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Bastien Engelbach : Nous poursuivons cette matinée avec une table ronde sur un retour de l’expérimentation menée à Mulhouse autour de l’engagement des jeunes, ainsi que sur l’initiative « Quartiers à Impact Collectif » (QIC) déployée à Saint-Etienne dans le cadre de la politique de la ville. Comment ces approches basées sur le « faire ensemble » se transmettent elles et quelles dynamiques impulsent elles ?
Alicia Le Bris : En 2022, nous avons répondu à l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) de la Fonda et le Réseau national des maisons des associations (RNMA) « Structurer les coopérations pour résoudre les défis des territoires ». Nous faisions face à un paradoxe : une pléthore d’initiatives et d’expérimentations sur le territoire, mais une difficulté chronique à les capitaliser et à les pérenniser. Elles s’essoufflaient faute de méthode. La collectivité elle-même avait besoin de soutien pour faire évoluer ses pratiques vers davantage de coopération.
Nous avons réuni les acteurs avec qui nous travaillions déjà. Très vite, un objectif commun a émergé : l’engagement des jeunes. C’est autour de ce thème que nous avons structuré notre « communauté d’action ».
Pendant deux ans, nous avons travaillé à mieux nous connaître, à comprendre les enjeux de chacun et à identifier nos complémentarités. Ce temps long a été indispensable pour établir une relation de confiance avant de passer à l’action.
Au terme de ces deux années, nous avons défini une feuille de route autour de trois axes :
- L’animation de rue : il s’agit de coconstruire une définition commune entre les acteurs institutionnels comme l’État ou la Caisse d’allocations familiales (CAF), et les associations de terrain, pour sortir de l’entre-soi institutionnel.
- La création d’un tiers-lieu jeunesse : les espaces existants, les centres sociaux et le service jeunesse, ne sont pas suffisants. L’idée est de créer un lieu qui colle réellement aux besoins actuels des jeunes.
- L’essaimage méthodologique : un groupe de travail est dédié à la diffusion des outils et de la culture de la coopération.
Cette dynamique a même dépassé nos attentes initiales : lors du dernier comité technique, une nouvelle idée a surgi, celle d’organiser des « assises de la jeunesse » en élargissant le cercle à de nouvelles structures.
En miroir, qu’est-ce que le dispositif Quartier à Impact Collectif (QIC) et comment se déploie-t-il à Saint-Étienne ?
Rémi Seux : Quartier à Impact Collectif est une expérimentation lancée par l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) en 2022 pour repenser les modes de coopération et la participation des habitants dans la politique de la ville.
Saint-Etienne fait partie des neuf territoires pilotes en France. L’idée était de construire les contrats de ville « par le bas », en partant des besoins spécifiques de chaque quartier avant de monter vers une vision métropolitaine.
À Saint-Étienne, le service « Politique de la ville » était en pleine réorganisation. Nous avons proposé une méthode simplifiée, inspirée de l’approche « orientée changement ». Concrètement, nous avons organisé des temps de concertation distincts pour les habitants et pour les professionnels dans chaque quartier prioritaire de la ville (QPV).
Le bilan est très positif : nous avons construit des contrats basés sur une vision partagée. Si la mobilisation a été plus laborieuse dans les quartiers entrant nouvellement en politique de la ville, elle a été forte dans les quartiers historiques.
Les communes ont réalisé que la concertation, loin d’être une perte de temps, aboutissait à des plans d’action concrets et efficaces. Aujourd’hui, la démarche s’étend à tous les QPV stéphanois ainsi qu’aux communes de Rive-de-Gier, Andrézieux- Bouthéon et Firminy.
Nous travaillons désormais à intégrer l’ensemble des QPV du contrat de ville de Saint-Étienne Métropole, afin que cette méthode structure la coopération et la participation citoyenne.
En quoi cette approche permet-elle de répondre aux enjeux de la politique de la ville et à transformer les pratiques, notamment pour les collectivités ?
Alicia Le Bris : Le changement majeur réside dans la posture. Dans une communauté d’action, il n’y a pas de superstructure. La logique est horizontale. La collectivité doit abandonner sa position de porteur direct de l’action publique pour endosser un rôle d’animateur et de facilitateur.
