Prospective Gouvernance Modèles socio-économiques

Les associations face à leur avenir : paroles d'acteurs de terrain

Tribune Fonda N°212 - Éclairages pour l'avenir des associations (3) - Décembre 2011
La Fonda
Et Grégoire Barbot
Synthèse des ateliers de réflexion prospective animés en 2011 par la Fonda dans dix-neuf régions françaises pour recueillir l'avis de dirigeants associatifs sur les difficultés et l'avenir du monde associatif.
Les associations face à leur avenir : paroles d'acteurs de terrain

En 2011, la Fonda a animé plusieurs groupes locaux, dans une approche qualitative et collective, afin de consulter des acteurs issus de la diversité du monde associatif sur les sujets qui pèseront le plus lourd sur l’avenir des associations à l’horizon 2020. Par l’identification des tendances d’évolution du secteur et de son environnement, il s’agissait de définir un horizon souhaitable et les conditions à réunir et stratégies à construire pour l’atteindre (freins et leviers).

Les enseignements tirés de ces ateliers, croisés avec d'autres données (enquête en ligne et avis d'experts) ont permis l'élaboration de quatre scénarios pour l'avenir des associations.

Cet article propose une synthèse de la démarche d'animation de ces ateliers et une analyse des résultats recueillis.

 

Démarche et méthodologie


Plus de 320 participants dans 19 régions françaises

55 groupes (4 à 8 participants par groupe) ont été organisés. Nous avons cherché à toucher le plus possible la diversité des associations tant par leur taille, leur territoire, leur secteur d’activité.

Nous avons rencontré des participants de 19 régions françaises, avec une dominante de l’Île-de-France (30% des participants), d’Auvergne (8%), de Bretagne et Pays de Loire (7.5% chacune), de PACA (7%), d’Aquitaine (6.5%), de Poitou-Charentes et Normandie (4% chacune) ainsi que de Bourgogne, Languedoc-Roussillon, Limousin, Lorraine, Midi-Pyrénées, Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Rhône-Alpes (3% chacune) et enfin pour quelques participants du Centre et Champagne-Ardenne (0,5% chacune).

 

Une méthodologie en deux temps

Dans un premier temps, chaque participant a identifié trois sujets en réponse à la question : « qu’est-ce qui va selon vous peser le plus lourd sur l’avenir des associations ? ». Cette question était volontairement très ouverte : il s’agissait de repérer très largement des facteurs de changement ou d’inertie, présents ou futurs, de l’environnement dans lequel évoluent les associations, ou internes au secteur lui-même. Il était aussi précisé que ces sujets pouvaient être positifs ou négatifs et concerner des aspects économiques, politiques, démocratiques, sociaux, culturels, démographiques, environnementaux, technologiques, législatifs ou réglementaires, ou autres…

L’ensemble de ces sujets a fait l’objet d’un classement thématique.

Ensuite, à partir des sujets identifiés, éventuellement regroupés par thématiques, chaque groupe a défini trois sujets prioritaires à travailler collectivement. Dans un second temps, sur ces trois sujets, le groupe a échangé sur ce qu’il pense souhaitable pour l’avenir, les freins qu’il identifie et les leviers à activer pour atteindre cet horizon souhaitable. Une synthèse des échanges de chaque groupe a été envoyée aux participants.

 

Profils des participants et types de structure

Hommes et femmes sont également répartis. Principalement acteurs associatifs (85%), ils sont aussi acteurs de l’économie sociale (mutuelles, coopératives, fondations : 7% des participants), du monde de l’entreprise, des élus et personnels des services (5% des participants). 53% des participants sont bénévoles (bénévole d’activité ou dirigeant) et 38% sont salariés de structures associatives. Nous avons également rencontré des usagers d’associations (4 groupes).

Les acteurs associatifs rencontrés proviennent en majorité de petites structures, pour les trois quarts d’entre eux ayant moins de 10 salariés. 15% seulement des structures ont plus de 50 salariés.

Le périmètre d’intervention de ces associations est principalement local (43% des participants) et régional (38%). 27% interviennent au niveau national et 10% ont une action au niveau international .

