bien trop souvent les esprits alors qu’elle n’est qu’une modalité, facultative, de vote pour les prises de décision en assemblée générale afin de pondérer, le cas échéant, le poids relatif des sociétaires. Ainsi, il est logique qu’Enercoop, par exemple, avec ses 16 000 sociétaires pour la plupart clients et 80 salariés se pose la question de collèges, mais ce n’est pas souvent le cas. De plus, s’agissant toujours d’Enercoop, la réflexion sur la gouvernance est bien plus profonde puisqu’elle a conduit à une organisation en Scic régionales rapprochant la décision des acteurs du territoire, les consommateurs et les producteurs.
Poser la question de la gouvernance, c’est poser celle du projet, de sa construction, de la place que chacun peut prendre et de l’intérêt qu’il retire de son implication. Cela demande du temps comme pour tout projet partenarial car cet effort de définition de l’intérêt commun et spécifique est inhérent à toute démarche de cette nature. Aller trop vite, c’est prendre le risque de l’échec. Par ailleurs, on peut dire que sa formalisation sous la forme d’une société commerciale porte une exigence de rigueur qui doit être favorable à sa pérennité.
Il reste qu’une des réelles difficultés, vraie pour les Scic comme pour d’autres structures, mais probablement plus vraie pour les Scic, est de « maintenir la flamme », d’entretenir la vie de ce multi-sociétariat qui fait la richesse de la Scic. C’est un point sur lequel nous travaillons avec les dirigeants de Scic car nous sommes convaincus – il nous faut encore le confirmer – que le multi-sociétariat, et donc l’exercice d’une forme de démocratie économique, est un élément de la durabilité du modèle économique de ces entreprises.
La rédaction : Ce modèle de gouvernance est-il applicable à une association ? Si oui, quelles seraient les conditions de mise en place de ce modèle dans une association ?
AdTdP : Rien n’interdit à une association de réunir formellement, statutairement, autour de son projet et dans sa gouvernance des parties prenantes de natures différentes, quand la loi en précise les règles pour la Scic.
Par ailleurs, la présence de salariés au sein de la gouvernance associative ne peut être que limitée et n’apparaître que comme la « représentation », plus ou moins institutionnelle des salariés, tenu par un lien de subordination, et non leur pleine participation au projet en tant que « co-gestionnaires» de la structure les employant. De même, la présence de collectivités locales est peut-être plus problématique et pose souvent question lorsqu’elles sont membres d’une association.
Enfin, on peut penser que l’engagement et la prise de risque que constituent l’achat de parts sociales est aussi une différence entre la Scic et l’association.
La rédaction : Comment voyez-vous l’avenir des Scic ?
AdTdP : Il s’est créé environ 80 à 90 Scic ces dernières années, ce qui s’est traduit par un doublement en quatre ans. On aura donc atteint le seuil de 500 Scic à la fin de l’année 2015 et nous comptons bien à cette occasion organiser « l’agora des Scic » afin de leur donner, à cette occasion, la parole ainsi qu’à leurs partenaires.
Ce mouvement devrait s’amplifier dans les années à venir. Les raisons en sont nombreuses. La réduction de la capacité de l’État à assurer la régulation de phénomènes sociaux de plus en plus complexes place les collectivités locales devant l’obligation de jouer un rôle plus actif. Le passage du taux de détention par les collectivités locales, organisé par la loi Hamon de juillet 2014, de 20 % à 50 % du capital d’une même Scic répond en partie à cet objectif, même si ce qui est attendu des collectivités locales est leur rôle structurant sur les territoires autant que leurs apports financiers.
Les évolutions socioéconomiques globales, la montée en puissance des économies circulaire, de la fonctionnalité, « la révolution » des nouvelles technologies de l’information favorisant le développement d’une économie collaborative, offrent aussi des opportunités pour des entreprises qui, par nature, ne sont pas construites sur un mode hiérarchique et vertical, mais au contraire sur un mode coopératif, plus souple.
Enfin, la prise de conscience par un nombre de plus en plus significatif de nos concitoyens des limites et des risques du modèle de développement productiviste actuel contribue à l’attrait pour ce type d’entreprise.
Pour autant, je crois qu’un réel effort reste à faire pour mieux apprécier les champs prioritaires de déploiement de ce type de structure, voire plus largement des structures de l’Ess. Malgré les très nombreuses publications méthodologiques sur le « changement d’échelle », nouveau graal de l’Ess, et des « belles histoires » d’expériences réussies, le capitalisme poursuit son extension. L’Ess reste encore trop souvent confinée à des logiques de niche ou à un développement sur les « délaissés » sectoriels ou territoriaux du capitalisme…
Mais il s’agit là d’une autre histoire.