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Évolution des associations

Tribune Fonda N°229 - Les associations dans un monde en transition – Écologie et économie - Mars 2016
Jean Bastide
Jean Bastide
Et Francine Évrard, Jacqueline Mengin, Michel de Tapol
L’extrême diversité du monde associatif est le résultat de la mise en application d’une loi de liberté qui fait désormais partie du patrimoine. Les quelques modifications qui ont été apportées au cours de l’histoire n’ont pas modifié la philosophie qui a inspiré ses initiateurs.

Cependant, au regard des principales tendances qui traversent la société contemporaine, on ne peut en conclure que toutes les associations sont à égalité : certaines profiteront d’opportunités nouvelles alors que d’autres subiront plus ou moins lourdement les conséquences des évolutions actuelles. C’est pourquoi nous distinguons deux catégories d’associations, les « gestionnaires », très minoritaires (16,4%) mais dont le budget représente 58% du budget total des associations, et où la dimension économique est forte. Les associations non gestionnaires, en revanche, sont caractérisées par une dominante bénévole, même si certaines d’entre elles ont recours à l’emploi salarié. Le modèle économique des premières est évidemment plus complexe, notamment pour faire face à une concurrence qui se développe de plus en plus.

C’est à la fois sous la pression de besoins non pris en compte, et souvent sur incitation des pouvoirs publics que les secteurs social, médico-social, éducation, formation et insertion et tourisme ont connu un fort développement, le plus souvent pour mettre en œuvre des politiques publiques, et que se sont développées les associations gestionnaires, manipulant de gros budgets. De ce fait, les logiques d’action et les modes d’organisation des deux catégories d’associations ont des différences majeures. En termes d’emplois salariés, 86% des associations ne fonctionnent qu’avec des bénévoles et seulement 14% recourent à l’emploi salarié.

Les associations gestionnaires

Les principales évolutions

La domination de l’idéologie libérale

Si la raréfaction des ressources publiques touche l’ensemble des associations, c’est le modèle économique des associations gestionnaires qui se trouve le plus bouleversé. Depuis deux décennies on assiste à une domination progressive de l’idéologie libérale (après les années Thatcher et Reagan), la réflexion sur des modèles alternatifs demeurant très modeste. L’action publique emprunte de plus en plus la voie de la gestion quasi-marchande avec accentuation de la privatisation de services publics. Ces mutations entraînent les associations de gestion dans une dynamique de marchandisation caractérisée par la prolifération des appels d’offres et la tarification à l’activité dans un contexte de mise en concurrence généralisée. Les domaines « réservés » au monde associatif disparaissent rapidement, les politiques de « solvabilisation » des personnes ont abouti à une diversification de l’offre de services où le privé non lucratif est confronté de plus en plus au privé lucratif. À terme, de la généralisation des appels d’offres déplace l’initiative, qui bascule progressivement de l’association à la puissance publique.

Chiffres clefs


Total : 1,3 million d’associations actives en France.
Répartition des associations par secteurs d’activité :
- Sports 24,40%
- Loisirs 20,80%
- Culture 20,50%
- Défense des droits 13,10%
- Action sociale 10,30%
- Action humanitaire 3,90%
- Education, formation, insertion 3,60%
- Défense des intérêts économiques 3,40%

71 573 associations créées de septembre 2013 à août 2014, soit +5,8% par an d’associations en activité.
1 946 associations reconnues d’utilité publique en 2015.
23 millions de Français adhérents à une association.
16 millions sont bénévoles dont 73% ont un engagement régulier.


Source : Le paysage associatif français, Viviane Tchernonog, Juris éditions - Dalloz, 2013. Rapport du Hcva : Bilan de la vie associative 2012-2014 (paru en 2015).

 

Des mutations sociétales

Dans une société de plus en plus gangrénée par le chômage de masse et de longue durée qui touche toutes les catégories sociales, où la représentation démocratique est en crise, et les corps intermédiaires en perte de crédibilité, l’engagement bénévole ou militant change de nature. De longue durée il devient plus ponctuel et changeant. Est lointain le temps où professionnels (appelés permanents) et bénévoles étaient issus du même milieu ; l’ampleur des projets et leur poids économique ont donné naissance à une technostructure très exigeante en matière de guidance politique. Ces phénomènes contribuent à déstabiliser de nombreuses associations gestionnaires qui souffrent plus que d’autres d’une difficulté à renouveler leurs dirigeants administrateurs dont beaucoup craignent de ne pas être en capacité d’assumer leur fonction. La plus grande mobilité des individus (géographique, emploi …) contribue à accentuer ce phénomène.

