Pour tenter d’y répondre, prenons appui sur des travaux menés en 2014 1 . Ils ont montré combien l’usage du numérique s’est largement et inexorablement répandu ces dernières années, dans les associations. Les échanges par mail, les outils de gestion, les sites Internet sont aujourd’hui connus et utilisés ; certains sont même devenus incontournables. Les plus récents comme le financement participatif, les pétitions, les dons et la publicité en ligne, les applications smartphone, Twitter (moins présent que Facebook dans le milieu associatif), sont encore peu exploités, mais ils aiguisent la curiosité de beaucoup de dirigeants, qui se disent prêts à se lancer demain.
Pour les responsables d’associations, ces outils sont avant tout destinés à communiquer, à se faire connaître et à renvoyer une image attractive : plus de visibilité, donc plus de notoriété et de crédibilité, vis-à-vis du grand public et aussi vis-à-vis des partenaires financiers publics et privés. Mais qu’en est-il en interne, en matière de gouvernance notamment ? Comment les associations peuvent-elles s’appuyer sur le digital pour trouver des modes d’organisation plus ouverts, plus participatifs, plus représentatifs ? Inversement, en quoi ces nouveaux outils peuvent agir sur le fragile équilibre des pouvoirs, bousculer les circuits de décision et aller parfois jusqu’à questionner le projet associatif ?
Un plus grand partage de l’information
L’expérience montre que des outils comme les messageries, les listes de diffusion, les agendas partagés… facilitent la circulation de l’information et les échanges au sein de l’association, y compris entre les dirigeants et ce, quelles que soient les générations. En effet, les seniors sont aussi nombreux que les plus jeunes à communiquer par mail avec les autres membres de l’association (69 %) ou avec les interlocuteurs de leur association (55 %). Ils utilisent même Internet plus souvent qu’eux, pour des recherches ou des comptes rendus, en lien avec leur mandat de dirigeants ou le type de fonctions qui leur sont plus fréquemment confiées.
La participation plus active des dirigeants, notamment de ceux qui ont peu de disponibilité, est rendue possible par des contributions et des avis à distance. Le partage de documents et de fichiers ouvre l’accès aux informations, et amorce un plus grand travail collaboratif. Pour les organisateurs, ces échanges à distance permettent de mieux préparer les réunions et constituent un gain de temps incontestable. Autant d’éléments susceptibles de faciliter et d’accélérer la prise de décision.
Ces outils peuvent également rendre plus aisée et encourager la participation d’un plus grand nombre de bénévoles, voire des adhérents, sur des questions auparavant traitées dans les seules instances de décisions. Ils constituent, à l’évidence et de ce fait, une opportunité et un effet de levier pour une implication plus forte et plus large dans la vie de l’association.
La présence sur le Net a par ailleurs contribué à faire évoluer les associations sur les questions de transparence et d’organisation. Le dialogue sur Internet et la façon dont elles se présentent sur leur site pèsent de plus en plus, chaque année, dans la confiance que les Français leur accordent. Et en interne, la présentation de l’équipe, des instances, du projet associatif, des grandes règles de fonctionnement… constitue désormais un corpus d’informations basiques sur les sites Internet. Devoir les formaliser nécessite souvent une réflexion et une concertation préalables, ce qui peut permettre de mettre en lumière certains manques ou dysfonctionnements, et de tenter d’y remédier.
Du temps et des savoir-faire indispensables
En tête des difficultés exprimées par les bénévoles, quel que soit leur degré de responsabilité : le manque de temps. Quels sont les objectifs recherchés ? Quels sont les outils les mieux adaptés ? Quels sont les impacts attendus ? Comment utiliser les outils retenus ? Comment les partager ? Quand et comment les renouveler ? Aussi, comment apaiser les craintes de certains (sur la confidentialité notamment) et faire accepter les changements, au plan individuel, comme au plan collectif (revoir les modes de fonctionnement de l’association, redéfinir des missions…) ?... Autant de sujets qui nécessitent beaucoup de disponibilité et parfois des moyens financiers et matériels (cité par 38 % des dirigeants).
Le savoir-faire technique qui doit s’acquérir en permanence, au rythme des évolutions jugées trop rapides, est également souvent cité, de même qu’est mise en avant la nécessité d’un temps de rodage et d’initiation. Certaines associations ont pu faire appel à de bonnes volontés compétentes (un bénévolat ponctuel d’expertise, par exemple) ; d’autres, à la formation professionnelle lorsqu’elles sont employeurs ; d’autres encore ont pu s’appuyer sur leurs têtes de réseau lorsqu’elles sont fédérées ; d’autres aussi au mécénat de compétences ou d’autres enfin à un prestataire, sous réserve d’un budget… Mais dans leur grande majorité, les responsables associatifs se sentent assez seuls face à ces questions et ces difficultés. Celles-ci se présentent à des degrés divers selon les associations, sans épargner celles qui sont « hyper connectées » et celles qui ont construit leur projet associatif autour du numérique.
