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L’objectif de limiter le réchauffement climatique en dessous des 2 °C d’ici 2100 a été acté lors de l’Accord de Paris. Quand bien même, nous savons que le climat ne reviendra jamais comme on l’a connu. Les répercussions sont multiples, avec des intensités variables selon les acteurs, les populations et les régions. Quelles sont-elles ? Comment peut-on agir à la racine ? Peut-on encore atténuer le dérèglement climatique, ou faut-il désormais passer aux stratégies d’adaptation ?
Tour d’horizon des enjeux du dérèglement climatique
Charlotte Debray : Quels sont les enjeux soulevés par le dérèglement climatique ?
Laurent Coudercher : Le climat est redevenu instable à cause des gaz à effet de serre, principalement le CO2. Il provient en grande majorité de la combustion des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel), mais aussi de processus industriels et de la déforestation.
Quand on injecte la molécule de carbone dans l’atmosphère, elle y reste 10 000 ans. On ne peut pas résoudre ce problème avec des pompes à carbone comme le voudraient les techno-solutionnistes.
La crise climatique est d’abord une crise physique. Continuer à brûler autant d’énergies fossiles qu’aujourd’hui nous conduirait à dépasser les +2 °C avant 2035, limite à partir de laquelle les impacts sur le climat auraient des conséquences irréversibles.
En raison du dérèglement climatique, l’écosystème nécessaire à la vie de l’espèce humaine se transforme. Il va falloir que l’on s’adapte rapidement, car les répercussions du dérèglement climatique arrivent plus vite que l’on pense. Sans ça, la vie humaine est en danger. La planète, elle, nous survivra !
Alexandre Florentin : Il faut retenir que le climat ne revient pas en arrière. Plus personne ne connaîtra les étés de votre enfance. Paris, la France, le reste du monde, personne n’est prêt. Nous allons avoir à gérer des crises économiques, sociales, géopolitiques et écologiques, et à nous adapter en même temps.
Il va falloir repenser la ville, tout en réduisant drastiquement les émissions de carbone. C’est un nouveau modèle socio-économique à inventer, sans quoi, ma crainte est d’accentuer les inégalités.
Des problématiques différenciées sur les territoires
Concrètement, quelles sont les répercussions dans les zones montagnardes ?
Valérie Paumier : Les territoires de montagne se réchauffent deux fois plus vite que le reste de l’hémisphère nord.
Aujourd’hui, les montagnes sont asséchées, alors que les Alpes sont les châteaux d’eau de toute l’Europe.
En Haute-Savoie, on est en alerte sécheresse six mois dans l’année. Et alors qu’on n’a presque plus de neige, les domaines sont enneigés à 40 % de neige artificielle et l’objectif est de monter à 70 % pour rester compétitif face à nos voisins (Suisse, Italie, Autriche).
Les élus continuent à soutenir ce type de projets, qui vont à contre-courant de l’histoire, surtout quand on sait que d’ici 30 ans, il n’y aura plus de neige.
Pour compléter le panorama, que se passe-t-il dans les métropoles ?
Alexandre Florentin : Quand je lis les articles scientifiques, on pourrait atteindre des températures entre 50 et 55 degrés pendant la 2de moitié du siècle. Paris a déjà connu de grandes canicules par le passé, comme en 2003. À la Ville de Paris, j’ai présidé la mission « Paris à 50 degrés ». Cette mission a permis de mettre en avant quelque chose d’impensé sur les canicules : elles impactent notre sphère technique, et pas seulement notre santé.
Les objets électriques, électroniques et en acier sont sensibles aux évolutions des plages de température. Dans le Sud-Est de la France, les groupes de climatisation s’arrêtent à partir de 42 degrés dans les cliniques. On est obligé de les arroser pour les faire refroidir et qu’ils continuent de marcher. Ça commence à arriver en région parisienne.
Il faut revoir plus globalement l’organisation de la vie de la société pour ralentir la machine à détruire.
Par exemple le passage à la semaine à quatre jours est une piste. Nous avons besoin d’une révolution haussmannienne, d’une mobilisation générale. C’est une question d’engagement.
