Dès les premières enquêtes de Faire ensemble 2020, la question des rapports entre l’individu et le collectif s’est imposée comme essentielle pour l’ensemble des acteurs associatifs et nous avons eu l’intuition qu’il ne s’agissait pas seulement de la question de l’individualisme. Nous avons alors parlé de « reconfiguration des individus ». Les contributions qu’on pourra lire ici permettent de poursuivre la réflexion en contrechamp, sous l’angle des nouvelles règles du jeu collectif.
L’individu contemporain n’est ni plus ni moins un individu que celui des époques antérieures, il n’est ni plus seul ni plus noyé dans la masse mais la place qu’il occupe dans le système des règles de l’action collective a changé.
En premier lieu, sa subjectivité a acquis des droits. Alain Touraine propose même d’appeler Sujet la personne humaine porteuse de droits universels et inaliénables, renversant ainsi l’architecture du droit jadis ordonné autour de la figure du Souverain. Ensuite, ce Sujet ne se définit pas par la place qu’il occupe mais par le parcours qu’il effectue dans la société, au cours duquel il adoptera des identités simultanées ou successives. Enfin, c’est de ce montage identitaire (au sens que le cinéma a donné au mot montage) qu’il recherchera et revendiquera la singularité.
Ce citoyen est-il mobile et singulier au point d’être insaisissable ? N’est-ce pas cela qu’on appelle la « montée de l'individualisme » ? Les filets usés de nos organisations ne parviennent plus à attraper ce poisson migrateur, lequel ne cherche pas tant à leur échapper qu'à faire société selon de nouvelles règles qui s'écrivent au fil de l'expérience. Dans l'entreprise, dans l'association, dans l'activité bénévole d'une journée ou d'une période de ma vie, je ne suis pas seulement disponible à autrui mais j'ai besoin pour moi-même de ces moments d'engagement où je peux faire cause ou œuvre commune avec des semblables aussi singuliers que moi.
Les articles d'Antoine Colonna d'Istria et de Pierre Hurstel prolongent la réflexion ouverte dans ces colonnes depuis deux ans sur les relations entre associations et entreprises et confirment que les unes et les autres vivent dans le même monde fait des mêmes individus. Ainsi, les représentations de l'engagement bénévole qu'analyse Jean-Michel Peter éclairent les ressorts de la relation entre les salariés et leur entreprise, pour peu que celle-ci ne les compte pas seulement comme une charge dans le compte d'exploitation.
Christophe Dansac attire cependant notre attention sur une difficulté particulière du management des bénévoles : il ne suffit pas qu'ils soient accueillis et reconnus dans l'association, il faut encore qu'ils se « sentent utiles », c'est-à-dire qu'ils mesurent la part de leur apport personnel dans l'action collective et plus encore son influence sur la prise de décision.
La gouvernance associative, à laquelle nous consacrons actuellement un groupe de travail, ne se réduit donc ni au renouvellement des dirigeants, ni à la transparence des comptes, ni à la place des parties prenantes, mais pose la question du pouvoir accordé à chacun. Ne pas oublier que dans pouvoir d’agir, il y a pouvoir.
A l’heure où l’engagement associatif est élevé au rang de grande cause nationale, le pays se trouve confronté à une crise politique qui, à force d’être rampante, finira par devenir majeure. Il serait présomptueux de croire que la vitalité associative suffira à redonner de l’oxygène à une démocratie essoufflée.
Mais on doit au moins mesurer la responsabilité des acteurs associatifs : ils sont à la fois des prescripteurs de bien commun et des incubateurs de singularité ; ils n’énoncent de règles pour autrui, ni sur le terrain de l’efficacité productive comme les entreprises, ni sur celui du droit comme l’Etat, mais ils expérimentent, pratiquent et vérifient des règles du jeu collectif qui ont valeur d’éthique pour ceux qui les respectent.
Une vie associative réussie, c’est lorsque l’engagement de chacun fait la règle de tous, lorsque l’on parvient à produire du commun avec du singulier.