Gouvernance et associations gestionnaires
Les associations gestionnaires souffrent de la crise profonde du renouvellement des dirigeants associatifs constatée depuis plusieurs années. Elles ont besoin d’un engagement dans la durée, ce qui favorise l’implication de retraités – risque de gérontocratie – au détriment des actifs peu disponibles. D’autre part, diriger une association gestionnaire est souvent aussi complexe, si ce n’est plus, qu’une entreprise, vue la multiplication des sources de financement et la complexité de certaines voies pour y parvenir (financements européens…). Ces exigences aboutissent souvent à l’omniprésence de la fonction technicienne, au détriment de la fonction et de la responsabilité politique, celle des administrateurs.

Autonomie du secteur associatif
Le risque d’instrumentalisation des associations gestionnaires croît avec la non prise en compte du projet associatif dans le cadre de la commande publique. La relation qui s’installe est alors celle d’un donneur d’ordres à un sous-traitant. Si à cette pratique s’ajoute la concurrence des associations entre elles et avec le secteur marchand, l’autonomie de l’association n’est au mieux qu’une affaire de marge.

Trois hypothèses pour l’avenir des associations gestionnaires à dix ans

Sur la base de ces principaux constats, quelles sont les évolutions possibles pour les associations gestionnaires ?


La régression
Le tournant de la marchandisation a été pris, aucun retour en arrière n’est possible, l’économie plurielle se disloque car les interventions régulatrices des pouvoirs publics se font de plus en plus rares. Les associations, financièrement fragiles, n’ont plus les moyens de résister à la pression des marchés et les conseils d’administration constitués sur la base de valeurs, ne sont pas familiers, et encore moins préparés, à affronter une logique de concurrence. Elles envisagent désormais de passer le relais. Les plus lucides – pour ne pas dire responsables – n’attendent pas la limite du dépôt de bilan pour accepter de fusionner avec des associations de secteurs plus solides au plan économique, ou se tourner vers des entreprises d’économie sociale et solidaire ; pour d’autres on assiste à des reprises d’activité par des collectivités territoriales ou, plus souvent, par des organismes lucratifs.

Les associations s’adaptent
La marchandisation se poursuit, la concurrence est toujours aussi sévère et la commande publique ne fait pas de distinction entre les différents statuts d’entreprises. Désormais, en matière de gestion, une association n’a rien à envier à la gestion d’une entreprise. L’adaptation à cette situation est rendue possible par la convergence de deux phénomènes : le recrutement de professionnels de haut niveau de formation, ayant suivi des cursus très diversifiés, et des employeurs souvent issus des mêmes milieux et de catégories sociales élevées. Des partenariats se développent, notamment avec des fondations d’entreprises encouragées par des avantages fiscaux, sur une base gagnant/gagnant. Les rapports s’intensifient avec les autres familles de l’ESS, ce qui ouvre des perspectives nouvelles en matière de gestion de trésorerie. La compétence des dirigeants les conduit à absorber de nombreuses associations de gestion en difficulté, ce qui aboutit à des entreprises associatives de grande envergure.

Les associations innovent
Marché et concurrence sont toujours les moteurs principaux de l’activité économique, mais les pouvoirs publics interviennent pour maintenir une diversité d’acteurs et éviter ainsi l’institution d’une société de marché. Les associations acceptent la modernisation de leurs méthodes. Elles évoluent dans une économie plurielle de concurrence, et constatent que les ressources publiques mises à leur disposition se réduisent. L’innovation institutionnelle gagne du terrain au sein de groupements constitués dans un même secteur d’activités (économie d’échelle, partage…), jusqu’à la constitution plus structurée de groupements d’économie solidaire qui, tout en respectant la personnalité et l’identité de chaque structure, favorisent de larges mutualisations et organisent le partage des souverainetés. Ces groupements contribuent fortement à accroître les compétences collectives des associations, d’où des capacités de négociation qui leur permettent de rivaliser avec les entreprises classiques. L’association gestionnaire conserve alors sa spécificité et son développement se poursuit dans une société, certes dominée par le marché, mais qui fait droit à la diversité économique soutenue par les pouvoirs publics et souhaitée par la population.