Enfin, les acteurs associatifs rencontrés proviennent de différents secteurs, avec une prédominance de l’action sociale / santé (31%), et principalement des acteurs du champ de l’éducation / formation / insertion (16.5%), de la défense des intérêts économiques / développement local (15%), des associations défendant des opinions ou des droits, cause et intérêts (13.5%) et de la culture (13%).

 

Analyse des résultats : ce qui va peser sur l'avenir des associations


Le classement thématique des sujets donnés par les participants en première partie de réunion permet de révéler les principales préoccupations des acteurs. En première position ex-æquo arrivent les thèmes « Associations et champ économique » et « Associations et gouvernance », avec 21% chacun. Ensuite, c’est la « place des associations dans le champ politique » (18% des sujets), « l’engagement » (15%) et le rôle des « associations dans la société civile » (14.5% des sujets). Enfin, il est intéressant de souligner que les éléments concernant les grandes évolutions de la société ne représentent que 9.5% des réponses, ce qui témoigne de préoccupations reliées dans leur très grande majorité aux évolutions internes du secteur, et beaucoup moins au contexte sociétal dans lequel il évolue.


I) L’impact des évolutions de la société sur la vie associative


Rappelons que les évolutions sociétales représentent seulement 9.5% des réponses données, ce qui explique les faibles fréquences des sous-thèmes évoqués ci-dessous.

Parmi ces évolutions, 3% des réponses concernent l’augmentation des inégalités et de la pauvreté, le chômage (« les nouvelles fractures sociales », les nouveaux besoins sociaux, l’exclusion, les inégalités territoriales), qui préoccupent les acteurs. Il en est de même pour le rapport au temps (« accélération de la vie », « primauté du court-terme », « vitesse des flux d’information », « sentiment d’urgence »), à l’espace (mobilité) et les évolutions démographiques (vieillissement et flux migratoires notamment), l’ensemble représentant 2% des réponses.

Ont été également évoquées (2%) les nouvelles technologies et usages numériques, les réseaux sociaux, les transformations dans la communication et l’information. Ensuite, des transformations de notre modèle de développement sont aussi selon les participants de nature à impacter les associations et leurs projets : mondialisation, enjeux écologiques, dettes publiques, etc., représentent 1.5% des réponses.

Enfin parmi les sujets évoqués on trouve l’individualisme et le « repli sur soi », la « société de droit » et le « vivre ensemble » (diversité culturelle et mixité sociale, appartenances des individus) – 1% des réponses.


II) Associations et champ économique


Le financement des associations et les transformations de leur modèle économique constituent la première préoccupation des acteurs (21% des réponses), quels que soient leur secteur d’activité, même si certains sont plus touchés que d’autres.

Une chasse aux financements ?
La question des financements est le point sombre de l’avenir des associations : les participants décrivent des difficultés telles qu’il semble difficile d’imaginer d’autres modèles économiques.

Le désengagement de l’Etat est très fréquemment évoqué, mettant à mal des structures dont il était un partenaire incontournable, notamment des têtes de réseaux.

Les fonds publics se raréfient, et l’énergie à déployer pour en bénéficier est de plus en plus considérable, d’autant plus que les conventions pluriannuelles se font rares. La recherche de fonds et la gestion des partenariats sont ainsi un obstacle au développement des petites associations qui ne possèdent pas les compétences en interne, et occupent en général un temps de plus en plus important de l’activité des associations, au détriment du temps consacré aux projets.
 

« Le rapport au temps nous crève : on est sans arrêt dans le court terme, le nez dans le guidon, c’est contre-productif ».
« On est dans un contexte où on doit justifier à l’euro prêt, évaluer sans cesse, on perd un temps fou dans les procédures et la paperasse, ça en devient absurde».


Une marchandisation des associations ?
La nature des financements publics est de plus profondément transformée depuis quelques années, et le passage d’une logique de subvention au système des appels à projets ou appels d’offre, constitue une préoccupation forte. Les participants évoquent une double mise en concurrence : avec d’autres associations d’abord, soit d’un même secteur d’activité, soit d’un même territoire, qui s’accroît, mais aussi une mise en concurrence de plus en plus fréquente avec les entreprises lucratives dans le cadre des appels d’offres. Le tout aboutit à une « banalisation de l’offre associative » par rapport à l’offre commerciale et à la valorisation des résultats quantitatifs, financiers notamment, au détriment des résultats qualitatifs propres au fait associatif.
 

