Sans surprise, le numérique sous toutes ses formes s’introduit massivement dans le monde associatif, comme il s’immisce dans celui des entreprises et des administrations, et dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous.
Certains effets produits par cette rencontre avec le numérique sont bien connus : possibilité de communiquer intensément à faible coût, simplification des interactions entre les membres de l’association, capacité à porter des initiatives à large échelle (ex. : Forum sociaux mondiaux), mobilisations impromptues autour d’un événement (smart mobs)…
Mais ces apports ne reflètent pas la profondeur des recompositions possibles du fait associatif, quand les acteurs s’emparent du numérique. Quatre changements semblent surgir de ce nouvel agencement socio technique.
Le premier touche à la gouvernance interne aux associations. Historiquement, celle-ci est construite sur un modèle délégatif, et fonctionne autour d’une séparation nette entre membres élus bénévoles, dotés du pouvoir de décision, et salariés permanents. La culture du numérique, comme elle existe tout particulièrement dans le monde du logiciel libre et des communauté de hacktivistes, à l’image du collectif Telecomix qui est notamment intervenu en Egypte en 2011 pour rétablir des connexions Internet, tend au contraire à favoriser des logiques de décision par consensus et un mode de reconnaissance méritocratique. Les décisions sont soumises à des débats ouverts qui valorisent ceux dont l’action est reconnue par leurs pairs. Certains parlent même de do-ocratie.
Cette horizontalité et cette prime à « ceux qui font » peut apporter un souffle neuf dans le mode d’organisation des associations. Ainsi le mouvement des Colibris, « ces individus qui inventent, expérimentent et coopèrent concrètement, pour bâtir des modèles de vie en commun, respectueux de la nature et de l’être humain » a choisi une gouvernance inédite, caractérisée par un fonctionnement en cercles, une prise de décision par consentement et des élections sans candidats.
Un second changement concerne les sources possibles de financement des associations. Le crowdfunding, en permettant la levée massive de dons via les réseaux en ligne, a ouvert une source complémentaire – et encore ténue – de financement jusqu’ici réservée aux grandes ONG urgentistes. Les plateformes pour le financement de projets solidaires se multiplient, certaines spécifiquement dédiées aux associations, à l’image de « easycoz », d’autres plus généralistes comme « arizuka ». Aux Pays-Bas, via la plate-forme Windcentrale, des citoyens hollandais ont récolté en moins d’une journée les fonds nécessaires à l’achat leur propre éolienne.
On ne peut que se réjouir de cette diversification des sources de financement, qui cependant risque aussi de modifier les choix d’engagements des associations, incitant celles-ci à choisir des « causes » susceptibles de séduire les foules, ce qui ne coïncide pas nécessairement avec le meilleur critère d’intérêt général. La question d’un risque de désengagement de l’État est aussi posée quand on observe le fonctionnement d’une plateforme comme citizinvestor dans laquelle les municipalités soumettent à la générosité des internautes les projets pour lesquels ils ont du mal à boucler le financement.
Autre transformation, à classer sans hésiter du côté des bonnes nouvelles, le numérique permet un changement d’échelle de l’action associative et ouvre les champs du possible de la créativité sociale. C’est bien entendu vrai en matière de partages de savoir, comme l’illustre l’encyclopédie contributive Wikipedia, ou la cartographie participative Open Street Map. Mais aussi d’actions en proximité dans les territoires, avec des projets menés entre voisins à l’échelle d’un quartier, via une plateforme en ligne comme celle de ChangeByUs à New York. Le wiki des « recettes libres » de Brest a vocation à rendre visible ces initiatives locales tout en livrant leur « mode d’emploi » de manière à inspirer d’autres collectifs et à essaimer vers d’autres territoires.
Autre exemple, celui de Safecast, né au Japon après la catastrophe de Fukushima, qui sollicitent les internautes pour recueillir des données de radioactivité afin d’établir des cartes indépendantes des sources officielles. Si ces projets intègrent le numérique dès leur conception, d’autres sont au contraire portés par des associations que l’on peut qualifier de « pré numériques », et qui s’emparent des technologies pour mener à bien de nouveaux projets. Ainsi ATD Quart Monde s’est appuyé sur des outils (vidéo, skype…) pour aider des individus en grande fragilité à reconstruire l’estime d’eux-mêmes, à retisser des liens sociaux. Au final le numérique bien mobilisé permet d’augmenter et de diversifier l’innovation sociale et citoyenne.
Enfin quatrième changement majeur, le numérique participe d’un « floutage » des frontières du monde associatif. Organisés via les réseaux selon des logiques de pouvoir tournant entre pairs, fonctionnant sur les énergies bénévoles, de nombreux collectifs préfèrent rester informels, le statut associatif apparaissant comme superflu. C’est le cas par exemple de SavoirsCom1, collectif engagé autour des biens communs de la connaissance. Ceci facilite également la mise en réseau avec d’autres collectifs, selon des articulations à géométrie variable. C’est ainsi que peuvent s’organiser de grandes mobilisations internationales comme on a pu les observer en 2011-2012 contre le projet de traité Acta (accord commercial anti-contrefaçon).
Le statut associatif a été créé pour protéger et légitimiser des acteurs informels. Aujourd’hui nous assistons au phénomène inverse sans qu’aient été évalués les conséquences sur le caractère « d’école de la démocratie » des associations. Pour autant, ces communautés actives participent très exactement de l’esprit associa- tif et de fait en amplifient la portée, « hors les murs ».
Le numérique en bousculant le monde associatif, lui conserve son caractère ascendant, au plus près des besoins d’un monde en transformation.