 

Les associations non gestionnaires

Les associations non gestionnaires n’ont pas d’activité régulière de production de services. Si la pression économique est moins forte, elles restent soumises à la raréfaction et à la complexification des ressources.


Six évolutions principales


Les références idéologiques ne sont plus facteurs de structuration et de clivage du monde associatif comme dans les années 1970 et 1980 : « Autrefois c’est le collectif qui donnait sens à l’engagement, aujourd’hui c’est l’action concrète. » (Jean-Pierre Worms)


La forme traditionnelle de la militance fait place de plus en plus à une nouvelle figure : celle du bénévole contractuel plus que militant.

Les procédures publiques – et privées – nouvelles, financement basé sur projet, appel d’offres, font courir le risque de l’instrumentalisation. Une fonction gestionnaire s’introduit au sein d’associations se caractérisant comme « mouvement de pensée et d’action » par nécessité économique, surtout depuis le milieu des années 1990. Ce système de financement tire l’innovation vers le donneur d’ordres au détriment du collectif associatif.

L’augmentation de la précarité et de la mobilité professionnelle : les engagements sont plus ponctuels, marqués par la recherche du concret, de l’efficacité immédiate, un attrait pour la proximité, un zapping plus important, ceci depuis les vingt dernières années, et en croissance continue.

La concurrence entre associations : la croissance du parc associatif entraîne la diminution de la ressource publique alors que le nombre potentiel de bénéficiaires s’accroît. La ressource bénévole croît, mais la demande est plus forte. On constate un plus grand attrait pour les nouvelles associations depuis les années 2000.

La révolution dans la communication : Internet, réseaux sociaux… sont autant de nouvelles formes de solidarité et d’échanges qui font fi de la distance, des frontières et du temps…


Perspective

Le pouvoir de s’investir, la volonté d’agir, la capacité de faire, pour et dans l’intérêt général, sont aujourd’hui les caractéristiques de l’engagement associatif. Les créations d’associations et l’engagement bénévole progressent. Cette réalité s’oppose aux lieux communs décrivant la forte montée d’une société frileuse, individualiste et repliée sur elle-même. Elle esquisse plutôt une société qui, loin d’abdiquer dans un environnement hostile et déstructurant, s’attache à préserver ses biens communs et en particulier le lien social.


Mais ces nouvelles générations d’engagés, jeunes ou moins jeunes, ne cultivent pas l’utopie dans une militance généreuse. Ils ont soif de concret, de résultats, d’efficacité. En d’autres termes, ils veulent pouvoir peser sur le mode opératoire de leur engagement et construire leur projet avec humanité, mais aussi avec un professionnalisme emprunté sans fausse honte au monde de l’entreprise. L’association, sa structure d’accueil, se doit d’être en capacité de répondre à leurs exigences : les intégrer, les accompagner, les former, donner corps à leur engagement. Elle doit également adopter une gouvernance qui offre une résonance à leur implication.

Prospective

L’économie
Sur le plan économique, la raréfaction des crédits publics, qui perdurera à l’avenir, va contraindre les associations à recourir à des financements hybrides, mêlant de plus en plus fonds publics, semi-publics et privés : fondations, entreprises, appel à la générosité du public, qui bénéficient de réductions d’impôts.


Ces financements – quelle que soit leur origine – dépendront plus que par le passé de la nature du projet associatif, et surtout de la capacité des associations non seulement à le faire connaître, mais à le rendre particulièrement attractif, car la concurrence inter-associative dans la recherche de ressources financières sera de plus en plus vive. L’environnement social, économique et culturel des années à venir jouera aussi un rôle majeur en favorisant l’écologie, les préoccupations climatiques, la défense des droits, les actions de solidarité de proximité, etc.