Ainsi, est-ce la fin du monde ou la fin d’un monde à l’heure actuelle ?
Laurent Coudercher : Comme l’a dit Alexandre, il n’y a pas de retour en arrière possible.
Cela suppose de sortir collectivement de notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles et de financer la transition.
Si vous me permettez cette image, on est dans une seringue avec peu de temps pour agir et d’immenses transformations à engager. Je ne sais pas si c’est la fin d’un monde, mais c’est la fin d’un modèle économique fondé sur l’exploitation de ressources jusque-là considérées comme infinies.
Le rôle de la finance
Quel est le rôle de la finance dans ce changement de modèle économique ?
Laurent Coudercher : Sans certaines banques pour les soutenir, les gisements de sables bitumineux canadiens ou les mines de charbon indiennes n’auraient pas été récemment ouverts.
L’Union européenne importe quasiment 100 % de sa consommation en énergies fossiles : planifier la décarbonation de notre économie contribuerait à réduire la demande, notamment si tous les leviers sont activés soit la sobriété, l’efficacité et l’énergie bas carbone. Cela rendrait la France et l’Europe plus résilientes sur les plans climatiques, géopolitiques et économiques.
Mais pour cela, les banques ont une responsabilité centrale dans la capacité à financer ou non la décarbonation de l’économie.
Est-ce possible de transformer la finance, et aller vers une finance durable ?
Laurent Coudercher : Les banques ont un effet de levier indiscutable, en choisissant d’investir ou de financer des projets moins émetteurs. Elles peuvent accompagner la transition énergétique d’entreprises industrielles, ainsi que la rénovation des bâtiments.
Au Crédit coopératif, nous ne finançons plus aucune extraction fossile depuis 15 ans et notre bilan carbone est l’un des meilleurs parmi les banques françaises, après la NEF.
Cependant, il faut fournir un effort de pédagogie : le carbone ne se voit pas dans l’air. Il faut des équipes d’ingénierie de projet formées au sein des banques. Il faut sensibiliser les entrepreneurs sur l’isolation, la sobriété… Il faut des espaces de dialogues et d’échanges de pratiques pour repenser le rôle de la finance et montrer qu’on peut être rentable sans détruire la planète.
Valérie Paumier : Nous avons absolument besoin d’intégrer le risque climatique dans les projets. On ne peut plus pérenniser un modèle qui ne tient ni sur le pan énergétique ni sur le plan climatique, mais qui rapporte 9 milliards par an.
C’est seulement quand les investisseurs auront des bilans mitigés, comme pendant le COVID-19, qu’ils arrêteront de financer de tels projets. Le cœur du problème c’est notre modèle économique.
Leviers d’action des citoyens et les collectivités
Face à tout ceci, quel rôle pour les citoyens ? Quels sont les meilleurs leviers ?
Valérie Paumier : Il ne faut pas laisser la tâche aux autres. Il faut s’engager sur le terrain politique, en créant son association, comme je l’ai fait avec Résilience montagne, ou en rejoignant des associations existantes.
C’est important de mailler le territoire. Quand on agit au local, on agit au global. Avec d’autres associations, nous menons des recours juridiques contre des projets qui vont à l’encontre du climat et de la biodiversité.
Nous pouvons aller jusqu’à la désobéissance civile quand les recours classiques ne fonctionnent pas. Le projet de création d’une retenue d’eau pour la neige artificielle à La Clusaz en est un exemple.
Nous avons engagé des recours juridiques. En même temps, un collectif tiers a décidé d’occuper le bois, sous la forme d’une Zone à défendre (ZAD) à 1 600 mètres d’altitude le temps que nous organisions le référé suspension pour éviter le début de travaux.
Finalement, même si c’était illégal, nous avons réussi à préserver 8 hectares de forêt, 58 espèces protégées et la faune qui y vit. Cela donne beaucoup d’espoir, mais la stratégie, c’est aussi de faire jurisprudence, pour éviter d’autres grands projets inutiles et dévastateurs. Une victoire en amène une autre.
