Engagement Associations et entreprises

Epanouissement individuel et collectif : le cas pro bono

Tribune Fonda N°221 - Quels horizons collectifs pour demain ? - Avril 2014
Antoine Colonna d’Istria
Antoine Colonna d’Istria
« Le rapport individu-société forme un complexe vivant, dont il serait erroné d’opposer ou de confondre les éléments. […] Anthropologiquement, la société est le courant force qui traverse l’individu et le libère de l’espèce. » Edgar Morin, dans L’Homme et la Mort.

Le pro bono désigne l’engagement volontaire de ses compétences pour le bien public. Concrètement, un ou plusieurs bénévoles aident une association en partageant leurs connaissances et leurs savoir-faire professionnels. Le mouvement s’est développé aux États-Unis, en Europe et en Asie : aujourd’hui, il se pratique dans plus de vingt pays dans le monde. En France, Pro Bono Lab participe au développement du pro bono en coopération avec des associations comme Passerelles et Compétences, Vidéaux et SoScience!


Depuis janvier 2012, l’association Pro Bono Lab a mobilisé plus de 1 200 personnes pour offrir près de 20 000 heures de conseil gratuites pour les associations. Nous proposons plusieurs formules conçues pour répondre aux enjeux des différentes personnes impliquées : les associations d’abord, puis les volontaires1, enfin les entreprises et les partenaires qui soutiennent nos projets. Au cœur de cette activité se trouvent plusieurs méthodes dont deux ont désormais fait leurs preuves : le Diagnostic Probono et le Marathon Probono. Ces méthodes ont en commun trois principes : une intervention ponctuelle, en équipe et valorisant les compétences professionnelles des participants.


Le Diagnostic Probono a pour objectif de formaliser les besoins en compétences de l’association afin de proposer des missions pertinentes à des volontaires pour y répondre. Il est réalisé grâce à un travail documentaire et à un entretien, menés par deux ou trois volontaires, éventuellement avec l’aide d’un permanent de Pro Bono Lab. Le Marathon Probono est la méthode utilisée pour réaliser les missions utiles aux associations sur un temps court. Au cours d’une journée de 8h à 24h, un atelier réunit cinq à dix volontaires et trois responsables associatifs pour qu’ils puissent définir ensemble la nouvelle stratégie de communication de l’association, ou encore établir un plan d’action pour faire évoluer son organisation ou son modèle économique. Le critère déterminant pour que la rencontre soit réussie est l’utilité de la mission pour l’association : c’est pourquoi la définition du besoin en amont grâce au diagnostic est fondamentale.


Ainsi que s’est exclamée Marie Hommeau à l’issue de sa première expérience en mai 2012 : « Le Marathon, c’est du one shot et ça vous shoote ! » Depuis janvier 2012, plus de 170 Diagnostics et plus de 150 missions Marathons ont été réalisés en France : la satisfaction des associations et des volontaires vis-à-vis des missions est excellente, environ 95 % de chaque côté. Ces méthodes inspirées de nos recherches à l’étranger ont l’avantage de mobiliser l’association et les volontaires sur des temps bien délimités : ainsi l’on garde le contrôle de son engagement, ponctuel d’un côté comme de l’autre. Depuis qu’elle a découvert le pro bono, Marie a participé à d’autres Marathons et elle s’est si bien investie qu’elle est devenue présidente de Pro Bono Lab ! La vocation du Marathon est en effet de faciliter une rencontre ponctuelle qui à la fois sert l’épanouissement individuel de tous les participants, et qui peut être suivie de coopérations plus durables en créant une volonté collective autour de l’association.


Les projets pro bono en équipe sont une excellente manière de promouvoir le bénévolat. Chloé, une participante, raconte : « Ce Marathon Probono était ma première expérience de bénévolat. Je suis arrivée un peu réservée car je ne savais pas vraiment ce que c’était. Je suis contente du cheminement que nous avons eu ensemble et de voir comment on est passé de quelque-chose de flou à quelque-chose de structuré. » L’approche pro bono correspond aux évolutions de l’engagement : un bénévole plus exigeant et plus enclin à chercher un épanouissement personnel. Le pro bono renouvelle le genre ; en valorisant les compétences des volontaires, il légitime leur envie d’épanouissement personnel et permet de dépasser certains préjugés sur le bénévolat. Marie-Sophie l’exprime : « J’ai trouvé ça super de contribuer différemment. Cela fait partie de mes valeurs et c’était une de mes ambitions personnelles que d’amener mon expérience professionnelle dans le monde associatif. »