« On vit une pression à la rentabilité et à la baisse des coûts et dans le même temps, une pression pour plus de qualité (certifications, accréditations) : au nom de la performance, on est dans un paradoxe permanent ».
« L’évaluation systématique comporte un risque : celui de monétariser le non monétaire, le social, l’humain ».


Les associations vivent « un véritable parcours du combattant » pour se développer ou simplement survivre. Leur pérennité est mise en question : comment assurer la continuité des projets et le fonctionnement associatif si une structure n’est financée que sur des actions ponctuelles et passe une grande partie de son temps à chercher des moyens ?

S’ajoute parfois à cette logique de mise en concurrence la nécessité de développer des activités marchandes, auprès de publics solvables, pour faire entrer des fonds.
 

« Les appels à projets posent le problème de la pérennisation des activités, formatent et orientent l’action associative ».


Une panne de l’innovation sociale ?
La logique des appels à projets, et plus encore des appels d’offre, a une conséquence vécue comme désastreuse sur l’innovation sociale : les cadres proposés limitent les nouvelles actions. En outre, ils inversent les rôles : plus que jamais, ce sont les bailleurs de fonds qui identifient les besoins et les réponses à y apporter, alors que les associations ont longtemps joué le rôle d’expérimentations de nouvelles réponses aux défis sociaux. Que devient une société où l’initiative et l’innovation sociale appartiennent de moins en moins à la société civile ?


« L'association est un lieu d'expérimentation et quand elle est terminée soit on arrête l'asso de départ soit on poursuit mais en changeant le mode d'organisation et ainsi cela évitera d'avoir des associations purement gestionnaire dont plus personne ne sait quel est son projet associatif ».


Un avenir bouché ?
Malgré la fréquence des débats sur le financement dans les groupes, les autres modalités d’apports de fonds (dons) et les possibles liens avec d’autres partenaires, par exemple les fondations ou entreprises, sont peu évoqués : le débat se cristallise beaucoup sur les financements publics.

Et quand les relations aux entreprises sont évoquées, c’est davantage pour parler des risques d’instrumentalisation que des possibilités de partenariats. Le mécénat ou le développement de la RSE ont été relevés par un seul groupe comme une opportunité à saisir pour l’avenir.

Ainsi les acteurs décrivent un contexte financier et un modèle économique en profonde mutation, avec peu de perspectives positives d’évolutions.

 

III) Associations et gouvernance


Le thème de la gouvernance représente 21% des sujets relevés par les participants. Malgré la diversité des fonctionnements associatifs, les acteurs partagent de nombreux questionnements sur le renouvellement et la diversité (4.5% des réponses), la place des salariés et la professionnalisation (4.5%), le fonctionnement et la gestion (2%), la nécessité d’un accompagnement des structures (2%), le projet associatif et ses valeurs (2%) ou encore la démocratie interne et la participation (2%).

 

Une boussole : le projet associatif
Les participants évoquent souvent le projet associatif : il incarne le sens (à la fois la direction et la signification) partagé par les parties-prenantes de l’association. Il articule différentes dimensions, notamment économique et politique, et affirme les valeurs sur lesquelles repose l’action. Les participants décrivent un contexte où ce projet est un peu « oublié » par des acteurs centrés sur les activités et la recherche de financements. Là où le projet associatif déterminait les actions, aujourd’hui il semble que ce sont davantage les actions, notamment celles qui trouvent finances, qui orientent le projet des structures. Les acteurs évoquent le risque d’une perte de maîtrise de leur projet et une dérive par rapport aux convictions initiales.
 

« Les projets se perdent, on perd le sens de nos actions ».
« Il y a des tensions aigües entre le politique et la gestion. Nous devons être compétents et efficaces sans nous éloigner de notre cause initiale ».


Une gouvernance qui se cherche
Le modèle de la gouvernance associative repose sur un idéal de démocratie interne et de participation des adhérents et usagers à la construction des projets. Les participants décrivent une réalité à géométrie variable selon les associations, généralement éloignée de cet idéal.
 