Mieux adapté à ces associations non gestionnaires pourrait être, par exemple, un léger prélèvement de la taxe sur les salaires versé à un fonds de soutien à la vie associative, voire au FDVA2 . Cette difficile recherche de crédits devra contraindre les associations à recourir à des alliances, des mises en commun de moyens, des groupements temporaires ou permanents.


Les réseaux sociaux
L’implication dans les réseaux va se renforcer au fur et à mesure que la pratique d’Internet va se développer. Jusqu’à présent les associations ont été dans la découverte et la consommation de l’Internet, en y formant parfois leurs bénévoles. Les réseaux communautaires d’entraide et d’échange se développent. Ils sont de plus en plus en train de rejoindre les réseaux sociaux et les plateformes collaboratives. Ceux-ci en effet favorisent la confiance, la collaboration entre les individus et l’innovation.
Les associations devront se mettre dans leur forme statutaire et leurs pratiques en mesure de coopérer avec de multiples partenaires sans s’y diluer, tout en travaillant avec les réseaux qui forment une nouvelle économie immatérielle, basée sur l’abondance et la gratuité de l’information.

L’individu
L’individu qui s’engage aujourd’hui comme bénévole attend de s’investir dans des projets concrets, à durée déterminée, menés avec efficience. Il demande également de la reconnaissance, du respect, et une certaine liberté dans l’exécution du projet. Il n’est plus fixé uniquement dans l’association mais travaille en « réseautant » avec d’autres, ailleurs. L’association n’étant plus cimentée par une idéologie qui la particularise, mais par la réalisation de projets communs, peut en ressentir une certaine fragilité.

La transformation sociale
Dans une société d’anomie sociale, de désespérance d’une grande partie de nos concitoyens, les associations se donnent une visée de transformation sociale. Pour cela il leur faut quitter le système plaintif pour pouvoir anticiper et libérer les énergies créatives. Elles devront s’atteler à un travail intellectuel et d’expérimentation dans des logiques collaboratives de compréhension du monde en changement pour créer des valeurs. Ceci exige de former et d’animer un bénévolat en mesure de porter ces projets et de participer à leur évolution. Il faut donc privilégier les compétences d’adaptation au changement. La responsabilité des associations dans cette ambitieuse transformation s’investit aussi dans le public jeune, notamment auprès des volontaires du service civique. Sont-elles en mesure de les engager dans cette visée de la transformation sociale en évitant de se transformer en simple parking d’attente ?

La politique
La défiance de la population envers les élus, les incertitudes de la décentralisation, réclament des pratiques démocratiques renouvelées. Les associations citoyennes doivent prendre toute leur place. Elles ont d’ailleurs le sentiment d’être à peu près seules en mesure de le faire, partis politiques et syndicats étant largement discrédités en ce domaine. Les associations ont une forme de représentation sociale spécifique, liée aux types d’expérience dont elles ont la maîtrise et la compétence. C’est le domaine de la prise de parole, de la contestation, du jugement, de l’intervention.


Les expériences qui vont dans le sens d’une citoyenneté directe vont se multiplier, consistant à inclure les citoyens dans l’élaboration des politiques publiques. Au niveau local, de multiples plateformes groupant les diverses forces vives (politiques, syndicales, entreprises, associatives) feront vivre la démocratie locale.


Qu’elles soient gestionnaires ou non, une nouvelle approche prospective doit permettre aux unes et aux autres d’impliquer des volontés nouvelles aptes à faire face aux changements qu’elles vivent et vont vivre. Leur anticipation nécessite une adaptation aux contraintes légales et financières tout en respectant les bonnes volontés bénévoles qui se font jour et qui ont aujourd’hui une approche transversale et non plus purement dédiée à une seule association. Il en va de l’avenir de leur engagement solidaire.

 


Bibliographie
- Penser autrement les modes de vie à horizon 2030, Commissariat général au développement durable.
- La cause humaine, Patrick Viveret, éd. LLL. Les liens qui libèrent.
- Le parlement des invisibles, Pierre Rosanvallon, éd. Le Seuil.
- Rapport du Haut conseil à la vie associative : Bilan de la vie associative 2012-2014 (paru en 2015).
- Le paysage associatif français, Viviane Tchernonog, Juris éditions - Dalloz, 2013.

Analyses et recherches
Analyse