Surmontant de multiples obstacles, ces derniers ont réussi à trouver leur chemin professionnel, en étant passés par Sciences Po Grenoble ou l’ENA. Pour des millions d’autres, l’égalité des chances est une idée, certes généreuse, mais qui ne les concerne pas. C’est cette situation que les deux auteurs ont souhaité nous présenter dans leur ouvrage, et qu’ils s’emploient à trans- former à travers l’association qu’ils ont créée, Chemins d’avenirs.
Le livre propose une analyse robuste qui reprend de nombreux rapports, études, sondages, et passe au crible les questions soulevées par les différentes réformes engagées par les ministères, comme ceux de l’Éducation nationale, des Sports, de la Culture, de la Cohésion des territoires, ou les expérimentations réalisées en lien avec le Commissariat général à l’égalité des territoires.
Le premier intérêt de l’ouvrage est d’organiser des informations de multiples sources qui, prises séparément, ne donnent pas une vision très concrète des difficultés rencontrées par ces jeunes. De plus, il rend les situations vivantes en intégrant de nombreuses histoires de jeunes que les auteurs parrainent avec leur association. Il donne également la parole à des parents, des professeurs, des entrepreneurs, des recteurs, des conseillers d’orientation...
Tous se sentent démunis pour soutenir les talents repérés et favoriser la mobilisation de tous. Les auteurs nous font découvrir l’écosystème qui parfois soutient ou, faute de moyens, freine les jeunes dans leur ambition et leur recherche de mobilité sociale. De ce fait, nous entrons dans une réalité bien au delà de l’école.
Car l’apprentissage des codes sociaux et des savoir-faire transversaux indispensables pour progresser se fait aussi par la fréquentation du cinéma, du théâtre, des médiathèques, des sports, des activités artistiques, des voyages à l’étranger.
Beaucoup d’activités inaccessibles quand les clubs sont souvent à quarante-cinq minutes de trajet et sans transport collectif après les horaires de ramassage scolaire. Même les zones blanches d’Internet ou le faible débit deviennent une réalité tangible quand les jeunes et leurs parents cherchent à s’informer sur les filières de formation et les parcours possibles dans une période d’hyperspécialisation et de transformation rapide des métiers.
Au-delà de l’ensemble de ces freins, des situations familiales, du chômage, du manque de dynamisme des entreprises locales, des coûts pour rejoindre des métropoles régionales, et de la faiblesse des réseaux personnels, ce livre met aussi en lumière les aspects de méconnaissance des aides possibles, l’autocensure, l’auto-dénigrement qui s’ajoutent et contribuent à l’isolement géographique. Alors, l’ambition, « c’est pour ceux des villes et des banlieues ». Sans une évolution des écosystèmes, il est difficile d’imaginer une mobilité, et encore plus vers l’étranger. Aussi chacun a-t-il tendance à rechercher son avenir dans l’espace connu. Dans un tel cadre, la mobilité constitue un risque et l’échec est durement ressenti.
Dans une période où les mobilités dans la France périphérique sont en baisse et où l’on s’alarme de la faible diversité du recrutement des universités ou des grandes écoles, il est central pour la République d’offrir de véritables chances à ces jeunes talents. Si l’État ne peut pas tout faire, la société civile ne peut pas y arriver seule. Il est indispensable de développer des politiques publiques adaptées, ambitieuses et qui ne sous-estiment pas les obstacles à dépasser.
Nos deux auteurs ne s’arrêtent pas au diagnostic et, c’est aussi l’intérêt de ce livre, outre le témoignage d’actions menées pour créer des écosystèmes de réussite, ils nous livrent un projet, fruit de leur engagement, bien argumenté, dont ils précisent les objectifs, le fonctionnement et même le financement nécessaire.
Salomé Berlioux et Erkki Maillard, Les invisibles de la République. Comment on sacrifie la jeunesse de la France périphérique. Paru en janvier 2019 aux éditions Robert Laffont, 224 pages.