« La gouvernance des associations, faut bien avouer que c’est un peu le « système démerde » ! »


Le manque de renouvellement des membres et des dirigeants est très souvent évoqué. Les participants pointent un « manque d’ouverture », un « pouvoir gris » des plus anciens, le manque de parité hommes-femmes et parlent même d’un « choc des générations » avec les jeunes : il existe un décalage entre les modalités d’engagement que proposent les associations et les attentes des jeunes. La « transmission des projets et des valeurs » semble de plus en plus difficile. En outre, il semble que les associations adoptent un mode de gouvernance « normé ». « Une association qui se crée reproduit des statuts type alors que la loi 1901 laisse une liberté de création dans les statuts ; chaque association se croit par exemple obligée d'avoir une gouvernance pyramidale mais au nom de quoi ? ».
 

« Les jeunes sont méfiants envers des associations qu’ils estiment trop rigides, institutionnalisées ».
« L’asso, c’est un truc de vieux, c’est de l’héritage ».


Les participants évoquent en revanche peu le manque de diversité au sein des associations, notamment la diversité sociale et culturelle.


Un pouvoir qui se professionnalise
C’est plus généralement la question du pouvoir dans l’association qui est posée, notamment la place des salariés qui, s’ils sont rarement considérés comme de simples exécutants, sont en revanche rarement considérés comme véritables acteurs des orientations du projet associatif. De plus, la technicité constitue un pouvoir croissant dans un contexte décrit, nous l’avons vu, comme de plus en plus complexe. Les salariés revendiquent d’ailleurs la reconnaissance de leur contribution à la « créativité associative ».
 

« Ne faudrait-il pas reconnaître le rôle des salariés et leur donner du pouvoir dans la gouvernance de l’association ? ».
« Il y a un écart qui se creuse entre bénévoles et salariés dû à l’environnement technique et réglementaire ».


Un emploi de plus en plus précaire
Les participants ont souvent évoqué les mauvaises conditions de l’emploi salarié dans les associations. A ce sujet, il faut distinguer les associations employeurs des autres et parmi elles les petites structures (quelques salariés), qui semblent particulièrement touchées. La multiplication des contrats aidés, des stages, du volontariat civil, mais aussi le bas niveau des salaires posent des questions sur la qualité de l’emploi et l’attractivité des structures associatives.

À ce propos, les acteurs ont insisté sur la nécessité d’accompagnement de la fonction employeur, notamment pour les petites structures (charges, feuilles de salaires, etc)
 

« On n’a pas les moyens d’être de bons employeurs ».
« On aurait besoin de plateformes de ressources mutualisées pour la fonction employeur, la comptabilité, les aspects juridiques, la veille législative, etc ».
« Les emplois aidés sont-ils des passerelles vers l’emploi ou des parkings du pôle emploi ? ».


Ainsi la gouvernance préoccupe les acteurs, dans le souci de s’approcher d’un idéal de démocratie interne. Le recentrage sur le projet, la réflexion sur le partage du pouvoir dans l’association et sur la qualité de l’emploi semblent donc incontournables pour l’avenir.

 

IV) Associations et engagement

L’engagement est au cœur des préoccupations des acteurs associatifs : les sujets relatifs à ce thème représentent 15 % du total des sujets évoqués.


Un « zapping » ?
De nouvelles modalités d’engagement sont pointées : les bénévoles seraient plus exigeants quant à l’efficacité de leur action, leur reconnaissance, leur liberté de « piocher » dans diverses structures des engagements de courte durée en fonction de leurs diverses convictions. Ils souhaitent davantage d’actions concrètes et semblent moins à même de s’investir dans le fonctionnement des structures (par exemple dans les conseils d’administration). Ce type d’engagement est souvent décrit de manière négative par les acteurs : les expressions « engagement zapping » « consumérisme », « attente de retour sur investissement » sont employées.
 

« L’individualisme dans le monde social, économique, politique influence l’engagement qui intègre de moins en moins la notion de bien commun ».
« Une des menaces pour le monde associatif c'est son utilisation comme lieu de consommation et non plus comme lieu de lien social. Plus les associations sont des lieux de consommation et plus elles ont du mal à trouver des bénévoles dirigeants ».


