Associations et démocratie Enjeux sociétaux

Pratiques associatives pour ouvrir l’espace public

Tribune Fonda N°199 - L'accès de tous à l'espace public - Octobre 2009
La Fonda
Synthèse des résultats de l'enquête menée par la Fonda portant sur l'ouverture à tous de l'espace associatif pour favoriser l'accès à l'espace public.
Pratiques associatives pour ouvrir l’espace public

Présentation de l'enquête Fonda

(la liste complète des associations auditionnées et leur présentation figurent dans le document joint)

Si la participation associative concerne tous les champs sociaux, l’engagement est néanmoins plus important parmi les classes moyennes et on retrouve en partie dans le monde associatif les inégalités constatées pour les autres formes de participation politique (syndicats, partis, vote, etc.) : les jeunes, les femmes, les personnes défavorisées, les personnes d’origine étrangère sont moins présents dans les structures associatives, de même que dans les dispositifs participatifs mis en place par les pouvoirs publics.

En même temps, les associations ont joué un rôle majeur dans l’émergence de questions sociales essentielles, notamment en relayant la parole des « sans-voix », des minorités, des personnes victimes d’exclusion, etc. Aujourd’hui, renforcer leur rôle dans l’accès à l’espace public des personnes qui en sont absentes, est un enjeu déterminant. Un groupe de travail de la Fonda a mené une enquête, dans cet objectif. La principale hypothèse du groupe considérait que les associations peuvent jouer un rôle considérable pour ouvrir l’espace public, notamment en s’ouvrant elles-mêmes :

  • en ouvrant leur espace associatif, les associations peuvent être des lieux d’expression individuelle, d’engagement et de construction de paroles et projets collectifs ;
  •  les associations peuvent également jouer un rôle de passerelle vers l’espace public, notamment à travers la fonction de représentation et la formation à la citoyenneté.

Afin de connaître des pratiques et points de vue d’acteurs sur ces mécanismes, le groupe a rencontré une quinzaine de responsables associatifs, bénévoles et salariés. Cet échantillon couvrait un large spectre de domaines d’activités associatives, de problématiques traitées, de publics visés et de territoires d’intervention afin d’avoir une diversité d’expériences. Voici (doc joint) les associations qui ont participé aux entretiens.

Les principaux points de synthèse de ces entretiens ont ensuite été mis en débat lors d’un séminaire avec une cinquantaine de participants, le 13 juin 2009, à la Maison des Métallos, à Paris.

En guise d’introduction…

Ouvrir à tous l’espace associatif et favoriser l’accès à l’espace public ne constituent jamais des démarches naturelles : cela implique des efforts spécifiques et durables de la part des associations.

D’abord, elles doivent agir pour être vraiment ouvertes à tous publics, et notamment pour que les personnes en situation précaire ou exclues de la participation citoyenne, ne rencontrent pas d’obstacle pour entrer dans l’association, que ce soit comme usager, comme bénévole ou comme militant.

De plus, la présence dans l’association ne signifie pas nécessairement une participation citoyenne au sein de celle-ci. La participation peut prendre diverses formes (implication dans la définition, l’animation ou l’évaluation des activités, implication dans la définition ou le suivi du projet associatif, responsabilités dans la vie et le fonctionnement de l’association) mais aucune d’entre elles ne va de soi. Enfin, de l’implication citoyenne dans l’espace associatif à l’implication dans l’espace public, il y a un pas important à franchir. L’association peut aider à le faire, par des moyens dont nous avons observé à travers notre enquête qu’ils pouvaient être très différents.

Les obstacles sur le chemin sont nombreux pour qui relève le défi de la démocratisation de l’accès à l’espace public. Mais des pratiques associatives permettent l’implication des publics, la construction de paroles et projets collectifs. La connaissance du terrain et des populations, l’ancrage de l’association sur son territoire, l’accueil et l’accompagnement des personnes, la méthode d’animation du projet associatif sont autant d’éléments essentiels, sur lesquels une association peut travailler afin de jouer ce rôle de passerelle vers l’espace public. Voici ci-après une synthèse de notre enquête.

 

Comment faire vivre un espace d’expression et de projets, comment impliquer les personnes dans les activités et la vie d’une association ?

