Ainsi les équilibres associatifs internes et externes ont été bousculés et des questionnements nouveaux sont apparus : Comment concilier le lien de subordination (qui fonde le salariat) avec le militantisme ? Quelle place donner aux bénévoles qui incarnent les valeurs et le projet associatif ? Faut-il accepter que le rôle des bénévoles soit peu à peu cantonné à la simple exécution de tâches ? Quel statut offrir aux publics destinataires des services associatifs lorsque les questions de survie économique deviennent prégnantes et la vente de prestations sur un marché concurrentiel incontournable ? Face à un contexte de forte pression à la normalisation et d’isomorphisme avec les entreprises marchandes, quelles sont alors les marges de manœuvre pour les associations revendiquant leur diversité et leurs différences ?
Face à ce constat, le Mouvement associatif a engagé un partenariat avec une équipe de chercheurs du Cnam/Paris1 et un travail approfondi sur la gouvernance associative. Il est apparu en effet qu’un espace de réflexion était nécessaire pour répondre aux interrogations des acteurs de terrain. La démarche d’enquête a consisté à explorer les dynamiques associatives autour de la confrontation du projet avec les contraintes organisationnelle et économique. Plutôt que d’aborder la question sur l’angle unique de la normalisation, le travail de recherche s’est orienté vers les pratiques innovantes et la créativité des initiatives associatives en matière de gouvernance. À travers la réflexion menée, il s’est agi d’encourager un mode de questionnement et une posture réflexive plutôt que de proposer des recettes toutes faites aux associations.
Un objet en équilibre et en perpétuel mouvement
L’étude qualitative menée a visé neuf associations, de taille, de secteurs et de compositions variées. Au sein de chacune d’entre elles, des entretiens ont été recueillis auprès de différents acteurs. Le matériau collecté cherchait à appréhender la problématique de la gouvernance à travers des aspects très concrets tels que les pratiques et les dispositifs. Travailler sur la gouvernance permet de voir comment l’association cherche à résoudre, ou simplement gère les perpétuelles tensions inhérentes à son fonctionnement et à la réalisation de son projet. Autrement dit, la gouvernance est d’abord une dynamique à comprendre, un mouvement qui ne s’arrête jamais. Ce sont les facettes récurrentes de cette dynamique que l’étude menée sur des terrains pourtant très différents a permis de mettre en évidence.
Construire de la cohérence
Les associations qui revisitent leur gouvernance, entendent se donner la capacité d’agir dans un contexte d’action publique où elles sont de plus en plus souvent convoquées pour leur aptitude à répondre à des programmes ou à des appels d’offre. Même « resserrée » leur gouvernance est mise à l’épreuve de leur aptitude à défendre la cause qu’elles veulent promouvoir, à être réactives face à des opportunités qui n’ont de sens que si elles ont été construites en cohérence avec leur projet. D’où l’importance de redéfinir les instances de régulation entre les divers acteurs porteurs de logiques et d’intérêts non nécessairement convergents. Construire une cohérence dans un univers éclaté, diffracté par les multiples grilles de lecture, est sans doute l’un des enjeux pour les gouvernances associatives. C’est d’ailleurs la question centrale qui est ressortie de l’analyse des entretiens auprès des neuf associations interrogées dans le cadre de l’étude.
Articuler l’individuel et le collectif
L’une des questions latentes est l’articulation entre la dimension collective de l’action et la place des individus. Celle-ci a un enjeu institutionnel puisque l’association est au cœur d’une double liberté, celle d’agir collectivement dans l’espace public et de celle d’adhérer individuellement au projet de l’association. L’exercice démocratique évoqué précédemment découle de cet enjeu parce qu’il en offre la possibilité. Les nombreux exemples cités dans l’étude illustrent la difficulté à gérer ce double mouvement : comment soutenir dans la durée, l’adhésion d’un grand nombre de personnes ? Il s’agit en effet, de faire face à des attitudes qui peuvent tour à tour s’exprimer dans l’adhésion, la critique et le retrait. Les réponses citées n’énoncent guère de recettes, mais des pratiques d’animation, de réflexions et d’échanges qui contribuent à ce que les participants perçoivent le sens de l’action, et leur contribution à la réalisation d’un projet.
Conjuguer le représentatif et le participatif
La référence à des formes de démocratie est l’ultime justification apportée pour ces pratiques, alors même, rappelons-le, que la loi 1901 qui régit ces organisations ne l’exige pas. La multiplication de commissions ou de groupes projets, y trouve sa raison d’être. Le modèle d’une démocratie représentative organisée entre les diverses instances de la gouvernance trouve ses limites lorsqu’il n’est pas relayé par des modes de participation plurielle. La dimension instrumentale de ces pratiques participatives est certes présente, notamment dans une conception professionnelle de la gouvernance. Elles donnent aussi à faire l’expérience de l’élaboration d’un projet où s’exprime un sens commun et partagé de l’action collective en lien avec les engagements des personnes. À ce titre une pratique de la gouvernance renouvelant les formes de participation constitue un enjeu pour l’action publique et légitime la revendication d’autonomie des associations à définir leurs propres règles.
Équilibrer le formel et l’informel
Un autre objectif essentiel de la gouvernance est de promouvoir la coopération entre des acteurs dont les statuts et les fonctions sont divers. Celle-ci résulte d’une interaction permanente qui suppose des espaces de régulations appropriés que la seule réponse formelle ne peut résoudre. L’absence de formalisation dans l’organisation rencontrée, ne peut être interprétée comme une faiblesse. Elle traduit souvent une réponse pertinente pour soutenir l’engagement des personnes et la nécessaire réactivité dans un environnement aléatoire. Il est remarquable que dans une gouvernance très professionnalisée, les salariés en appellent à une nécessaire coopération avec des adhérents bénévoles, comme si le modèle de gouvernance associative ne pouvait être légitimé par les seuls producteurs. Dans le même temps, certaines associations redéfinissent ces instances habituelles que sont l’assemblée générale, le conseil d’administration et le bureau en des lieux et des formes adaptées à la dynamique collective.
Réinventer les gouvernances associatives
La gouvernance est certainement l’objet qui permet le mieux d’illustrer combien le monde associatif est poreux, traversé par les logiques et les mouvements sociaux, politiques, économiques à l’œuvre dans l’ensemble de notre société. Elle en offre même un condensé dynamique. En ce sens, mener une réflexion sur la gouvernance associative peut d’abord permettre de cerner, au sein de chaque structure, ce qui est de son ressort et de sa responsabilité (comment elle porte et met en œuvre un projet) et ce qui la dépasse, ce sur quoi elle n’a pas ou très peu prise individuellement (au sein de son environnement). Ceci permet alors d’identifier deux chantiers. Au plan interne, il s’agit d’explorer les modes délibératifs et les espaces participatifs en ce qu’ils peuvent donner du sens et de la pertinence pour la construction du bien commun. Au plan externe, il s’agit de s’interroger sur les questions en lien avec la double reconnaissance des rôles économique et politique des associations et d’analyser comment ces questions sont prises en charge dans l’espace public. Ces deux chantiers rendent possible le dépassement d’une vision purement fonctionnelle (vision où les associations sont envisagées comme de simples prestataires de services) pour autoriser une approche plus large où les associations sont étudiées comme des acteurs de changement et des vecteurs de transformation sociale.