Ces quatre scénarios ont été produits en 2011 sur la base des différentes hypothèses d’évolution de la société et suite au recueil de différentes données (enquête en ligne auprès de responsables associatifs, ateliers de réflexion locaux avec des acteurs de terrain et avis d'experts).
L'idée : envisager l'avenir du monde associatif à l'horizon 2020.
Vous trouverez ci-dessous les quatre scénarios dans une version résumée. Pour télécharger la présentation intégrale des scénarios, cliquez-ici. Vous pouvez également découvrir ces scénarios en image.
Scénario 1 - La marchandisation étendue
Mots-clés : globalisation, État garant du marché, mise en concurrence, économie néo-libérale, consumérisme, individualisme, zapping, société éclatée
L’ouverture au monde et l’incapacité de l’Union européenne à dépasser son orientation néo-libérale poussent au développement des formes marchandes de l’économie. Ceci est renforcé dans notre pays par l’attitude des pouvoirs publics qui orientent vers la généralisation de procédures de marché ou acceptent de « laisser faire », pressés qu’ils sont par leurs obligations de réduire la dépense publique. Les attitudes individuelles favorisent cette dérive : l’individualisme s’est renforcé et l’engagement personnel reste papillonnant d’une cause à l’autre. L’économie marchande se généralise tandis que l’espace politique se restreint et la défiance vis à vis du politique reste très vive.
L’État se désengage en partie de ses responsabilités envers les associations, prétendant les laisser aux institutions locales sans pourtant armer ces dernières. L’utilisation des outils du marché – appels d’offre et mise en concurrence – se généralise à tous niveaux, y compris les collectivités territoriales, et pousse les associations vers des logiques de concurrence et d’émiettement en opposition avec leurs valeurs traditionnelles.
Cette « économisation » infléchit les pratiques associatives dominantes, le bénévolat se rétracte car les bénévoles ne sont pas disposés à s’engager dans des luttes commerciales. Mais elle crée aussi de nouveaux « besoins d’association » en raison de l’aggravation des inégalités et de la multiplication des exclusions qu’elle tend à générer. Cela réactive aussi les fonctions de défense et de lutte des associations. De même, les associations de consommateurs peuvent trouver là un rôle de régulation important. Les regroupements associatifs d’employeurs prennent le pas sur les regroupements par affinité de valeurs. La création de collectifs éphémères regroupés autour de telle ou telle cause est la voie privilégiée par les plus jeunes. Ils jouent un rôle de contestation, de défense, de revendication, mais le peu d’espace politique ouvert au niveau national les rend peu efficaces car peu entendues.
Dans ce contexte, le regroupement des associations au niveau régional ou départemental, prive en grande partie le niveau national de sa légitimité. Les regroupements associatifs s’effectuent autour de services complémentaires entre eux. Les associations, en particulier gestionnaires, sont trop préoccupées par leur survie propre pour dégager temps et financements pour des réflexions en commun efficaces. Les associations ont, de fait, renoncé à jouer un rôle politique.
Au niveau européen, la menace que comporte la confirmation d’une conception extensive de l’application du droit européen de la concurrence aux associations est particulièrement forte. La dispersion associative interdit de contrer avec efficacité cette orientation et de participer un tant soit peu au dialogue civil européen.
Dans ce scénario, les associations, provoquées, ont adopté trois types d’attitudes : soit elles sont sur la base d’une logique défensive identitaire, soit elles recherchent à s’adapter pour devenir compatibles avec le marché, soit elles ne surgissent qu’en accompagnant des mobilisations collectives contestataires et éphémères.
Les plus « résignés », et une grande partie des « inquiets » interrogés dans le cadre de l’enquête par questionnaire se retrouveront plutôt dans cette projection de l’avenir.
Scénario 2 - l’État se défausse
Mots-clés : décentralisation, transfert vers la société civile des services publics, instrumentalisation, lien social local, mutualisation des moyens
L’État s’allège en transférant une grande partie des services et des missions qu’il assurait à d’autres acteurs. La décroissance de « l’Etat providence » sous toutes ses formes est programmée.
Les associations sont confrontées ainsi à la volonté de l’État central de favoriser une société auto-organisée de proximité, à l’image de la « Big society » de David Cameron. Pour réduire les dépenses publiques, l'État délègue la plupart des missions collectives aux collectivités locales, en vue de les confier à la société civile (associations, communautés, familles et individus). Cette forme de reconnaissance des associations est sans doute flatteuse mais ce faisant, il les instrumentalise en leur imposant normes et contrôles. Les pouvoirs publics restent ainsi garants de l’intérêt général mais sans une attribution des moyens nécessaires.