Pour être impliqué dans une association, encore faut-il pouvoir accéder à cette association, ce qui n’est pas aisément le cas pour tous. L’implication dans l’association peut schématiquement prendre trois formes différentes :

  • la participation à des démarches ou projets collectifs ;
  • la participation à des réflexions sur la citoyenneté ou sur la question de l’accès à l’espace public ;
  • la présence dans les instances de l’association (assemblée générale, conseil d’administration, bureau) ou dans l’élaboration du projet associatif.

 

L’accès à l’association

Pour permettre l’accès à l’association, il faut le plus souvent « aller au-devant » des personnes et s’appuyer sur les réseaux locaux.

Une première hypothèse semble largement partagée par les responsables associatifs rencontrés : pour avoir une chance de retrouver dans l’association des personnes isolées ou en difficulté, il faut « aller au-devant » d’elles.

Cette pratique est celle de l’association Espoir 18, située dans le quartier de la Chapelle (Paris 18e), dont un administrateur précise :

« On connaît les lieux où les jeunes se regroupent, on va les voir, on sait comment leur parler, on leur propose des activités. On fait même en sorte qu’ils fassent eux-mêmes des propositions : leurs envies sont une base de travail. L’association essaie d’adopter des démarches participatives. Les jeunes sont fiers de participer à un projet si cette participation est adaptée à leurs attentes. »

Les deux amicales de locataires Colonel Dax et Jean Varenne dans le 18e arrondissement de Paris, organisent l’accueil des nouveaux arrivants dans les immeubles, ainsi que des activités et temps conviviaux pour favoriser la rencontre entre les personnes et leur intégration à la vie du quartier.

C’est aussi le cas de la régie de quartier St-Blaise-Charonne qui organise des activités de bricolage et de tri sélectif dans un cadre convivial au cœur du quartier. Cela constitue un levier pour sensibiliser les personnes aux objectifs de l’association, et éventuellement leur donner envie d’en être partie prenante. Ils participent également aux événements organisés dans le quartier (brocante, fête de quartier, repas de bas d’immeuble, etc.).

En outre, pour réussir une démarche d’implication des publics une association doit pouvoir s’appuyer sur les réseaux de relations que d’autres acteurs (associations, services publics, conseils de quartier, etc.) du territoire peuvent nouer avec ces publics. Les événements organisés dans le quartier peuvent être l’occasion de rencontrer des personnes, comme être un lieu de sensibilisation des habitants aux projets ou à la cause défendue par l’association.

Espoir 18 crée des liens avec les habitants du quartier grâce à la distribution de tracts dans les boîtes aux lettres du quartier, dont ils se servent pour recruter leurs bénévoles pour le soutien scolaire. Cette méthode fonctionne bien, si l’association et la mission du bénévole sont bien présentées. L’association est également très en lien avec les écoles du quartier dont ils accueillent les élèves en soutien scolaire. « On essaie de se relier avec les quartiers voisins, on s’appuie sur des éducateurs et sur d’autres associations qui sont dans ces quartiers. »

Ce lien au territoire est aussi important pour l’Arqm (Association des riverains du quartier de la mairie à Sartrouville) : elle choisit une échelle de territoire adaptée à son action et n’élargit pas son terrain d’intervention afin de rester proche des préoccupations des habitants du quartier. Elle a instauré un système de délégués de quartier qui sont des volontaires répartis dans tout le quartier, pour faire remonter les informations à l’association. Elle édite un bulletin trimestriel afin de rester en contact avec son public et de l’informer des actualités de proximité.

 

La participation à des projets et des réflexions

Pour favoriser la participation à des démarches ou projets collectifs, ou encore à des réflexions sur la citoyenneté, ou sur l’accès à l’espace public, il est nécessaire de partir du quotidien des personnes, mais aussi de les valoriser et les responsabiliser.

Partir du quotidien des personnes

On a évoqué l’importance de la proximité dans les relations des associations à leurs « publics ». L’accueil et l’écoute des besoins sont des préalables nécessaires à toute démarche de participation.