Quelques pièges à éviter
Le premier qui vient à l’esprit réside dans l’exclusion des membres de l’association qui ne sont pas connectés. L’enquête menée auprès des bénévoles montre bien que l’utilisation du numérique est largement répandu chez ceux qui exercent des responsabilités, allant, comme on l’a vu, jusqu’à faire tomber la barrière générationnelle pour la messagerie, les recherches sur Internet, la préparation et l’échange de documents… Cet usage est nettement moins fréquent pour les autres bénévoles.
Même lorsqu’ils sont connectés, certains sont freinés par la place et le temps qu’exigent le traitement des mails, la lecture des documents, l’utilisation de ces outils en général. La forme peut facilement prendre le dessus sur le fond des sujets. Et ils peuvent alors ne plus retrouver le sens de l’action, du projet associatif et s’éloigner peu à peu.
Les plus grands utilisateurs du numérique doivent aussi contourner certains pièges : l’abondance de l’information, d’abord ; la rapidité voire l’immédiateté des échanges peuvent limiter la réflexion, la prise de distance par rapport aux sujets, mais aussi les débats et la construction d’une réflexion collective.
Au-delà des tentations des uns et des autres, l’entrée du numérique dans l’organisation de l’association peut perturber la lisibilité des rôles de chacun. Le risque existe de « mises à l’écart » de dirigeants non-initiés et de « transferts de pouvoir » vers ceux qui maîtrisent mieux ces outils. Il peut conduire à la mise en place, de fait, d’une sorte d’« organigramme parallèle ». S’appuyant sur les rôles « virtuels » de chacun, il peut générer des conflits au sein de l’équipe dirigeante.
En ce qui concerne le processus de décision, les enquêtes montrent que l’utilisation du numérique peut sans difficulté se révéler efficace dans une gouvernance de type « top/down » ; mais elle peut l’être beaucoup moins dans une gouvernance participative, parce qu’il faut traiter un ensemble de sources et d’actions à distance, en faire la synthèse et organiser les aller-retour avant de prendre une décision.
Pourtant, une réelle opportunité à saisir
Les associations doivent avoir conscience de ces pièges pour mieux les contourner. Car les enjeux sont importants : apprivoiser, maîtriser et partager les outils numériques pour muscler leur projet, rendre leurs actions plus efficaces, promouvoir ou défendre leurs causes, accueillir de nouveaux adhérents, développer le bénévolat et la collecte de fonds… et pour tout cela disposer de l’organisation la plus collégiale et efficace possible. Plusieurs enseignements tirés des enquêtes permettent de surmonter les éventuels obstacles, retenons ici les principaux.
Le numérique ne peut être considéré comme une fin en soi. Au contraire, il doit être perçu comme un des outils au service du projet associatif et doit être décliné en cohérence avec lui, y compris en termes de gouvernance. à chaque projet, son organisation et sa stratégie digitale.
La diversité des situations et des besoins, d’une association à l’autre, exclut de reproduire systématiquement des schémas et des pratiques. Définir au préalable les besoins, appréhender l’état d’esprit au sein de l’association, et anticiper certaines résistances qui pourraient s’avérer désastreuses sont des conditions nécessaires pour garantir la réussite d’une stratégie numérique et maintenir la cohésion des équipes.
L’évaluation doit également avoir toute sa place. Ne pas se contenter des indicateurs classiques de fréquentation et des statistiques des réseaux sociaux, mais vérifier aussi l’impact des outils mis en place, au regard des objectifs clairement fixés au préalable, et au regard du projet associatif lui-même.
Enfin, veiller tout particulièrement à partager les connaissances au sein de l’association, pour élargir le cercle des initiés et impliquer le plus largement possible les acteurs de l’association, salariés et bénévoles. Cette préoccupation permanente permet aussi de tirer bénéfice des effets induits : consolider l’esprit d’équipe, éveiller la curiosité et susciter l’envie d’acquérir de nouvelles compétences, de se former… Finalement, devenir un lieu d’apprentissage, comme le sont les associations sur tant d’autres sujets, à commencer par la citoyenneté.
- 1 Au sein d’un large comité de pilotage composé d’universitaires et de représentants d’associations, du Mouvement associatif, de points d’appui à la vie associative, de plateformes numériques…, et avec le soutien du Fonds de développement de la vie associative géré par le ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports. Rapport en ligne sur www.recherches-solidarites.org