Ce transfert de missions publiques vers le local, voire jusqu’aux individus ou leurs proches, est à l’origine d’investissements associatifs locaux. Cependant on assiste à l’épuisement des personnes et des collectifs associatifs car les tâches à assumer sont trop lourdes et encadrées par des cahiers de charges trop normatifs et des réglementations excessives. Enrégimentée, l’innovation associative est fortement compromise.
Les capacités d’action collective sont variables selon les territoires, aussi l’espace social se fragmente et la cohésion sociale s’effrite. Face à un vieillissement inégal et à une attractivité économique contrastée, l’hétérogénéité spatiale conduit à des formes d’ostracisme à l’égard de certaines personnes ou de certains groupes. Lorsque la structuration locale des associations est forte, elles pèsent sur les politiques publiques mais sans pouvoir étendre leur influence à l'échelle nationale.
Accaparé par ses responsabilités d’employeur, le mouvement associatif organisé devient une sorte de syndicat de défense des intérêts du secteur. Ses rapports avec L’Etat et les collectivités constituent son horizon indépassable, ce qui ne peut entraîner l’adhésion des associations qui se situent hors d’une perspective gestionnaire. Les injonctions paradoxales imposées aux associations employeurs faussent souvent le dialogue social avec les syndicats de salariés des associations.
La capacité d’innovation ne se développe que dans les marges, en dehors de la sphère des services. Les regroupements de ces initiatives sont ici difficiles, sans moyens, éphémères, et pèsent très peu dans le débat public général.
Au plan européen, la menace du durcissement de l’application du droit européen de la concurrence aux associations reste particulièrement forte, et le mouvement associatif trop éclaté pour intervenir. Les fédérations ou coordinations, désorganisées, pèsent peu dans le débat européen à l’image de l’Etat français, coincé entre les directives de l’Europe et le pouvoir accru des régions.
Dans ce scénario, les associations, instrumentalisées, se laissent enrôler et s’adaptent au modèle économique dominant.
Les plus « inquiets », et une grande partie des « résignés » interrogés dans le cadre de l’enquête par questionnaire se retrouveront plutôt dans cette projection de l’avenir.
Scénario 3 : A l’ère du développement pluriel
Mots-clés : économie plurielle, synergies entre parties-prenantes, entrepreneuriat social, autonomisation des associations, entreprise associative, capital social, vitalité associative, féminisation…
Marchandisation et recul de la puissance publique sont des tendances qui perdurent, toutefois, le débat politique et les rapports de forces en présence ont permis d’en contenir suffisamment l’ampleur. Un large espace d’initiatives politiques, sociales et économiques s’est développé.
La société progresse ainsi vers un modèle dans lequel les entreprises s’impliquent délibérément dans le partenariat avec les associations et dans leurs responsabilités sociétales, où l’économie sociale et solidaire devient une force économique et politique reconnue. Les modèles économiques coexistent, se font concurrence mais leurs frontières sont poreuses, de nouvelles alliances sont expérimentées.
Dans un contexte de forte restructuration du prélèvement socio-fiscal, l’essentiel de la protection sociale est préservé même si une part est faite à l’individualisation des couvertures. Les associations prennent conscience de l’indispensable union de leurs forces pour se rassembler, se conforter dans leur identité, affirmer leur place et leur rôle dans ces changements qui les bousculent.
L’acte III de la décentralisation, la rénovation du dialogue social et les progrès du dialogue civil permettent de développer un gouvernement par le débat, d’abord à l'échelon local. Matures, les associations apportent des réponses élaborées avec l’ensemble des partenaires économiques, et en premier lieu ceux de l’ESS, sur la base de diagnostics locaux. Le territoire après avoir été le lieu de la résistance est devenu celui de la construction de nouvelles réponses -notamment pour ce qui concerne l’accompagnement des individus et le respect de leurs droits- en lien avec les organisations syndicales et les entreprises. Les associations affirment leurs valeurs, trouvent des partenaires, des alliés, les moyens de leur existence et un positionnement politique qui les fait prendre en compte.