À ce sujet pour l’association Du côté des femmes, l’« entrée par les services proposés par l’association », est un levier utile. Cela signifie partir des besoins concrets qui amènent les personnes à venir à l’association, afin d’en faire le support de l’expression individuelle et d’un engagement éventuel. L’association incite donc les femmes victimes de violences à participer aux activités « culture et citoyenneté » de l’association, afin que les femmes ne se sentent pas considérées seulement à travers la situation de violence qu’elles vivent, mais qu’elles puissent faire le lien entre leurs problématiques individuelles et des lieux d’échanges plus collectifs, autour de la citoyenneté. Idéalement l’association s’appuie donc sur les envies des femmes, même si pour les situations sociales difficiles, la citoyenneté est en dehors de leurs préoccupations.

L’association peut également servir de support logistique à des projets émergents : c’est le cas d’Essonne Nature Environnement qui a mis en place un tutorat auprès de jeunes de 18-22 ans. Il s’agit d’une pépinière de projets qui accompagne leur lancement en soulageant les jeunes de certaines tâches de gestion ou d’organisation. L’association peut également apporter un appui « politique » aux projets afin qu’ils soient soutenus financièrement.

« Les jeunes ont plein d’idées, de projets, mais ne souhaitent pas forcément créer une structure associative pour les porter. »

 

Valoriser et responsabiliser les personnes

Les méthodes d’animation et la manière d’impliquer les personnes dans les actions sont déterminantes. Selon les responsables associatifs, pour que l’association soit un espace de liberté, il convient de multiplier aussi les chances pour les personnes de donner leur avis et d’être écoutées, diversifier les modalités de participation, tenir compte de la situation, des motivations et des disponibilités de chacun.

Il est également important de mettre les personnes en confiance et de valoriser leur participation.

Du côté des femmes veille par exemple à ce que les femmes « s’autorisent leur propre l’expression », c’est-à-dire qu’elles ne se présentent pas seulement comme une épouse ou une mère de famille, mais avant tout comme personne autonome et citoyenne à part entière. L’association incite en quelque sorte les femmes à « prendre le pouvoir ».

L’Acort a longtemps fonctionné avec des espaces spécifiques réservés aux jeunes et aux femmes, afin de permettre à chacun de s’exprimer et de se projeter. Il s’agissait ensuite, sur la base de cette participation, d’organiser le lien entre ces espaces et d’intégrer cette démarche dans le projet associatif et dans le fonctionnement, ce qui n’a pas toujours été évident. Les thèmes de débat de L’Acort visent également à l’expression des personnes autour de la citoyenneté, de l’intégration et de la situation du pays d’origine.

Les activités et temps festifs sont aussi des occasions pour rencontrer les personnes et encourager leur implication.

L’Advog, association des voyageurs et gadjé du Val-d’Oise, profite de l’organisation d’événements culturels, par exemple des concerts de musique tzigane, pour discuter de citoyenneté.

« La carotte, pour parler de citoyenneté, c’est souvent un spectacle. »

 

L’implication dans la vie associative…

L’implication dans la vie associative, la définition des orientations et projets de l’association (instances associatives), peut-être formatrice pour les personnes. L’expérience de la vie associative a souvent été décrite comme une « école de citoyenneté » : apprentissage du collectif, du débat contradictoire, prise de décision et responsabilisation, etc.

Nombre d’associations en France rencontrent actuellement des problèmes de renouvellement de leurs forces vives, bénévoles d’activité et a fortiori bénévoles dirigeants. L’implication au conseil d’administration, qui devrait constituer une modalité d’implication dans la suite logique de l’implication dans l’activité, est souvent perçue comme trop contraignante, comme un monde différent et déconnecté des projets et activités concrètes de l’association. Les conseils d’administration sont donc composés le plus souvent d’« initiés » à la vie associative, dans une sorte d’« entre-soi » fonctionnant selon des normes et mécanismes qui peuvent être excluants.

Dès lors, comment faire fonctionner les instances pour qu’elles soient ouvertes sur l’activité de l’association, notamment les personnes souvent exclues de la participation et qui pourraient y trouver un espace d’engagement ?

Sur cette question, les entretiens menés montrent que beaucoup de travail reste à accomplir. Il apparaît très difficile d’impliquer les personnes jusqu’à la prise de responsabilités associatives.

Du côté des femmes mène à ce propos des démarches pour « reconnecter » son conseil d’administration à l’activité quotidienne de l’association et de ses publics. Espoir 18 encourage la participation des jeunes aux instances de l’association et valorise leur prise de responsabilité dans ce cadre.