Alexandre Florentin : J’observe également que des collectifs citoyens se mobilisent pour défendre leur environnement. Aujourd’hui, le risque n’est pas que le sujet ne soit pas traité, mais maltraité par les milieux libéraux, ou récupéré par des milieux extrémistes.
Valérie Paumier : C’est pour cela que la mobilisation citoyenne ne fonctionne qu’à condition d’être hyper stratégique. En plus des recours en justice, il faut emmener l’opinion publique grâce des campagnes de presse alimentées par l’expertise de scientifiques.
Grâce à mon expérience dans la diplomatie des affaires, j’ai compris qu’il fallait ne plus laisser les lobbies du ski et du tourisme parler seuls, sans contradicteur.
Je m’emploie à rencontrer les gouvernances économiques et politiques en faisant du lobbying de couloirs.
Il faut aller chercher les décisionnaires à Paris, qui ne rêvent que de leur semaine de ski en février, pour les sensibiliser. Ils sont choqués d’apprendre qu’il n’y a pas de neige dans les Alpes sans le recours à la neige artificielle.
Comment les collectivités territoriales peuvent-elles s’engager en s’adaptant, anticipant et réparant ?
Alexandre Florentin : Franchement, ce n’est pas simple. Les projets d’urbanisme au cours des vingt dernières années pour Paris sont faits par les mêmes promoteurs, comme la gare d’Austerlitz, les Tours DUO, la Tour Triangle. Ils contribuent indirectement aux finances publiques de la ville. Le modèle est bloqué sur des perspectives de croissance.
Il n’est pas possible de vouloir éviter Paris à 50 degrés, tout en voulant toujours plus de touristes et de sponsors.
Un autre modèle est à bâtir, en se fondant sur une réduction des flux physiques, avec moins d’argent, mais alloués très différemment. Cela dessine une révolution très forte.
Quels sont les enjeux pour l’avenir ?
Valérie Paumier : Longtemps, j’ai pensé que l’écologie n’était pas politique. C’est faux. Je pense désormais que nous allons devoir aller au politique, plutôt que d’éteindre le feu et critiquer le système.
Nous avons besoin que les citoyens s’engagent et prennent le pouvoir lors des prochaines élections européennes, départementales, présidentielles, etc.
Nous avons à prendre nos responsabilités et à nous engager dans ce qui nous semble légitime.
Concrètement, il faudrait créer des vrais moratoires citoyens et de la concertation citoyenne pour enclencher des discussions sur le territoire.
Alexandre Florentin : Je ne crois plus beaucoup à la formation des élus comme un axe fort de changement. Je partage ce qu’a dit Valérie, il vaut mieux faire entrer en politique des citoyens engagés, des personnes de terrain.
Le politique est toujours en retard. Ne pensez pas que vous êtes moins légitimes à vous engager en politique que des personnes qui s’accrochent au pouvoir et en ont les codes !
Laurent Coudercher : Pensez à voter avec votre argent. La banque n’a pas d’argent. Chaque euro prêté se fait grâce à vos dépôts. Il faut donc être vigilant à qui vous confiez votre argent.
Ressources pour aller plus loin
- Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris, Paris à 50 °C : s’adapter aux vagues de chaleur, 2023, [en ligne].
- Rémy Servais, La Poudre Aux Yeux, 2023, [en ligne].
Réaction de Yannick Blanc, grand témoin de la journée
Le dérèglement climatique est le sujet qui étouffe, domine, déstabilise tous les autres. Les témoignages de cette table ronde nous ont permis de comprendre que devant l’immensité et la complexité de ce problème, nous avons besoin d’intelligence stratégique.
Il faut mobiliser toutes les compétences nécessaires, avoir les bons leviers, savoir les mobiliser au bon moment. C’est de l’intelligence stratégique, qui ne construira que grâce à la coalition d’associations et au faire ensemble.
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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Yannick Blanc, Diane Bonifas, Laurent Coudercher, Charlotte Debray, Alexandre Florentin, Anna Maheu, Guillemette Martin et Valérie Paumier. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.