La « fin des militants » ?
Le « militantisme », comme modèle d’engagement stable et durable, semble se faire de plus en plus rare. Les nouveaux types d’engagement bousculent le modèle traditionnel des associations et sont perçus avec appréhension : la durabilité des projets et la pérennité des structures semble rendue plus difficile par ces engagements « partiels » et « volatiles ».
 

« Les bénévoles pour un coup de main sont faciles à trouver, beaucoup moins quand il s’agit d’engagement à plus long terme, encore moins quand il s’agit de trouver des responsables ».
« Hier l’engagement associatif était un vrai choix de vie, mais ce modèle est dépassé ».


Un engagement sous conditions ?
Il semble qu’une double contrainte pèse sur l’engagement : d’une part, les structures sont plus exigeantes et souhaitent que leurs bénévoles aient des compétences spécifiques et soient efficaces, d’autre part, les bénévoles deviennent plus exigeants sur l’impact de leur engagement et son apport au niveau personnel (épanouissement, formation, etc.), ce qui semble compliquer la rencontre entre les besoins des structures et les attentes des personnes.
 

« Il y a un lien entre la professionnalisation et la sélection des bénévoles en fonction de leurs compétences : on recrute de plus en plus les gens sur leurs savoir-faire davantage que sur leur « vouloir-faire » ».
« Les associations sont trop exigeantes et on demande de plus en plus aux bénévoles : un bagage, une expérience et une disponibilité quasi-totale ».


La nécessité d’un accompagnement…
Ainsi les participants pointent la nécessité de s’adapter et d’améliorer la qualité de l’accompagnement des bénévoles : accueil, intégration, suivi, formation, valorisation, etc… L’engagement doit être reconnu pour ce qu’il apporte aux projets et évalué pour faire la preuve de son impact et motiver les personnes. A ce sujet, face aux multiples transformations que vivent les associations, l’insuffisance de la formation des bénévoles est très souvent constatée.
 

« Il y a une hybridation des statuts « classiques » dans l’association : on voit apparaître des salariés militants, des salariés qui font du bénévolat, des bénévoles professionnels, des volontaires… ».

 

V) Associations et champ politique

Les sujets liés à cette thématique représentent 18% des réponses. Parmi ces sujets on trouve principalement des éléments relatifs aux relations entre associations et pouvoirs publics (7% du total des sujets), aux évolutions de la démocratie (4%), au durcissement du cadre réglementaire et légal (3%), à la contribution des associations à la construction de l’intérêt général (3%).


Le contrôle : entre contraintes et complexité
Les participants décrivent une complexité grandissante du cadre dans lequel s’inscrivent leurs activités, qui alourdit leur mode de fonctionnement. Les raisons identifiées sont l’augmentation des diverses contraintes réglementaires et législatives, mais aussi les contraintes administratives (gestion des agréments, exigences comptables, indicateurs de résultats) : les participants parlent de « normalisation » des activités associatives. En outre, les normes de sécurité pèsent de plus en plus sur la gestion des différents projets, ce qui limite les initiatives. Le cadre réglementaire européen est souvent évoqué pour illustrer cette complexité et ce qui est vécu comme un « contrôle de l’activité des associations ».
 

« Certains secteurs font l’objet d’un bombardement réglementaire et législatif qui impacte tant ses méthodes que ses rapports à la puissance publique ».


La démocratie associative, un contre-pouvoir
Les acteurs évoquent la montée de la défiance vis-à-vis de la sphère politique, la volonté croissante d’engagement des citoyens, la perte de crédibilité des élites politiques comme des évolutions importante qui amènent à promouvoir le rôle de la société civile, notamment des associations, comme acteurs de la démocratie. La culture de l’urgence et de l’émotionnel, le rôle des medias et la circulation de l’information constituent également une nouvelle donne.

Concernant plus particulièrement les relations entre associations et pouvoirs publics, les acteurs évoquent fréquemment un sentiment croissant d’instrumentalisation et de dépendance.

L’importance croissante des collectivités territoriales dans les partenariats publics des associations est très nette selon les acteurs, les collectivités ayant pris le relais de l’Etat dans le financement des missions d’intérêt général portées par les associations, permettant d’amortir partiellement le désengagement financier de l’Etat. Certains évoquent à ce propos, en raison de la proximité du pouvoir politique local, une forme d’ « autocensure » et des ambiguïtés de positionnements de certains responsables associatifs vis-à-vis des élus. Enfin, la réforme des collectivités est de nature à influencer les dynamiques partenariales entre les associations et les pouvoirs publics selon les participants.
 

