La solidarité, l’entraide et l’inclusion sont des valeurs essentielles pour le monde associatif. Elles s’y expriment aussi bien dans le sport et la culture que dans l’accompagnement du handicap ou la lutte contre la pauvreté.
Mais c’est dans le secteur « humanitaire-social-santé » que l’on trouve plus de la moitié des salariés d’association1 : la situation du travail social, ses transformations, son avenir sont donc des questions clés pour le monde associatif.
On n’a pas souvenir de période où le travail social ne se soit pas considéré en crise, car il est par essence soumis à des injonctions contradictoires : le décret du 6 mai 2017 affirme que « le travail social vise à permettre l’accès des personnes à l’ensemble des droits fondamentaux, à faciliter leur inclusion sociale et à exercer une pleine citoyenneté. Dans un but d’émancipation, d’accès à l’autonomie, de protection et de participation des personnes, le travail social contribue à promouvoir, par des approches individuelles et collectives, le changement social, le développement social et la cohésion de la société. Il participe au développement des capacités des personnes à agir pour elles-mêmes et dans leur environnement. »
On ne trouvera rien à y redire, tous les mots-clés y sont. Mais les directeurs d’établissement, les assistants de service social, les éducateurs spécialisés, les intervenants sociaux qui travaillent en prison ou dans les services de psychiatrie savent que ces principes ne pèsent pas lourd face aux contraintes administratives et financières, aux conventions d’objectifs et de gestion (COG), conventions pluriannuelles d’objectifs (CPO) et autres instruments pseudo-contractuels de la bureaucratie ordinaire.
À ce corps déjà meurtri, la crise sanitaire a donné l’estocade et les oublis du Ségur de la santé le coup de grâce.
La crise du travail social se manifeste aujourd’hui, comme celle du secteur de la santé, par un phénomène impitoyable: la crise du recrutement, les démissions, les départs en retraite non remplacés.
Le travail social n’a besoin ni d’une « grande loi » ni d’un nouveau décret, mais d’une stratégie, c’est-à-dire de réponses réfléchies et délibérées, à une série de questions : quelle société voulons- nous ? Qu’est-ce qui a déjà changé ? Avec qui peut-on agir ? Quels obstacles ? Quelles ressources ?
Confrontés à la face sombre de la société, policiers, juges, enseignants, soignants ou directeurs des ressources humaines (DRH) protestent souvent qu’ils ne sont pas des « assistantes sociales ».
C’est avouer de mauvaise grâce qu’ils ne peuvent accomplir leurs missions respectives sans que quelqu’un, avant, avec ou après eux, ne se charge de travailler le social.
C’est là que la dimension associative des structures porteuses du travail social doit jouer pleinement son rôle.
Sortir du cadre, des catégories, des habitudes, expérimenter et innover, c’est depuis toujours leur rôle dans le champ social.
Mais les voilà confrontées à l’affaiblissement des institutions qu’elles appellent encore leurs « autorités de tutelle » : départements aux finances exsangues, administrations d’État évanescentes à force de restructurations et de suppressions d’emplois.
Il est inutile d’en appeler à une mythique « volonté politique », il faut plutôt mobiliser sa propre volonté en s’appuyant sur l’immense capital d’expérience et d’expertise dont disposent les travailleurs sociaux.
C’est ce qu’a entrepris le collectif Inclusion et faire ensemble en réunissant professionnels, bénévoles et personnes ayant vécu dans la rue pour élaborer un recueil des pratiques inclusives.
C’est ce qu’envisage l’Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale (UNAFORIS) en prolongeant avec les établissements de formation la démarche prospective lancée avec la Fonda il y a plusieurs années.
C’est aussi dans cet esprit que la Compagnie des Autres œuvre patiemment à construire un dialogue entre travailleurs sociaux et entrepreneurs sociaux.
L’architecture de notre système d’action sociale est à bout de souffle : aide sociale à l’enfance (ASE), maintien à domicile, financement et gestion des EHPAD, accompagnement du revenu de solidarité active (RSA), politiques d’inclusion, logement social, accès aux droits, accès aux soins…
Chacun comprend qu’il faut cesser de traiter les problèmes par catégorie et qu’il faut repenser les critères d’efficacité et d’efficience à partir du parcours des utilisateurs. C’est un défi stratégique que doivent relever les associations du champ social.
- 1Viviane Tchernonog et Lionel Prouteau, Paysage associatif français, Dalloz, 2019.