Projets en coopération

Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) et coopération - « Coopérer : comprendre les obstacles pour agir »

Géraldine Gabillet
Géraldine Gabillet
Et Manu Sevilla, Bastien Engelbach, La Fonda, Fondation de France, Réseau national des Maisons des associations (RNMA)
La sécurité sociale de l’alimentation (SSA) incarne la coopération territoriale dans de nombreux territoires. Lors des Rencontres « Coopérer : comprendre les obstacles pour agir » le 2 juillet 2025 à Villeurbanne, Géraldine Gabillet, chargée de mission à l’Ulamir-CPIE et Manu Sevilla, coordinateur de la Caisse alimentaire commune de Montpellier, ont partagé leurs expériences sur les territoires morlaisiens et montpelliérain. Une table-ronde animée par Bastien Engelbach, responsable do-tank de la Fonda

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Bastien Engelbach : Comment le projet de Sécurité sociale de l’alimentation (SSA) a-t-il émergé sur vos territoires respectifs ? 

Géraldine Gabillet : Je viens de Morlaix, dans le Finistère Nord. Notre projet de SSA a émergé dans le cadre de l’expérimentation « Structurer les coopérations pour résoudre les défis des territoires » menée de 2022 à 2025 par la Fonda et le Réseau national des maisons des associations (RNMA). Initialement, nous travaillions sur la transition écologique au sens large. Ces premières réunions ont rassemblé des acteurs nombreux et divers : habitants, élus, associations et entreprises. 

Très vite, à côté des sujets de l’habitat et de l’énergie, l’alimentation s’est imposée comme un enjeu majeur. Grâce à l’animation conjointe du Réseau d’échanges et de services aux associations (Résam), du Pôle ESS du Pays de Morlaix et de l’Union locale d’animation en milieu rural - Centre permanent d’initiative à l’environnement (Ulamir-CPIE), nous avons structuré une démarche collective. 

Nous continuons d’animer la démarche dans une logique de coopération, avec notamment l’arrivée d’un nouvel acteur dans l’animation, la monnaie locale. Aujourd’hui, le collectif réunit 70 personnes, dont un noyau dur d’une trentaine de membres actifs. À partir de janvier 2026, nous allons lancer une caisse citoyenne avec 100 participants représentatifs de la sociologie du territoire. Nous avons à cœur de développer un parcours citoyen afin que les participants choisissent démocratiquement les points de vente conventionnés. 

Le collectif souhaite expérimenter un axe différent des autres SSA, en travaillant avec des entreprises. Nous menons un projet de recherche-action pour inclure les entreprises et faire bénéficier directement les salariés de cette SSA. 

Manu Sevilla : À Montpellier, l’expérimentation est née en 2021 via le programme « Territoires à Vivres », porté par un consortium d’acteurs nationaux. L’objectif initial était double  : lutter contre la précarité alimentaire et soutenir les agriculteurs précaires. C’est une réponse directe aux inégalités du système alimentaire actuel. 

Nous avons d’abord exploré la théorie de la SSA avec un collectif mêlant acteurs de l’alimentation et de l’action sociale, avant de décider de monter une caisse commune. Nous avons aussi formé un collectif d’habitants pour faire de l’aller-vers et questionner directement les habitants. 

Financé en 2023 pour une durée d’un an, le projet a changé d’échelle depuis décembre dernier grâce au projet « Territoire agricole et alimentaire solidaire » (Terrasol) ». C’est une coopération de cinq ans avec des moyens conséquents, l’État finançant 50% des actions. 

Nous sommes passés de 47 foyers au démarrage à 600 aujourd’hui, avec une ambition de 1 500 foyers d’ici 2029. Le projet se décline désormais en une douzaine d’actions concrètes. 

La Sécurité sociale de l’alimentation est un projet de territoire multidimensionnel complexe. En quoi incarne-t-elle la coopération selon vous ? 

Géraldine Gabillet : C’est l’essence même du projet, car cela nécessite du temps long et de la confiance. Avant cette expérimentation, le Résam, l’Ulamir-CPIE et le Pôle ESS se côtoyaient mais ne portaient pas de projet commun d’une telle ampleur. 

L’accompagnement de la Fonda nous a permis de structurer et d’identifier nos complémentarités et nos divergences de manière constructive. C’est aussi pour cela que le temps long est essentiel pour coopérer. 

La coopération permet aussi de lever certains freins intrinsèques à ce genre de projet comme les moyens humains et le financement. Pour la SSA morlaisienne, nous avons eu la chance d’avoir d’obtenir des financements de la région et de l’Europe pour l’animation du collectif. C’est la complémentarité de nos structures qui nous a permis de lancer le projet, sans ce travail préalable, cela n’aurait pas été possible. 

