L'engagement se porte bien, soutenu par une créativité associative qui ne se dément pas.1 300 000 associations, dont 1 117 000 sans salariés, bénéficient de 24 millions de participations bénévoles, ce qui correspondait en 2011 à 11 072 000 équivalents emplois temps plein dont 83 % dans les associations sans salariés. De plus, entre 2005 et 2012, on compte une moyenne annuelle de 67 756 créations d'associations.
Cet engagement bénévole ne se résume cependant pas au bénévolat associatif. Selon les enquêtes de l'Ifop menées en 2010 et 2013, le bénévolat a progressé de 14 %. Cette progression concerne le bénévolat associatif (+ 12 %) mais également, et dans une proportion plus importante encore, l'engagement direct (+ 31 %). Ces chiffres posent la question de l'attraction des structures auprès des futurs engagés. Elles sont "en concurrence" avec les autres propositions qui s'offrent aux candidats à l'engagement.
Cependant, selon Lionel Prouteau, le travail bénévole dans les associations employeuses augmente, contrairement aux résultats précédents qui voyaient une baisse du travail bénévole. Il s'interroge sur cette évolution et avance l'hypothèse du recrutement de bénévoles pour pallier les difficultés à disposer de ressources suffisantes pour embaucher des salariés.
Un environnement de type libéral
La conception libérale basée sur la concurrence a triomphé dans les milieux économiques ; dès lors ceux-ci mettent en cause la légitimité de l'Etat à soutenir de son propre chef des initiatives associatives.
Le désengagement des pouvoirs publics trouve sa légitimité dans leurs difficultés financières mais également dans la conception libérale qui proclame le nécessaire retrait de l'Etat. Cette doxa libérale affecte également la nature même du bénévolat. Selon cette conception, le bénévole s'engage librement, soit dans une structure, y compris publique, tels les services d'une mairie, soit dans une action menée isolément, visites à l'hôpital par exemple.
Le bénévolat "ne coûtant rien", l'action collective ne saurait être privilégiée ni une structure soutenue à cet effet.
La décentralisation a renvoyé vers les collectivités locales le soutien aux initiatives associatives. Cependant, les élus ont très souvent considéré que le soutien du bénévolat à travers des projets associatifs ne pourrait se légitimer aux yeux de leurs électeurs que dans la mesure où il pourrait apparaître comme un prolongement ou une concrétisation de leur politique.
Les mutations économiques et sociales engendrent un éclatement de la société, une déliaison sociale, une précarisation croissante. Les individus se trouvent ainsi beaucoup moins insérés dans des milieux d'appartenance traditionnels. Ils sont tentés par l'individualisme et le consumérisme.
Mais cette société est néanmoins bouillonnante. Elle invente tous les jours de nouveaux champs d'intervention, de mobilisation, de nouvelles formes collectives de participation, de nouveaux modes d'action en commun.
Les nouveaux déploiements de l'engagement
Dans le monde associatif, ainsi que le note Jacques Ion, les groupes idéologiques et institutionnels, affaiblis, qui structuraient la vie associative n'inspirent plus les nouveaux engagés. Libérés, en quelque sorte, d'attaches traditionnelles, ils ont un investissement personnel direct, ciblé, soucieux d'efficacité. Ceci pose la question de la possibilité d'engagement de populations qui n'ont pas l'acquis intellectuel, la liberté personnelle de choix.
L'engagement revêt des formes, des ambitions, des modes opératoires d'une extrême diversité : besoin d'encadrement de celui qui se sent marginalisé, sans moyens ; besoin d'insertion ; de reconnaissance sociale ; besoin de sociabilité ; besoin d'œuvrer à la transformation sociale ; besoin de création collective ; besoin d'acquisition de compétences pour une insertion professionnelle...
En effet, les nouveaux engagés montrent des aspirations et des modes de fonctionnement assez différents des engagés traditionnels. Dans un monde de précarité ils ne s'engagent pas à long terme. Loin des idéologies qui ont marqué leurs anciens, ils sont soucieux d'efficacité, d'actions précises et évaluables.
Dans ce contexte, celui qui s'engage librement choisit le lieu où il pourra le mieux poursuivre son projet personnel, et inventer au sein d'un groupe avec lequel il se sentira en harmonie, tels les réseaux sociaux. Il se méfie de structures qu'il juge trop hiérarchiques qui pourraient l'embrigader, lui imposer des objectifs et des modes d'action. L’individu, ce qui suppose qu'il garde la maîtrise de ses engagements, se définit non par sa place mais par son parcours.
Les nouveaux domaines ouverts à l'engagement répondent aux effets des transitions déstabilisantes
Des alternatives économiques. Devant les dégâts économiques, sociaux (chômage, précarité), écologiques qu'engendre l'économie de l'hyper concurrence s'invente celle de la coopération systémique : économie du partage, économie collaborative, création de biens communs.
Le numérique peut permettre, même entre personnes qui ne se sont jamais vues, de construire en commun des projets, d'entreprendre des actions, de créer de véritables communautés d'action. Il s'agit de faire advenir une société vivable, répondant aux besoins réels de la population. Celle-ci, de mieux en mieux formée, bénéficiant de nombreuses sources d'informations alternatives revendique de plus en plus la prise en charge de réponses neuves aux difficultés croissantes.
L’importance du territoire. Face à la mondialisation, le territoire constitue l'espace de proximité où il peut y avoir une certaine visibilité des réseaux mobilisables, des projets possibles à entreprendre et de l'efficacité de l'action collective. Cerner les besoins, les espoirs au plus près et inventer des réponses collectivement est ce qui fonde la citoyenneté. C'est la base de la démocratie locale. Les collectivités locales devraient devenir des partenaires dans cette évolution.