Performantes et utiles, elles deviennent attractives pour des bénévoles de tous âges à la recherche d’efficacité et de sens dans leurs engagements. Plus professionnelles, elles expérimentent, pour améliorer leur gouvernance et trouver un équilibre des pouvoirs entre ses différentes parties prenantes (militants, bénévoles, salariés, bénéficiaires…). La diversité associative s’épanouit et peut devenir très féconde car elle permet à l’expression associative d’avancer sur plusieurs fronts : la transformation de l’espace politique avec sa délocalisation « hors les murs » mais aussi la transformation de l’économie et de la régulation de certains de ses effets négatifs du marché.
Au niveau européen, face à la menace que comporte la conception extensive de l’application du droit européen de la concurrence aux associations, se dégage une position commune - un peu trop souvent éludée – qui permet le maintien de la clarté de l’identité associative au sein de l’E.S.S. En tout état de cause, la participation au dialogue civil européen implique encore de la part des associations des efforts de coopération et de mutualisation pour défendre l’Intérêt Général.
Dans ce scénario, les associations, impliquées et performantes, construisent un modèle d’association entreprenante et autonome.
Les plus « confiants « des acteurs associatifs interrogés dans le cadre de l’enquête par questionnaire se retrouveront plutôt dans cette projection de l’avenir.
Scénario 4 : La société inventive
Mots-clés : individu créatif, individu-donateur actif, « l’économie créative », c’est la demande qui structure l’offre, rénovation du dialogue civil et social, économie sociale « sans rivage », intelligence collective, réseaux horizontaux
Avec le développement de l’économie de la connaissance, l’évolution des formes économiques s’accélère et les nouveaux modèles d’organisation transforment en profondeur le rapport à l’activité productive et les modes de rémunération. Dans ce contexte, apparaît aussi un individu plus autonome, plus relationnel, plus créatif. L’individu exige de participer et de construire, en toute situation, un rapport contractuel authentique respectant sa singularité. Les associations renouvellent leur légitimité propre, d’une part, sur leur capacité à offrir aux individus les moyens de leur émancipation, de leur autonomie et de leur reconnaissance comme acteurs et décideurs, et d’autre part, sur leur puissante compétence à organiser la société civile hors des institutions tutélaires et au-delà des contraintes de la société marchande. L’organisation en réseau constitue le mode de coopération le mieux adapté, car le plus efficient.
La circulation des idées, des projets, est horizontale. L’expérimentation de nouvelles pratiques et leur évaluation sont mutualisées. L’innovation est à la base de groupements à géométrie variable qui se croisent et s’unissent selon les sujets et les moments et à divers niveaux, départementaux, régionaux, nationaux, internationaux. Les projets, les acteurs parviennent à développer des logiques transversales qui débordent souvent le rôle des regroupements sectorisés et institués. Ainsi, la société civile s’organise, hors des tutelles traditionnelles, et l’esprit d’association accompagne les mutations observées en stimulant leurs effets bénéfiques.
Les associations, en partenariat avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire, sont parvenues à imposer non seulement le principe d’un encastrement nécessaire du marché dans des règles décidées de manière démocratique mais également l’idée d’une économie plurielle où la liberté d’entreprendre peut se conjuguer sous des formes multiples associant des parties prenantes diverses et combinant des logiques d’action différenciées. Une plus grande fluidité entre les formes d’entreprises se référant à l’économie sociale et solidaire ou non s’est développée. Les entreprises ont mis à leur agenda leur participation à la construction de l’Intérêt général.
Dans ce nouveau jeu, les associations ont pris conscience de leur poids et de leurs intérêts communs. Pour les faire reconnaître et garantir leur prise en compte dans l’espace public, elles ont su organiser une représentation commune des mouvements associatifs reconnus comme acteurs à part égale dans le dialogue social. Les processus de liens opérationnels et politiques entre ces multiples groupements opérationnels et politiques et une représentation organisée et reconnue officiellement au niveau national voire européen s’élaborent par étapes avec difficulté.
Au niveau européen, la menace du durcissement d’une conception extensive de l’application du droit de la concurrence aux associations est affrontée de la façon la plus judicieuse et efficace possible. L’Union européenne devient un champ d’innovation, par la voie de l’expérimentation et de la coopération associative transfrontalière, grâce à un soutien logistique et méthodologique de l’Union respectueux de l’autonomie des acteurs et des réseaux.
Dans ce scénario, les associations prennent l’initiative d’un développement selon le modèle du cluster (sur un territoire donné, on voit naître les mutualisations de fonctions support et de de compétences autour d’un projet commun).
Les plus « utopistes » des acteurs interrogés dans le cadre de l’enquête par questionnaire se retrouveront plutôt dans cette projection de l’avenir.