La Tribune Fonda n°226 interroge les apports du numérique au sein du monde associatif et plus spécifiquement en matière de développement du pouvoir d'agir et de citoyenneté.
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Vous y trouverez chaque trimestre des éclairages inédits et inspirants sur les évolutions du monde associatif et de l’économie sociale et solidaire.
Le tempo des algorithmes
Je me suis longtemps interrogé sur l’étrange étymologie du mot algorithme, qui semble mélanger l’algèbre à un rythme qui aurait perdu son y en route… J’ai fini par apprendre, grâce à Wikipédia, que ce mot était la latinisation du nom d’un mathématicien persan du IXe siècle, Al Khwarizmi, celui-là même à qui nous devons la numérisation décimale.
J’en profite pour vous rappeler la définition de ce mot « algorithme » : suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre un problème. « C’est tout simplement, dit Gérard Berry, génial vulgarisateur qui enseigne le numérique au Collège de France, une façon de décrire dans ses moindres détails comment procéder pour faire quelque chose. » Quant à la fameuse ligne de code, elle n’est rien d’autre que l’expression numérique de ces instructions.
Pourquoi commencer par ces définitions ? Pour en dissiper le mystère. Comprendre la transition numérique que nous sommes en train de vivre ne consiste pas à pénétrer je ne sais quelles arcanes technologiques. La technique, c’est celle qui permet au microprocesseur de traiter à la vitesse de la lumière et un très grand nombre de fois des suites logiques d’instructions. L’âge numérique n’est pas celui des magiciens ou des gourous mais au contraire, comme l’a bien vu Jeremy Rifkin, celui de l’accès instantané et généralisé à une immense quantité d’information. C’est une ère d’amplification et d’accélération des images, des sons et des données.
Le numérique ne crée pas comme par magie des phénomènes sociaux, des dispositifs de pouvoir ou des machines de guerre mais il en accélère les effets et les rend instantanément visibles. Wikileaks, Facebook ou le cyberdjihadisme ne sont pas des créatures numériques mais les reflets numérisé du monde dans lequel nous vivons. C’est donc la réalité économique, géo- politique et sociale qu’il faut décrypter, et non le code des machines qui nous la donnent à voir.
Toute la question est de savoir qui s’empare de l’immense capacité de connaissance et de l’immense pouvoir d’agir que permet le numérique. C’est là que se situe l’enjeu de la bataille des biens communs numériques. D’un côté, le « capitalisme cognitif » cherche à recréer avec les richesses numériques des chaînes de valeurs à l’ancienne, articulées sur la rareté et la propriété privée ; de l’autre, le mouvement des communs imagine qu’on peut fonder sur l’abondance numérique une économie du partage puisque la connaissance est un bien qui se multiplie au lieu de se diviser lorsqu’on le distribue. D’un côté, la collecte de nos traces numériques et de nos données personnelles nous fait craindre une société de surveillance généralisée et de marketing direct totalitaire ; de l’autre, pétitions en ligne, réseaux sociaux et open government nous permettent d’apercevoir une démocratie de l’interaction permanente.
L’univers numérique ressemble décidément beaucoup à ce que Pierre Bourdieu appelait un champ, c’est-à-dire un espace structuré de rapports de forces et de relations de pouvoir, conflictuelles et coopératives. Pour y trouver notre place, y défendre nos intérêts et nos valeurs, nous avons besoin de littératie numérique, non pas un socle de compétences technologiques, mais la capacité de participer à une société où les dispositifs numériques irriguent et structurent le travail, l’administration, l’éducation, la culture, les loisirs, la vie domestique et la vie civique. Autrement dit, il nous faut à la fois être capables d’utiliser les outils et les applications numériques, de comprendre de façon critique leur contenu et de créer à l’aide de la technologie numérique.
Ces trois capacités sont inséparables les unes des autres : on ne peut comprendre les outils numériques qu’en les utilisant, on ne peut maîtriser leurs contenus qu’en en créant de nouveaux. C’est pourquoi l’âge du numérique est, passez- moi le jeu de mot, un âge du faire, peuplé de hackers, de makers et de cultural creatives. Il ne peut être question, pour les associations pas plus que pour les entreprises ou les administrations, de faire comme avant avec de nouveaux outils, il faut changer d’échelle, de vitesse et d’approche. Car comme on peut le lire dans le magnifique cahier d’enjeux et de prospective de la Fing , « Le numérique change tout, c’est sa force, mais il ignore en quoi, c’est sa faiblesse. »