Éclairage sémantique. De la part d’un économiste, le titre peut surprendre à une période où les termes de collaboratif, coopératif et même participatif sont utilisés indistinctement. En fait, l’ouvrage rompt avec les mythologies économiques déjà décryptées dans un ouvrage précédent pour nous faire découvrir les conséquences d’une croissance de la collaboration au détriment de la coopération. L’argumentation précise d’abord le terme de coopération et le compare à la collaboration. Cette dernière vise un « faire », qui s’exerce au moyen du seul travail et s’organise dans la verticalité par une association à objet et durée déterminés.
Par contre, la coopération consiste à œuvrer librement, et de concert, au-delà de questions de survie ou de reproduction, pour une quête d’amélioration de nos connaissances. C’est un processus de libre découverte mutuelle qui sollicite l’ensemble des capacités et des finalités humaines. Son horizon n’est pas fixé, son utilité et son efficacité se découvrent au cours de la coopération. Elle permet l’ordonnancement et la synthèse d’un monde existant en faisant émerger l’inattendu et un monde qui reste à créer. Coopérer, c’est apprendre à connaître ensemble, c’est ce qui transforme les humains en pédagogues les uns pour les autres.
Pour autant, la coopération n’est pas vertueuse par elle-même ; si elle peut être altruiste, elle peut aussi être opportuniste. Les individus ne sont pas nés coopérateurs, mais le sont devenus grâce aux institutions formelles et informelles qui offrent un cadre favorable. Alors que jusqu’à présent la coopération avait toujours progressé, trois crises apparaissent avec son affaiblissement et menacent l’économie, le social et notre démocratie. À ce titre, nous retrouvons l’épidémie de solitude qui progresse fortement, l’apparition de nouveaux passagers clandestins qui utilisent les règles (lois, fiscalité…) à leurs seuls avantages, ce qui contribue à créer de fortes inégalités, et l’accélération du temps par l’hypertrophie du numérique au détriment de l’écologie.
Sortir des crises. Dans la seconde partie du livre, en reprenant l’histoire de ces deux approches sur un demi-siècle chez quelques auteurs, Éloi Laurent examine les impacts de la diminution de la coopération sur trois terrains. La puissance publique a la charge de la protéger et de la promouvoir en s’appuyant sur les principes de justice et de refus des inégalités et, pour cela, veille à ce que la monnaie et le souci d’efficacité n’empêchent pas la coopération de se renforcer.
La ville représente un autre élément essentiel, avec sa diversité et son urbanisme qui doivent faciliter les relations et les sympathies multiples. Quant au terrain de l’entreprise, il constitue un espace particulier — le lieu de l’arbitrage. Aussi importe-t-il que le collaboratif n’étouffe pas l’esprit de coopération. Les individus savent aujourd’hui coopérer avec différents publics ; ils recherchent de nouvelles associations pour progresser, y compris dans des collaborations plus riches.
Les sociétés collaboratives sont des sociétés frénétiques, mais dévitalisées, réduisant le bien-être des individus et l’intelligence collective. Au contraire, les coopératives favorisent les engagements et dotent les acteurs d’une résilience pour transformer l’incertitude en risque. Cependant, elle n’est pas vertueuse par essence et, en absence de coopérations suffisantes entre les acteurs, certains peuvent coopérer pour utiliser la situation à leur seul profit.
À l’issue de l’analyse des trois crises, l’auteur nous invite à renouer avec la confiance autour d’un récit commun ; c’est le cœur de la coopération. Il appelle à une approche pluridisciplinaire pour fonder une économie civile avec de nouveaux indicateurs, et organiser un système fiscal et social plus mobilisateur, montrant que les marges en France et en Europe sont réelles. Il termine en attirant notre attention sur les enjeux d’une décélération du numérique au bénéfice d’une transition écologique vitale.
Éloi Laurent, L'Impasse collaborative, pour une véritable économie de la coopération. Paru aux éditions Les Liens qui libèrent en octobre 2018. 192 pages.