Projets en coopération

Projet en coopération - Les Accorderies, une solution innovante de lutte contre l'exclusion sociale

Réseau des Accorderies
Et Pascale Caron, Hannah Olivetti
Au début des années 2000, la pauvreté et l’exclusion sociale progressent au Québec. Elles se manifestent, entre autres, par le développement des banques alimentaires et des prêteurs sur gage. Pour y faire face, la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation Saint-Roch imaginent une nouvelle solution solidaire basée sur l’échange de services : l’Accorderie.
Projet en coopération - Les Accorderies, une solution innovante de lutte contre l'exclusion sociale
Guitare et photographie à l'Accorderie de Lille © Réseau des Accorderies

Dans le cadre du programme Faire Ensemble 2030, la Fonda souhaite valoriser les coopérations pluri-acteurs. Cette fiche s’intéresse au concept d’Accorderie qui lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, en s’appuyant sur un système d’échange de services. 
Cet article a été rédigé par Hannah Olivetti, suite à un entretien du 2 juillet 2021, avec Pascale Caron, présidente du réseau des Accorderies.

Une solution originale par et pour les habitants

Au début des années 2000, la pauvreté et l’exclusion sociale progressent au Québec. Elles se manifestent, entre autres, par le développement des banques alimentaires et des prêteurs sur gage. Pour y faire face, la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation Saint-Roch imaginent une nouvelle solution solidaire : l’Accorderie. Après une étude d’opportunité, la première Accorderie apparaît en 2002. En son sein, elle propose initialement trois activités : un groupement d’achat, un système de prêts solidaires et, enfin, un système d’échange de services. Finalement, suite aux usages des Accordeurs, la dernière dimension, l’échange de services, devient la seule activité, précise Pascale Caron, les deux autres devenant des services collectifs. 

Rapidement, le projet essaime dans la province du Québec et se structure sous forme de réseau en 2006. Le concept inspire Outre-Atlantique, en France. Sous l’impulsion de la Fondation Macif, une étude d’opportunité est réalisée en 2009 à Paris, qui s’avère concluante. Dans la foulée, en 2011, le réseau Accorderie du Québec et la Fondation Macif signent une convention pour développer des Accorderies en France en s’appuyant sur les outils de gestion déjà créés et en préservant la philosophie originelle. Les deux premières Accorderies françaises apparaissent en 2011 avec le soutien de la Fondation Macif, du Secours catholique et de la Caisse des Dépôts : à Paris (19eme arrondissement) et à Chambéry (Savoie). Aujourd'hui, trente-sept Accorderies font vivre la solidarité au quotidien partout en France. Depuis 2013, elles peuvent bénéficier du réseau des Accorderies, qui supervise leur création et leur animation au niveau national.

Solidarité, mixité sociale et pouvoir d’agir, au cœur des Accorderies

L’Accorderie repose sur un système d’échange de services, individuels et collectifs, entre particuliers d’un même quartier. Une grande variété de services est proposée et s’adapte en fonction des besoins locaux. Ménage, jardinage, aide aux devoirs, garde d’animaux, ou bien encore arrosage des plantes pendant les vacances, peuvent en faire partie. Ici, la valeur d’échange n’est pas l’argent, mais le temps. Par exemple, quand un Accordeur vous aide à déménager pendant deux heures, il peut utiliser ce crédit de temps pour prendre un cours de musique. Avec la monnaie-temps, le prix monétaire n'est donc plus un frein pour accéder aux services. 
 

                              

Principes fondateurs d'une Accorderie

• Une heure de service rendu = une heure de service reçu

• La monnaie d’échange est le temps

• Un équilibre dans les échanges (par des offres et des demandes)

• De l’échange et pas de bénévolat 

                              

L'échange de services avec le temps comme monnaie d’échange constitue donc une solution innovante pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Les personnes sont mises en capacité d’améliorer au quotidien leurs conditions de vie, tout en prenant confiance en elles et en nouant de nouvelles connaissances. Aujourd'hui, parmi les 18 000 Accordeurs inscrits, deux-tiers vivent dans une situation de précarité (familles monoparentales, individu vivant sous de seuil de pauvreté, immigré, isolement, etc.). 

Être Accordeur, c’est aussi faire partie d’une aventure collective, conviviale et à dimension humaine. Au travers des actions proposées au sein de l’Accorderie, des relations de qualité se nouent. C’est l’occasion de reprendre confiance en soi et ses capacités, en l’autre et dans le collectif, insiste Pascale Caron. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que l’Accorderie soit le premier pas vers l’engagement dans la vie locale. 
 