« Si les élus respectaient les lois, les asso telles que les nôtres n'auraient pas besoin d'exister... Quand les élus nient la loi, la ressource des asso est souvent le pouvoir de nuisance».


Les partenaires publics semblent de plus méconnaître le monde associatif, sa diversité, ses particularités. Le recours aux appels à projets et appels d’offre qui mettent en concurrence les acteurs associatifs avec des entreprises lucratives ajoute à ce sentiment. Sur ce sujet, ils constatent que le secteur en attend trop de la part des pouvoirs publics, se positionne en « demandeur » et pas assez en position d’acteur à part entière de l’espace public. Le monde associatif semble de plus reproduire le modèle et les pratiques des pouvoirs publics dans son mode de fonctionnement et sa structuration.
 

« Les associations sont devenues des gestionnaires de dispositifs, des auxiliaires des pouvoirs publics ».
« Il faut changer la mentalité des associations pour qu'elles passent de demandeurs à partenaires dans l'utilité sociale ».


L’intérêt général : une auberge espagnole ?
La référence à l’ « intérêt général » est très présente dans les discours et prend des sens divers. Les associations se positionnent comme incontournables pour faire face à de multiples défis : leur connaissance des besoins et leur proximité avec les populations, leur capacité à créer du lien social, leur expertise sur de nombreux problèmes sociaux sont autant d’éléments qu’il convient de valoriser et de « faire reconnaître ». Face à la nécessité d’inventer un nouveau modèle de développement, les participants aux groupes locaux identifient des ressources et des capacités d’innovation présentes dans le secteur associatif, qu’il conviendrait de diffuser plus largement.
 

« Pas de complexe : puisque les associations rendent un service à la collectivité, il est normal que cette dernière les subventionne. »

Alors que les transformations rapides de notre société appellent de nouvelles réponses, les participants identifient tout autant d’éléments inquiétants concernant la place des associations dans l’espace public, que de ressources et d’opportunités, leviers potentiels de leur place future comme acteurs centraux de notre démocratie. Sauront-elles s’en saisir ?

 

VI) Association et société civile

Cette thématique représente 14.5% des réponses. Il s’agit d’éléments relatifs à la force politique du monde associatif (7%), aux relations entre associations et à la structuration du secteur (5.5%) et à la place des associations dans la société civile (2%).


Le monde associatif est-il une force politique ?
Pour la grande majorité des participants, le monde associatif doit devenir un acteur politique à part entière et renforcer sa capacité à peser sur les évolutions futures de notre société. Son rôle d’alerte et d’interpellation est très souvent évoqué, et la nécessité de contre-pouvoirs issus de la société civile dans notre démocratie. Face à cet enjeu, les participants constatent pourtant une « faiblesse politique récurrente », un manque de « parole commune » du secteur, alors même qu’il a acquis un poids considérable dans la société, que son poids économique augmente régulièrement et qu’il emporte les faveurs de l’opinion publique à chaque nouveau sondage concernant la vie associative.
 

« La notion de stratégie, la logique du « qui sommes-nous, où allons-nous et comment ? » commence à peine à émerger dans le monde associatif ».


Cette force est-elle visible et lisible ?
Le manque de vision stratégique et d’identité collective sont fortement regrettés. Le secteur semble avoir des difficultés à assumer sa double nature d’acteur économique et politique et souffre d’une « perte de repères », d’un « manque de clarté » dans son discours, d’un manque de lisibilité. En outre, la visibilité de ses activités vis-à-vis de l’opinion publique reste très limitée : les citoyens semblent avoir une image partielle du monde associatif, voire très éloignée de sa réalité.
 

« Face à la mondialisation et ses incertitudes, aux révolutions numériques, aux enjeux de développement durable, à la nécessité de réaffirmer certaines valeurs, les associations manquent de visibilité et de réactivité ».


Les associations doivent-elles s’unir ?
C’est pourquoi la nécessité de se regrouper entre associations est souvent pointée comme un impératif de plus en plus fort. Pas seulement pour faire face à la raréfaction des ressources financières et mutualiser les moyens, mais surtout pour peser davantage dans les transformations sociales.