Pourtant, sans aucun doute, l’épanouissement personnel reste intimement lié à la dimension collective des projets. Marie-Sophie prolonge : « J’ai pris beaucoup de plaisir à travailler avec des associations et des collègues que je ne connaissais pas. Je trouve valorisant de voir tout ce qu’on peut mettre en place dans un délai aussi court, grâce notamment au travail d’équipe. » En effet, les volontaires apportant chacun leur perspective, l’enrichissement de tous est décuplé. La diversité des profils crée de la complémentarité, qui permet à l’individu de reconsidérer son savoir et de l’approfondir, tout en développant sa créativité. Cela lui est utile pour sa vie personnelle, ainsi que l’exprime Agathe : « Comme je cherche un emploi en ce moment, c’est valorisant d’être utile, de “ servir à quelque-chose ”. » Avec une animation dynamique des projets inspirée des bonnes pratiques de management, les projets développent les compétences des volontaires et cela s’avère aussi utile pour leur vie professionnelle, comme pour Thibaut : « J’ai bien aimé le fait qu’il y ait des personnes qui viennent d’un peu partout : cela permettait de confronter les points de vue. J’ai apprécié les changements de rythme dans la journée : entre un moment de diagnostic, des moments plus créatifs, plus libres, de brainstorming, et puis un effort de formalisation, pour rendre quelque chose de concret, avec un focus. J’ai appris beaucoup de choses qui vont servir dans la start-up dans laquelle je travaille. »


Ces projets permettent ainsi de faire émerger une dynamique collective qui réalise le principe associatif : mobiliser des individus autour d’une culture et d’un projet collectifs. Les responsables associatifs sont au centre de l’attention lors des interventions et ils tirent de nombreux bénéfices de ce regard externe mais bienveillant. Daniel, responsable associatif, le résume : « Je suis impressionné car les volontaires sont vite rentrés dans le sujet, ils ont eu une facilité à venir vers nous. Nous sommes structurés dans nos têtes mais avons du mal à l’exprimer, nous avons la tête dans le guidon. Nous essayons de nous poser et d’être clairs sur l’avenir. Cette journée a été très riche et très encourageante : c’est un ballon d’oxygène qui nous regonfle pour la suite. » Le collectif émerge naturellement et sensiblement, les bénévoles ponctuels créent rapidement un lien fort, entre eux, mais aussi avec l’association comme en témoigne cette salariée d’association : « J’ai été assez impressionnée par le résultat, et surtout par le fait que les volontaires utilisent le “ on ” comme s’ils faisaient partie de l’association. »


Face à une équipe pro bono, l’association a l’occasion de montrer son plus beau visage. Expliquer son projet à un groupe pour l’impliquer rapidement est un vrai exercice pratique de communication. Finalement, les volontaires issus du monde de l’entreprise ou des universités adhèrent souvent très fortement aux projets visant à transformer la société ; en particulier lorsque ceux-ci montrent un visage humain et acceptent la transparence. Farah illustre ce thème : « Je suis admirative et impressionnée par le travail de l’association. Je suis contente du choix de l’association, car le fait de travailler sur une petite structure permet d’être connecté rapidement au projet. Nous n’avons pas eu de censure pendant la journée. » Au cours d’une journée pro bono, l’équipe associative et les volontaires se mettent d’accord sur un plan de travail à suivre par l’association pour gérer et développer son projet. Pour l’association, c’est aussi l’occasion de discuter entre bénévoles administrateurs et salariés avec l’aide d’un regard extérieur qui permet d’aller en profondeur dans les sujets, et ainsi de mieux aligner les visions de chacun pour prendre des décisions. La cohésion de l’équipe associative en sort renforcée. Dans ce cadre, les volontaires comme Charlotte sont prêts à aller beaucoup plus loin qu’un engagement ponctuel : « Pour nous, ça a été une journée extrêmement enrichissante car le projet est enthousiasmant, il tient la route, on a envie de les accompagner et de les aider. On a le sentiment d’avoir été utiles, on les a bousculés. Je pense qu’on a donné de bonnes idées et on espère pouvoir les accompagner par la suite. »


Le pro bono en équipe, qu’il ait lieu dans le cadre du bénévolat ou du mécénat de compétences, offre donc une opportunité aux associations et aux volontaires de s’épanouir ensemble, à titre individuel et collectif. Bien entendu, il y a toujours des risques, la conjonction entre intérêt particulier et volonté collective n’est pas toujours évidente. Parfois, le collectif devient trop pesant et limite la liberté de parole : cet effet mouton réduit la créativité et l’épanouissement. Parfois, c’est un individu qui ne s’inscrit pas dans la ligne collective et peut devenir gênant pour les autres. C’est là que le rôle de l’intermédiaire entre l’association et l’équipe volontaire est fondamental. Selon nous, plusieurs postures sont possibles, mais un bon intermédiaire ne doit pas s’arrêter à la mise en contact : il doit proposer un support tout au long des projets pro bono, un suivi ou une animation, afin de simplifier les relations entre les volontaires et l’association. Pour cela, il doit être sérieux, tolérant et optimiste. Sa tâche est de comprendre les aspirations collectives tout en respectant chaque personne dans toute sa complexité ; ce qu’Edgar Morin appelle « la double polarité de l’individualité humaine : ouverture aux participations et auto-détermination ».

1. Le pro bono regroupe bénévolat et mécénat de compétences, aussi utilisons-nous le terme de « volontaires » pour désigner les participants au projet, qu’ils interviennent sur leur temps de travail (donc de façon rémunérée) dans le cadre du mécénat de compétences ou de façon bénévole sur leur temps libre.

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