Manu Sevilla : Pour nous, la coopération s’articule autour de trois axes d’innovation : répondre aux besoins des habitants, défendre des causes communes et créer un rapport de force politique. 

Cela demande d’abord de comprendre la vision du monde de l’autre. Il faut réussir à lier la solidarité envers les mangeurs, la solidarité envers les producteurs, mais aussi la solidarité envers les territoires. Sur ce dernier point, l’Hérault n’est pas en capacité de couvrir les besoins en alimentation de Montpellier. Nous devons donc penser des coopérations avec d’autres territoires pour relocaliser certaines productions ou créer des échanges avec les communes alentour. 

Justement, comment cette solidarité territoriale s’organise-t-elle à Morlaix ? 

Géraldine Gabillet : Le Pays de Morlaix est composé d’une zone de polyculture- élevage à l’est, et d’une zone maraîchère à l’ouest. L’enjeu est de connecter ces deux secteurs pour qu’ils soient complémentaires plutôt que tournés vers l’exportation. Potentiellement, le territoire est quasi autosuffisant, hormis certains fruits d’été comme les pêches ou les abricots. 

Sur le territoire, les enjeux d’agriculture et d’alimentation sont néanmoins importants. C’est pour cela, d’ailleurs, que le Projet alimentaire territorial (PAT) ne couvre seulement qu’une seule communauté de communes sur les trois du Pays. À l’inverse, notre expérimentation SSA a l’ambition de couvrir l’ensemble du Pays de Morlaix. C’est là que le rôle de médiateur est crucial pour aligner des acteurs aux temporalités et aux intérêts parfois divergents. 

Quels liens entretenez vous avec les collectivités locales ? 

Géraldine Gabillet : Nous avons volontairement gardé une certaine distance au départ. Le collectif craignait une récupération politique ou une perte d’indépendance. Nous avons préféré construire notre modèle en autonomie et, maintenant qu’il est solide, nous sommes prêts à ouvrir le dialogue avec la collectivité pour envisager des synergies. 

Manu Sevilla : C’est différent à Montpellier. Dans le cadre de Terrasol, les collectivités sont très soutenantes, voir investies sur certaines actions. Cependant, la coopération n’est pas toujours simple : nous n’avons ni les mêmes rythmes ni les mêmes modalités d’action. Travailler avec un Centre communal d’action sociale (CCAS) est riche, mais demande beaucoup d’énergie. 

De plus, l’incertitude plane avec les élections municipales de 2026. Si le partenariat est signé, l’intensité du soutien politique pourrait varier. Malgré cela, nous prévoyons d’ouvrir sept « maisons de l’alimentation » d’ici 2027. 

Comment intégrez vous les premiers concernés : les habitants et les agriculteurs ? 

Géraldine Gabillet : Nos structures viennent de l’éducation populaire, la participation est donc dans notre ADN. Pour les agriculteurs, nous adaptons nos horaires pour respecter leurs contraintes. Nous avons mis en place des outils pour faciliter l’inclusion : charte de fonctionnement, protocole d’accueil pour les nouveaux arrivants, décision par consentement, etc. 

Il est gratifiant de voir des personnes qui n’osaient pas parler au début prendre aujourd’hui la parole, débattre et développer leur pouvoir d’agir. 

Manu Sevilla : Nous avons un comité citoyen de 60 personnes avec des mandats précis : gestion de la « Mona », notre monnaie locale, fixation des cotisations et conventionnement des points de vente. Néanmoins la gouvernance est un chantier permanent : il faut articuler le travail du comité citoyen avec celui du conseil scientifique, gérer la représentativité via le tirage au sort, et s’assurer que le dispositif reste « animable » à mesure qu’il grandit. 

Pour conclure, quelles sont vos ambitions pour la suite ? 

Géraldine Gabillet : Réussir à pérenniser ce projet pour qu’il dépasse le stade de l’expérimentation, et réussir à y intégrer le monde de l’entreprise. 

Manu Sevilla : Au-delà du déploiement opérationnel, notre enjeu est de produire de la connaissance grâce à notre chaire et notre conseil scientifique. Nous voulons démontrer, chiffres à l’appui, qu’une caisse de sécurité sociale de l’alimentation génère des retombées économiques positives pour tout le territoire.

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Ce compte-rendu a été rédigé par Quentin Vaissaire de la Fonda et relu par Manu Sevilla. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.


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