Les participants évoquent à ce sujet une concurrence accrue entre structures associatives d’un même secteur ou territoire et un éparpillement des initiatives, une mauvaise connaissance des associations entre elles.

Nombreux sont donc ceux qui souhaiteraient une affirmation politique plus importante. En même temps d’autres participants pointent les impasses d’une parole collective du secteur en raison de son hétérogénéité, ainsi que les difficultés des relations dans un secteur où « chacun prêche pour sa paroisse »…


« Parler « des » associations a-t-il encore un sens ? »
En outre, les participants décrivent un monde associatif traversé de clivages de plus en plus importants entre associations, selon qu’elles se soient « institutionnalisées » ou non, qu’elles aient fonction d’employeurs ou non, selon que leurs usagers sont des populations solvables ou non, selon qu’elles aient développé des relations avec les entreprises, selon leur capacité à maîtriser les réponses aux appels à projets… sans parler des « vraies » et des « fausses » associations (les « faux-nez »), expressions qui reviennent régulièrement dans les échanges.
 

« On devrait peut-être, comme pour les entreprises, faire des distinctions pour mieux dire de quoi l’on parle : pourquoi ne pas dire qu’il y a des TPA, PMA et GA, pour désigner les très petites, les petites et moyennes et les grandes associations ? »

« La loi de 1901 est un fourre-tout où on peut trouver le pire comme le meilleur »


Les associations transforment–elles la société ?
S’unir apparaît donc d’autant plus urgent selon les groupes locaux et nombreux sont ceux qui souhaiteraient voir le monde associatif se positionner sur les grands sujets de société, aux côtés d’autres acteurs de la société civile. Les participants évoquent fréquemment les nouvelles formes de mobilisation (collectifs, groupes informels, mobilisations ponctuelles via les réseaux sociaux, etc) qui attirent l’attention des médias et « créent le buzz » sur des champs où pourtant les associations agissent de longue date, mais « dans l’ombre ».

La question de fond à débattre semble plus que jamais : le monde associatif est-il un tampon des évolutions de la société ou doit-il se positionner franchement dans le champ de la transformation sociale ? Le monde associatif est-il constitué d’identités trop spécifiques pour se coordonner dans un mouvement politique qui les dépasse ?

 

Conclusion


Les 55 groupes locaux animés au cours de « Faire ensemble 2020 » témoignent de l’immense richesse des réflexions qui traversent le monde associatif, de la lucidité du secteur sur une bonne partie de ses blocages et limites, tout autant que sur les atouts dont il dispose face à l’avenir.

Néanmoins, pour conclure cette synthèse, nous souhaitons insister sur trois sujets, peu présents dans les débats et qui semblent pourtant fondamentaux pour l’avenir du secteur :

  • la diversité socio-culturelle des personnes qui portent les projets (les associations ne souffrent-elles pas d’uniformité socio-culturelle de leurs bénévoles et encore plus, de leur dirigeants ?),
  • les usages numériques (logiciels libres, outils participatifs, « pollinisation » des idées par le web), 
  • et enfin, les relations avec les entreprises qui pourraient être pensées autrement que comme un pis-aller de la baisse des financements publics.

De plus, la faible fréquence des thèmes relatifs aux évolutions de la société, à l’environnement du monde associatif donnerait l’impression d’un secteur « autocentré », alors même que les participants souhaiteraient des prises de position du secteur sur les transformations sociales que nous vivons.

Ces échanges témoignent aussi des débats à ouvrir ou réouvrir, des blocages qui durent depuis des années et qu’il faudrait dépasser, et invitent le monde associatif à une prise de position forte dans l’espace public afin de devenir un acteur reconnu, incontournable, de notre démocratie et de notre modèle de développement.

La satisfaction exprimée par les participants après avoir expérimenté la méthodologie de ces groupes locaux a mis en lumière la nécessité de « sortir la tête du guidon » et de « croiser les regards » pour mener collectivement une réflexion stratégique. Face à la remise en cause de la durabilité des projets et de la pérennité des structures, les acteurs souhaitent manifestement penser l’avenir en joignant leurs forces pour franchir un cap d’ici 2020.

 

Analyses et recherches
Synthèse