Cet article est une contribution de la version numérique enrichie de la Tribune Fonda n°232. Il ne figure pas dans la revue papier.
Valérie Peugeot, prospectiviste à Orange Labs, répond aux questions de Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.
Le processus de la loi pour une république numérique a été entamé en octobre 2014, elle a été promulguée en octobre 2016. Pouvez-vous rappeler l’ambition de cette loi ?
L’ambition était de produire une loi innovante sur le contenu et sur la forme. L’idée était de convoquer le numérique pour transformer le processus de fabrication de la loi, pour conduire à un tournant sur les questions numériques telles que l’accès, la transparence, l’auto-détermination informationnelle. Une commande a été adressée au Conseil national du numérique (CNNum) par le Premier ministre et la secrétaire d’Etat pour engager un processus de consultation, fondé sur une série d’événements, de réunions, mais surtout un site en ligne, avec des pistes d’actions rédigées de manière ouverte de manière à ce que les gens puissent faire des propositions et contribuer.
Le rapport « Ambition numérique » en est issu, sur la base duquel un projet de loi a été rédigé. Le projet de loi a été mis en ligne et à nouveau soumis à consultation avec un double dispositif : un système de « like » permettant de se prononcer en faveur ou contre les articles du projet de loi ; une possibilité de rédiger des amendements et des propositions additionnelles.
Ces contributions ont-elles été prises en compte dans la version finale de la loi ?
Ce processus a été accusé de n’être qu’un semblant de démocratie participative. Or il a toujours été présenté comme un processus de démocratie consultative, ce qui n’est pas la même chose. Il doit être pris comme un processus expérimental, qui constitue une première dans l’histoire de la fabrique de la loi en France. Il y a eu des regards très critiques, beaucoup déplorant la disparition de certains textes, qui avaient reçu un fort soutien populaire, dans la version finale de la loi, ou la non prise en compte de propositions additionnelles.
Si ces critiques sont fondées, elles sont l’arbre qui cache la forêt. Je défends ce processus car il a permis d’élargir le cercle des personnes impliquées dans des débats qui se déroulent habituellement entre spécialistes et experts. Son autre mérite est d’avoir déstabilisé un certain nombre de lobbyistes, habitués à pousser leur influence en arpentant les couloirs de Bercy, désormais contraints d’exposer leur point de vue publiquement. En termes de transparence il s’agit d’une grande avancée dont peu de personnes ont conscience.
Quelles sont les principales avancées permises par cette loi ?
La loi pour une république numérique fait de l’accès à internet un droit pour les plus fragiles. De la même manière qu’on ne peut pas couper l’accès à l’eau ou à l’électricité, on ne pourra pas couper l’accès à internet pour les foyers les plus précaires. La loi aborde également la question de l’autodétermination informationnelle, soit la maîtrise par les citoyens des données dont ils sont producteurs. Elle applique le principe de portabilité des données.
Avec la portabilité des données, les internautes seront libres de transférer leurs données d’un service à un autre. Des nouveaux entrants pourront, s’ils ont des services de qualité, attirer les internautes à eux, sur la base de critères de qualité, d’efficacité, de capacité mais aussi de protection de nos données personnelles. Sur le sujet des algorithmes, la loi va dans le sens d’une plus grande transparence, pour en garantir la loyauté, soit l’assurance qu’ils vont dans le sens de l’intérêt de l’internaute plutôt que dans celui d’un intérêt commercial. La loi ne s’applique que sur algorithmes publics, tels celui utilisé pour APB, le système d’orientation post-bac.
Nous sommes encore loin du compte cependant, puisque cela a été fait sous la forme d’un .pdf fermé. Impossible pour les gens qui en ont les compétences d’aller regarder vraiment comment fonctionne l’algorithme. Mais la loi constitue un outil qui va permettre d’aller dans le bon sens. Dans le domaine légal on avance souvent de façon incrémentale. On met un petit coin dans la porte, après il faut s’appuyer dessus pour passer à l’étape suivante.
Une autre avancée porte sur l’open access. Les publications scientifiques issues de la recherche publique sont entre les mains de quelques grands groupes d’édition scientifique qui pratiquent des tarifs exorbitants. Leur accès est donc réservé aux bibliothèques et aux universités les plus riches, au détriment de nombreuses communautés scientifiques et du grand public. Avec l’open access au bout de six mois pour les sciences exactes et d’un an pour les sciences humaines et sociales, le ressources scientifiques peuvent être mises en libre accès sur le web. Le droit exclusif de l’éditeur s’arrête, mais c’est à l’auteur de décider s’il veut ou non mettre ses publications en libre accès.
Après la loi, quels grands enjeux sont encore à traiter ?
Le grand pan de la loi qui a complètement disparu concerne les communs. L’article 8 initialement prévu a disparu sous la pression des lobbys culturels. En matière de propriété intellectuelle, nous sommes depuis des années dans un glissement où l’on accroit le champ de la propriété intellectuelle pour protéger les industries culturelles au lieu de se poser les questions plus radicales des nouveaux modes de financement de ces industries.
Nous sommes un certain nombre à penser qu’il faut retrouver une position d’équilibre pour réconcilier les droits des auteurs, des créateurs, des industries qui les accompagnent et les droits du public. Les droits du public étant d’accéder à ces œuvres, de les réutiliser et de pouvoir en faire autre chose. L’équilibre a été rompu et il faut inventer un nouveau modèle. Les industries se cramponnent à un modèle historique au lieu d’inventer le modèle de demain.
Nous avons à la fois besoin de protéger les communs, d’arrêter de grignoter le domaine public qui se fait manger à coup d’extensions des droits de propriété intellectuelle, et d’encourager les logiques de partage, grâce notamment aux licences Creative Commons. Tout ce qui est financé par l’argent public doit pouvoir notamment rentrer dans le domaine des communs de la connaissance. A contrario, aujourd’hui les fonds d’archives numérisés ont tendance à être reprivatisés, au nom de la numérisation. On le voit par l’accord qui a été signé par la BNF et une entreprise pour numériser des œuvres du domaine public.
Propos recueillis le 22 novembre 2016.