« être dans les instances de l’association responsabilise les jeunes, ce sont eux qui prennent les décisions, qui donnent leur avis sur le travail des salariés, c’est important et valorisant. »

L’Acort veille à faire participer à son conseil d’administration des représentants de ses groupes de jeunes et de femmes.

L’Arbp (Association Rungis-Brillat-Peupliers à Paris 13e) s’est investie dans le projet de la création d’un centre social, qu’elle souhaite construire en concertation avec les habitants. Les responsables de l’association essaient de favoriser l’appropriation du projet par différents moyens : information, consultation par questionnaire, activités, etc. Cette sensibilisation peut se faire de manière informelle par les bénévoles, mais aussi à travers l’organisation d’activités concernant la vie quotidienne des gens (jardins familiaux, tri des déchets, danse, vide-grenier, etc.). La démarche n’est pas aisée et les responsables actuels évoquent leurs difficultés pour que les personnes du quartier réalisent qu’il s’agit de « leur » association.

Rien ne va donc de soi sur ces sujets et il semble que beaucoup d’associations cherchent leurs marques pour mieux impliquer les personnes. Des expérimentations sont donc à encourager, pour imaginer des modalités de fonctionnement associatif qui soient connectés avec les projets menés et les centres d’intérêts des parties prenantes de l’association, notamment de ses publics, pour mieux articuler logiques de gestion et logiques d’action.

 

Comment faciliter l’intégration, la représentation et l’accès des personnes à d’autres engagements ?

Une association qui s’adresse à des publics qui ne sont pas en situation de pouvoir accéder eux-mêmes à l’espace public peut les y représenter par l’intermédiaire de l’un de leurs responsables.

Dans d’autre cas, l’association peut offrir à des bénévoles, salariés ou bénéficiaires la possibilité de participer à la fonction de porte-parole de l’association auprès des pouvoirs publics.

Mais une association peut aussi contribuer à une citoyenneté active en informant, sensibilisant ou formant aux questions de citoyenneté ou d’espace public. Ces trois voies sont successivement illustrées ci-après.

 

Représenter les publics

Le président de l’association des Petits frères des pauvres de Creil, dont la mission est d’accompagner des personnes âgées isolées hospitalisées, représente celles-ci dans différentes instances hospitalières (comité éthique, conseil d’administration, conseil de surveillance). Dans ce cadre, il est attentif à communiquer à ces instances les informations et demandes émanant du terrain (bénévoles et personnes âgées) et, en sens inverse, il rend compte à l’association, notamment au bureau, des travaux des instances hospitalières.

« Mon action consiste à parler au nom de personnes qui ne peuvent pas le faire elles-mêmes. Je fais remonter leurs inquiétudes et problèmes, par exemple, au directeur de l’hôpital responsable de la prise en charge. »

L’action des bénévoles de l’association est complémentaire de celle des personnels de santé et administratif, puisqu’ils suivent les personnes au quotidien et relaient leur parole dans ces instances quand ils rencontrent des problèmes personnels ou concernant leur vie dans l’hôpital. Ils jouent souvent un rôle d’interface entre l’administratif et le médical. De plus, l’association organise pour ses bénévoles des formations à l’accompagnement des personnes âgées, dans lesquelles est traitée la question de la manière de les représenter et de porter leurs messages.

La Fmh (Fédération des malades et handicapés) de Paris 11e a également un rôle central de représentation des publics. à côté de ses fonctions d’accompagnement de personnes handicapées, elle porte leur parole par exemple au sein d’une commission sur l’accessibilité à la mairie du 11e, travaille avec le conseil d’arrondissement et le Cica. Elle a élaboré une charte avec La Poste et Edf/Gdf et participe au niveau national au comité de concertation pour les personnes handicapées, ainsi qu’au collectif « Ni pauvres, ni soumis ». L’association se définit comme porteuse d’une action revendicative et participative.

 

Exercer une fonction de porte-parole de l’association

Une ou plusieurs personnes de l’association peuvent en effet, être amenées à porter la parole des bénéficiaires ou adhérents de l’association, à les représenter auprès d’interlocuteurs ou dans des instances particulières (commissions, conseils divers, concertations et débats publics, etc.). à ce sujet, des questions importantes ont été soulevées. La première concerne la ou les personnes qui exercent cette fonction de représentation. Ensuite, des interrogations concernent le contenu de la parole qui est restituée dans ces espaces. Quelle préparation est faite dans l’association, de cette représentation ? Comment sont construites les paroles collectives ? Quels retours sont faits aux personnes concernées ?