Le pouvoir d'agir. Les conséquences sociales des transitions, marginalisant des pans entiers de la société exigent une mobilisation de très nombreux engagements. Il s'agit d'une urgence et d'une obligation de première importance. La société éclatée, renvoie à ses marges des populations qui n'arrivent plus à trouver une place ni économiquement ni socialement. L'engagement auprès des personnes en difficulté vise à leur redonner, grâce à des mobilisations et des actions collectives, un pouvoir d'agir qui peut leur permettre de reprendre le contrôle de leur vie et leur environnement.
L'entrée dans le numérique. Aujourd'hui ces pratiques pas assez maîtrisées ou employées a minima sont loin des performances que ces outils donneraient au service des projets et plus globalement de la vie des associations. L'engagement des jeunes dans ce domaine est une ressource particulièrement précieuse. Or Le monde du numérique peut répondre aux besoins des associations et amplifier leurs interventions. Ces outils permettent de créer des données, de les partager, de faire advenir des communs de la connaissance, tel Wikipedia, sachant que ceux-ci se multiplient au lieu de se diviser quand on les distribue. Certes, ils facilitent la communication entre les membres mais ouvrent aussi les associations et leurs adhérents sur des réseaux qui fonctionnent entre pairs ; cette ouverture à de nouveaux réseaux par le numérique peut élargir et renforcer les projets associatifs. Par exemple, l'association peut créer des plateformes de mobilisation en ligne citoyennes, comme les pétitions en ligne mais aussi le crowdfunding peut être une nouvelle façon de récolter des fonds pour des projets solidaires. Enfin, le numérique est aussi un outil de lutte contre la fracture numérique. ATD Quart Monde a mobilisé des outils (vidéo, Skype) pour redonner confiance à des individus en grande fragilité.
L’engagement bénévole se conjugue au futur des associations
Pour répondre aux défis multiples qu'engendrent les transitions rapides de notre société, une adaptation des associations s'impose. Face aux mutations économiques qui ont pour effet de réduire les soutiens publics, les associations vont devoir adapter leur mode de collaboration et leur demande d’engagements ; pour cela, voici quelques points de vigilance :
Respecter la nature de l'engagement bénévole gratuit et libre. Il y a des salariés engagés, motivés par le projet, ils sont néanmoins tenus par un lien de subordination. Ils ne sont pas dans la même position. La plupart des associations continueront à ne fonctionner qu'avec des engagés bénévoles, d'autres, beaucoup moins nombreuses, qu'avec des salariés, hormis les élus statutaires. Si l'hypothèse de L. Prouteau se vérifie, c'est à dire si les associations remplacent les salariés qu'elles n'ont plus les moyens d'engager par des bénévoles, il y aurait une sorte de détournement du bénévolat qui ne pourrait s'exercer en toute liberté.
La gouvernance associative va devoir trouver des formes de participation pour motiver les engagés avec une vraie pratique démocratique. Faute de quoi, certains vont refuser la structure associative. Le caractère des nouveaux engagés, qu'ils soient bénévoles ou salariés, exige une gouvernance adaptée. L'élévation du niveau de formation et de connaissance oblige les responsables à porter un autre regard sur l'individu. Il leur faut reconnaître et valoriser les apports personnels de leurs bénévoles et donner à ceux-ci la possibilité d'épanouissement et de créativité qu'ils attendent. C'est une voie, avec l'évolution du projet de l'association, qui aura une incidence certaine sur le renouvellement des responsables.
Le concept de production est en pleine transition ; désormais la production est plus collective. Les associations ont une responsabilité particulière pour pallier les effets négatifs de cette transition. Les remèdes traditionnels ne répondant plus ou mal aux exigences des nouvelles situations, il est urgent de créer un savoir qui libère les énergies cognitives indispensables pour mener l'action. C'est la culture du logiciel libre. L'action se construit par l'apport de chacun. Ce mode d'engagement exige que l'on reconnaisse et valorise les apports de chacun et que s'instaure de véritables réciprocités. La nécessité d’expérimenter par des pratiques locales communes innovantes engage une évolution de l'engagement vers la création de biens communs.
La formation va prendre une grande place. Parce que les projets requièrent de plus en plus de professionnalisme, parce que la formation en commun permet de retrouver les valeurs communes qui fondent le groupe, parce que les individus ont besoin d'approfondir et d'acquérir d'autres compétences, la formation se fera en grande partie par les pairs. Il s'agit plus d'acquérir des compétences que des qualifications. Il s'agit de créer des intelligences collectives et faire de l'apprentissage en réseau.
Vers des engagements renouvelés
Le peu de place laissée à la créativité par les institutions économiques et sociales tradi-tionnelles incite les associations à inventer des solutions nouvelles, dans un contexte en partie déstabilisant. Elles ont la responsabilité de susciter et mobiliser les nombreux engagements que suscitent les difficultés même de la transition. Elles ont pour cela de nouveaux outils à leur disposition qui sont susceptibles de les rendre acteurs majeurs d'une transition plus humaine et plus créative.
L'engagement bénévole est le signe de la permanence de la gratuité au sein de la marchandisation du monde. Cependant la gratuité du bénévolat se nuance. Des demandes de rémunérations indirectes se font jour dans certains secteurs. L'engagement bénévole pour tous, en période de difficultés, de grande précarité, dépend aussi des moyens de l'engagement.