Il faut aussi accepter que l’interconnaissance et la coconstruction nécessitent du temps. Passer deux ans à « se connaître » peut sembler frustrant pour des élus désireux d’agir vite, mais c’est un investissement indispensable. Quand on traite de l’engagement de la jeunesse, on ne peut plus réfléchir seul dans son bureau, il faut penser collectif. Ce réflexe n’est jamais complètement acquis, il se travaille au quotidien.
À Mulhouse, cette méthodologie a directement inspiré la rédaction du nouveau contrat de ville. Quel est l’impact réel de la coopération sur les enjeux de la politique de la ville ?
Alicia Le Bris : Nous avions fait le constat que les précédents contrats de ville finançaient des actions trop éclatées bien que nous ayons mis en place certaines pratiques à la ville de Mulhouse comme des coordinations territoriales.
Désormais, la méthode est inscrite noir sur blanc dans le nouveau contrat, c’est une condition pour répondre aux appels à projets. Les acteurs doivent coopérer. Nous espérons ainsi décupler les effets des actions sur les QPV.
En quoi cette approche de la coopération vient-elle permettre de répondre aux enjeux de la politique de la ville ?
Rémi Seux : La politique de la ville se veut dès l’origine interministérielle, transversale et décloisonnée. Elle repose sur une conviction forte : les habitants ne sont pas « le problème », ils font partie de la solution.
Nous avons choisi d’expérimenter la méthode sur un quartier en situation de crise : le climat était tendu avec du vandalisme dans une maison de projet et l’incendie d’une Maison des jeunes et de la culture (MJC). Les pouvoirs publics ont alors financé un diagnostic qui a mis en évidence le décrochage de nombreux jeunes, éloignés des structures de droit commun.
Un projet interassociatif précédent avait échoué car les structures, au lieu de coopérer, s’étaient mises en concurrence pour capter les financement. L’expérimentation QIC nous a permis de repartir sur des bases saines : recréer du dialogue et de la confiance.
Concrètement, quel effet cette méthode produit elle sur la participation et les relations entre les différents acteurs ?
Rémi Seux : C’est un changement radical. Nous sommes sortis du jargon technocratique pour poser une question mobilisatrice : « Comment voulons-nous que notre quartier soit en 2030 ? ». Les habitants adhèrent beaucoup plus facilement à cette démarche. Ils se projettent et les échanges avec les institutions deviennent plus constructifs.
Cette approche remet d’ailleurs en question des dispositifs essoufflés comme les conseils citoyens. Avec QIC, nous préférons mobiliser les habitants sur des thématiques précises qui les concernent. Si la jeunesse est au cœur du projet, nous allons chercher directement les jeunes concernés.
Quand nous avons une vision commune, elle devient une boussole pour tout le monde : habitants, associations, institutions, financeurs. Si un porteur de projet présente une action qui s’éloigne de cette vision, nous pouvons légitimement la refuser car elle n’est pas cohérente avec le cadre construit ensemble. Et cette logique commence à porter ses fruits.
Comment embarquer au-delà des personnes déjà convaincues ?
Alicia Le Bris : À Mulhouse, nous avons vécu une acculturation commune. Au-delà du contrat de ville, nous avons intégré cette méthode dans la Convention territoriale globale (CTG) de la CAF. L’objectif n’est pas de créer de nouveaux dispositifs, mais de faire évoluer les pratiques et dispositifs, mais aussi les métiers. Par exemple, la CAF a transformé certains postes de « coordinateurs jeunesse » en « coordinateurs de coopération ».
Rémi Seux : À Saint-Etienne, l’extension s’est faite par la preuve. Quand les partenaires voient que la coopération produit des résultats, ils adhérent. Même le sous-préfet a adopté un mode de dialogue plus horizontal.
Comment maintenir ces changements de posture ?
Rémi Seux : On prouve que ça marche !
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Ce compte-rendu a été rédigé par Quentin Vaissaire de la Fonda et relu par Rémi Seux. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.