Ces aspects sont l’objet de difficultés pour les responsables associatifs rencontrés. En effet, ce sont le plus souvent les responsables de l’association, le directeur ou la directrice ou les membres de son bureau, qui exercent ces fonctions de représentation et moins souvent les personnes directement concernées (bénéficiaires ou publics, adhérents, etc.). De plus, on constate rarement une préparation réelle des espaces de représentation et du contenu restitué.

Du côté des femmes est membre d’une fédération qui regroupe une soixantaine d’associations et participe à différentes instances (commissions, groupes de travail, etc.) notamment autour des questions des violences conjugales, du logement, de l’emploi. « C’est tout le problème de la représentativité des associations. Est-ce qu’on transmet ce que disent vraiment les personnes ou ce qu’on croit devoir transmettre ? »

Certaines associations prêtent donc une attention particulière à ouvrir cette fonction de représentation. à Espoir 18, ce sont aussi bien des salariés que des bénévoles qui participent aux instances, et cette fonction n’est pas toujours assurée par les mêmes.

Concernant la fonction de représentation, les responsables associatifs ont insisté sur l’importance de la crédibilité de l’association vis-à-vis de ses interlocuteurs, notamment des pouvoirs publics. En effet, porter la parole dans certains espaces ne peut se faire sans un travail continu pour attirer l’attention des pouvoirs publics sur les problématiques portées par l’association. Cela fait partie du processus d’ouverture de l’association et de son rôle de passerelle vers l’espace public. On se situe à la jonction des deux fonctions principales de l’association : son ouverture, c’est-à-dire le travail qui est fait pour construire les paroles qui sont relayées, et son rôle de passerelle, c’est-à-dire le travail qui est fait pour que ces paroles soient présentes et prises en compte dans l’espace public. La représentation de l’association en tant que telle est donc une fonction stratégique.

 

Informer, sensibiliser ou former à la citoyenneté

La formation à la citoyenneté et à l’engagement dans l’espace public fait partie intégrante des missions des associations qui souhaitent s’ouvrir à l’espace public. Berbères de France a mené une campagne de sensibilisation des franco-berbères à la citoyenneté lors des dernières élections présidentielles, en organisant des « couscous présidentiels », afin d’inciter les personnes à se rencontrer pour parler de cet événement politique. L’association a vocation à promouvoir la culture berbère dans l’espace public et l’implication des citoyens par le vote, l’engagement, la prise de parole publique, etc. Elle développe une action en particulier en direction des femmes et des jeunes.

Espoir 18 incite les jeunes, notamment ceux qui portent des projets culturels, à se constituer eux-mêmes en association. L’association les accompagne dans cette démarche et leur apporte des outils pour leur faciliter la tâche. La régie de quartier St Blaise-Charonne recrute des jeunes en difficultés d’insertion. Une régie de quartier est un outil économique, mais aussi citoyen. En effet, le travail des personnes pour la régie leur permet d’être également reconnus comme citoyens dans leur quartier, puisqu’ils deviennent partie prenante de la création de lien social, fonction qui est stipulée dans leur contrat de travail.

Boutique Rives-de-Seine, dont le cœur de projet tourne autour de l’insertion, informe et forme les jeunes au fonctionnement des institutions. « Ici l’accès à l’espace public se fait par la formation et l’information, il faut donner l’accès aux jeunes à toutes les ressources qui leur permettent de se situer dans l’espace public, d’avoir des éléments de repérage. »

 

Conclusion

 

Les limites de l’accès à l’espace public à travers l’exemple de la participation à des instances locales de type « conseil de quartier »

Les associations peuvent donc explorer différentes voies pour favoriser la participation à l’espace public et structurer une demande sociale, une parole. Cette démarche doit même être au cœur de leur projet, afin qu’elles soient de véritables lieux d’engagement et d’expression, de formation à la citoyenneté, et qu’elles permettent à des publics éloignés de l’espace public, d’y trouver les ressources pour y avoir une place et y être entendues. C’est le défi de l’« empowerment » de la société civile que les associations ont à relever. Elles peuvent ainsi être des passerelles vers l’espace public et la prise de parole ou l’engagement, la formation de demandes sociales, qui existent mais qui ne sont pas exprimées et audibles dans l’espace public, par les élus et les institutions.