Un fonctionnement bien huilé 

Les Accordeurs, avec l’appui pour chaque Accorderie d’une personne salariée, travaillent ensemble pour faire vivre cet espace en commun qu’est l’Accorderie. Ils accueillent au local des individus se posant des questions et souhaitant rejoindre l’aventure. C’est l’occasion, autour d’un café, de présenter la démarche et de lever les doutes. En effet, il est fréquent que les nouveaux venus se demandent ce qu’ils peuvent apporter en termes de services, souligne Pascale Caron. Pour y remédier, la personne réfléchit à ce qu’elle aime faire. Ce questionnement lui permet d’identifier ce qu’elle peut proposer à la communauté, car toute personne a des savoirs, savoir-faire et savoir-être acquis grâce à ses expériences de vie professionnelle et personnelle. A ces permanences bi-hebdomadaires s’ajoutent d’autres moments collectifs comme des pique-niques. Tous les ingrédients sont réunis pour favoriser l’interconnaissance entre les Accordeurs, qui, pour Pascale Caron, est essentielle. 

Des petits groupes de travail pour animer les Accorderies se développent, en liens étroits avec la personne salariée. Cette dernière assure la coordination du collectif, mais aussi recense les informations disponibles et les diffuse sur le site Internet, Facebook et les brèves (journaux envoyés aux Accordeurs). 

Les Accorderies travaillent ensemble grâce au réseau des Accorderies, créé en 2013. Ce dernier est composé des trente-sept Accorderies et des deux structures fondatrices, la Fondation Macif et le Secours catholique. Accompagnement des membres en activité, avec notamment le développement d’un volet formation  ; promotion du concept : telles sont les missions du réseau. Pour ce faire, les cinq salariées du réseau se mobilisent :  trois coordinatrices territoriales, une chargée de développement et une Déléguée générale.
 

Jeux de société à l'Accorderie de Saint-Etienne © Réseau des Accorderies
Jeux de société à l'Accorderie de Saint-Etienne © Réseau des Accorderies

Une gouvernance partagée au sein du réseau

La vie interne au réseau est riche. Quatre pôles structurent le réseau des Accorderies, auxquels prennent part les administrateurs. 

  • Le pôle “Dynamiques de territoire”. Trois zones géographiques sont représentées : Grand Nord-Est, Grand Sud-Est et Grand Sud-Ouest. Des réunions régulières ont lieu pour organiser des animations, des formations et des rencontres (notamment pour les salariés) inter-accorderies. 
  • Le pôle “Stratégie nationale” qui travaille sur les partenaires du réseau.
  • Le pôle ”Suivi des accorderies en activité”. Il comprend une “commission des accorderies en difficulté”, une “commission formation” qui, notamment, crée et met à jour le catalogue des formations en fonction des besoins remontés, et enfin la “commission agrément” pour accompagner les porteurs de projet qui souhaitent monter une Accorderie. 
  • Le pôle “Gestion” s’occupe de la vie interne du réseau (gestion financière, richesses humaines et vie associative). 

Le fonctionnement de la vie interne mérite d’être étudié à divers égards. Notamment pour sa modalité de désignation des administrateurs, qui est originale. Elle repose sur une élection sans candidat. Autrement dit, ce sont les Accordeurs, les pairs, qui proposent des noms pour siéger au Conseil d’administration du réseau. Mais aussi, la prise de décision se fait par consentement. Lorsqu’une décision est proposée, un premier tour d’échanges entre les membres permet d’en clarifier la teneur. Puis, au second tour, les personnes expriment leurs ressentis par rapport à la décision, ce qui peut donner lieu à une reformulation. Enfin, lors du dernier tour, il est possible de refuser ladite décision en montrant dans quelle mesure elle constitue un danger individuel, voire collectif pour l’Accorderie. Tout ce processus vise à dégager du consensus, à faciliter l’appropriation par tous de la décision, tout en permettant l‘expression des doutes. Enfin, chaque commission choisit pour le Conseil d’administration du réseau deux représentants selon un système de double lien. Le premier transmet les informations du Conseil d’administration vers les membres de la commission, quant au second il fait remonter les informations de la commission vers le Conseil d’administration. 

La transmission, la bienveillance et le respect sont au cœur des Accorderies. De nombreuses Accorderies se dotent d’instances dédiées à la médiation entre les Accordeurs, mais aussi à la validation des diverses offres de services. Un code de courtoisie existe également pour fluidifier les échanges entre les Accordeurs. Par exemple, “Quand un Accordeur vous demande un service, on prend le temps de lui répondre (oui ou non”, ou bien encore, “S’accorder sur le nombre d’heures avant le service”, etc. Enfin, au niveau du réseau, le conseil des sages est le gardien de la philosophie des Accorderies et assure la transmission de l’histoire et de ses principes fondateurs. 

Aventure à la fois individuelle et collective, les Accorderies retissent les liens entre les personnes, ouvrent la porte à l’engagement sur les territoires, tout en construisant ensemble avec les autres acteurs locaux des projets qui font vivre les quartiers. Deux exemples témoignent de cette dynamique. L’octroi pour plus d’une vingtaine d’Accorderies de l’agrément “Espace de vie sociale” par les Caisses d’ Allocations familiales marque cette reconnaissance. Mais aussi, le fait que le réseau des Accorderies soit lauréat du projet “France Relance” sur le volet de la lutte contre la pauvreté. Pascale Caron le confirme, de nouvelles Accorderies sont dans les cartons, ce qui constitue une très bonne nouvelle !

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