Dès lors, qu’en est-il concernant l’« offre », les responsables de l’espace public et les lieux qu’ils aménagent pour être à l’écoute de cette demande ?

Des associations prêtent par exemple une attention particulière au lien entre leur action et les instances de démocratie participative mises en place sur leur territoire. Néanmoins, elles constatent souvent que leur fonctionnement n’est pas adapté aux personnes qui sont les plus éloignées de la participation.

Espoir 18 a mené des démarches pour amener les jeunes vers les conseils de quartier, afin qu’ils s’y expriment. Mais celles-ci se sont soldées par un relatif échec, étant donné les différences de langage entre ces jeunes et les instances, comme dans les méthodes de travail et les ordres du jour qui concernent rarement les jeunes. De même, Espoir 18 essaie de faire participer les jeunes aux réunions avec les élus, aux rendez-vous institutionnels, afin que les jeunes prennent conscience de la manière dont se prennent les décisions.

Une démarche de Du côté des femmes a porté sur la participation des femmes aux conseils de quartier de la ville de Sarcelles. Elle a notamment montré les freins existant à cette participation pour certaines femmes (organisation des conseils, condition de logement, sentiment de relégation, etc.). La majorité des femmes qui participent ont un emploi stable, une expérience associative, et peuvent se rendre le soir aux réunions, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de femmes. Ainsi, avant d’envisager la participation des femmes aux conseils de quartiers, plusieurs étapes préalables ont été nécessaires. Une information ou même un accompagnement vers les conseils de quartier ne suffisent pas pour amorcer une réelle participation.

C’est pourquoi l’action a été menée en trois temps. Dans un premier temps les femmes ont participé à un atelier visant à « déconstruire la notion de citoyenneté des femmes » (interrogation sur le sens de la citoyenneté pour les femmes et sensibilisation à la notion, sortie en bibliothèque, calligraphie, exposition, sortie à l’Assemblée nationale). Ensuite, l’association a organisé un atelier appelé « Des paroles sur la ville, regards croisés sur la cité » (reportage photo, atelier artistique, visionnage documentaire sur Sarcelles, sortie au cinéma, exposition, etc.). Enfin, des démarches de repérage des institutions ont été menées : débats sur la liberté, la responsabilité et l’engagement dans l’espace public, échanges autour des institutions, sur les décisions, parcours dans la ville. Cette action a sensibilisé une cinquantaine de femmes.

Cette démarche a montré tout l’intérêt d’un travail progressif et participatif avec les femmes, mais aussi les précautions à prendre et l’importance de la préparation des temps de rencontres, afin qu’il porte ses fruits.

 

Aussi y a-t-il un enjeu considérable à ce que les instances participatives et les institutions démocratiques de manière générale se posent la question de leur accessibilité à l’ensemble des citoyens et travaillent également, au même titre que les associations, sur leurs limites et les mécanismes d’exclusion qu’elles génèrent. Des responsables associatifs ont aussi attiré l’attention sur le problème de « l’injonction participative » : les instances ont tendance à se multiplier, comme si leur création allait en soi susciter la participation. Or, les expériences relatées dans cet article nous apprennent que la participation ne s’improvise pas, elle ne naît pas de rien. Il est nécessaire de créer les conditions de la participation, de sensibiliser les citoyens, les former si nécessaire, ce qui prend du temps.

Mais surtout il est nécessaire que cette question soit en permanence dans les esprits de chacun, celui des autorités politiques et administratives, et des responsables associatifs, mais aussi celui des citoyens « inclus ». Il est aujourd’hui nécessaire et urgent de mutualiser les expériences intéressantes, telles que celles esquissées dans cet article. Nous devons travailler à l’inclusion de l’ensemble des citoyens dans notre espace public et mettre fin aux zones de relégation physique et symbolique, où une grande partie de nos concitoyens est aujourd’hui enfermée. Comme l’affirme Jean-Pierre Worms, la désaffection démocratique est sans doute la plus grande menace à laquelle nous sommes confrontés. La participation démocratique est l’enjeu politique majeur des années à venir.

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