Économie sociale et solidaire Engagement

Jeunes et ESS en 2007 : point sur les travaux de la Fonda

Jacqueline Mengin
Jacqueline Mengin
par Jacqueline Mengin paru dans la Tribune fonda n° 185 - juin 2007

Cet article constitue un point d'étape sur les travaux du comité d'étude mis en place par la Fonda en 2007 sur l'économie sociale et solidaire. À partir des auditions effectuées par le comité cet hiver, et en reprenant la problématique de départ, il est possible de tirer d’ores et déjà quelques éléments.

Les jeunes face à leur avenir professionnel

Les jeunes ne connaissent de l’économie sociale que celle à laquelle ils adhèrent (mutuelle, coopérative scolaire, par exemple) mais sans toujours savoir que cet organisme appartient à ce secteur et ce qu’il représente. Ils pensent leur avenir essentiellement dans les grandes entreprises et assimilent les associations aux seules Ong. Cette ignorance est entretenue par l’absence dans les formations classiques de ce qui touche à l’économie sociale. Il n’y a que peu de recherche en ce domaine, bien que des encouragements soient prodigués par certains acteurs tels le Crédit coopératif, mais qui restent assez isolés. Ceux qui sont sensibilisés le sont par une précédente expérience militante dans leur enfance ou adolescence.

Les jeunes vivent la précarité et ne se projettent guère au-delà d’une année. Ils cherchent un milieu professionnel performant où ils peuvent s’épanouir, où leur personnalité est acceptée et reconnue. Ils désirent une relative indépendance dans l’action, où ils puissent obtenir des résultats palpables, faisant preuve de leur efficacité. C’est ainsi que les cadres interrogés par la Cfdt déclarent qu’on ne leur demande jamais rien, ils ne sont en rien associés aux choix stratégiques de l’entreprise non plus que sur leur mise en œuvre. Ils ne veulent pas, dès lors, être responsables de choix stratégiques auxquels ils ne participent pas. Il y a, de ce fait, un repli sur l’équipe de travail et les indicateurs qu’ils peuvent maîtriser eux-mêmes.

L’économie sociale aux prises avec la nécessaire relève

Le contexte de concentration des groupes entraînant une recherche pratiquement exclusive de rentabilité, conduit à une insatisfaction de nombreux personnels qui peut, de ce fait, provoquer chez eux de l’intérêt pour un changement vers un secteur « non profit », qui a des projets, mais revendique également des valeurs. Le secteur de l’économie sociale peut-il répondre, et à quelles conditions, à ces attentes ? La vision extérieure du secteur par certains possibles candidats est assez négative : secteur sous-payé ; au fonctionnement vieillot, manquant d’envergure. Pour eux, ces organismes disposent d’un personnel vieillissant, recruté par cooptation, formant caste, peu formé, peu mobilisé pour accueillir des jeunes et les accompagner. Or, les jeunes ne sont pas prêts à sacrifier la performance/efficacité au nom des valeurs.

Les valeurs annoncées sont peu affirmées et encore moins mises en pratique dans l’organisation et le fonctionnement d’un certain nombre d’organismes de l’économie sociale. La non-cotation en bourse et plus « d’humanité » ne suffisent pas. Par exemple, dans le tourisme social on faisait payer les gens selon leur quotient familial, aujourd’hui on n’a plus le courage de le dire et on le fait de moins en moins. Pendant ce temps, les entreprises privées affichent elles aussi des valeurs : chartes, développement durable, notation sociale deviennent des concepts bien mis en scène.

Dans le passé, c’était l’ancienneté qui permettait l’avancement et la promotion sociale. Aujourd’hui beaucoup moins, les recrutements externes dominent. Les compétences internes pour le développement, tant en termes de nouveaux produits que de méthodes de management, paraissent faibles face à une exigence de professionnalisme accrue. Dès lors, la promotion interne ne joue presque plus. Et là comme ailleurs, il n’y a pas une meilleure représentation des femmes, des populations issues de l’immigration.

Il y a trente ans, dans les mutuelles, il y avait des projets de société, pas d’entreprise. Avec le temps, la culture se transmettait aux jeunes, il y avait des jeux de pouvoir fort, la démocratie fonctionnait. C’était un lieu de modernisation et de progrès social. Aujourd’hui, l’ouverture des mutuelles sur le marché des assurances entraîne le besoin de professionnalisation, de bâtir un projet d’entreprise. Elles sont démunies pour le faire et comme la démocratie ne fonctionne plus, on tombe dans un fonctionnement de clientélisme. Pour assurer la relève militante, il existe un système de délégué d’adhérents (1 pour 1 000 adhérents dans un territoire, généralement un canton), qui est proposé dans le cadre de réunions territoriales. La fonction de délégué est tournée vers la vie institutionnelle, puis les délégués se retrouvent en commissions au sein desquelles émergent des personnes qui deviendront administrateurs. C’est un type de lente auto-formation collective permettant de dégager des responsables.

Ce système n’intéresse cependant pas les jeunes qui le trouvent trop structuré et risquant de les instrumentaliser. On utilise alors davantage le système de cooptation où les administrateurs en poste repèrent des individus « bien » qui sont sollicités avec l’inconvénient important de tomber dans la consanguinité,  peu propice au changement. Comment enrichir le système de cooptation par réseau qui a néanmoins des avantages ?

Dans les Scoop, on oublie facilement l’appartenance à l’économie sociale au profit de la distribution des résultats. Certaines en font l’argument essentiel de recrutement. Le raisonnement financier prend souvent le pas, d’autant que certains candidats désirent être salariés sans devenir pour autant coopérateurs.

Les associations ont également des problèmes d’équilibre entre administrateurs, bénévoles et professionnels. Elles ont du mal aussi à intégrer les jeunes qui se présentent. Ceux-ci ont souvent l’impression qu’on les cantonne dans des tâches d’exécution et qu’ils peuvent difficilement prendre des responsabilités. Or, les jeunes désirent avoir une liberté d’initiative, être reconnus dans leur apport personnel. La question de la gestion des bénévoles est difficile. La professionnalisation d’une association peut pousser des bénévoles vers la sortie. Inversement l’omniprésence d’un bénévole peut chasser un salarié. Le handicap avancé concerne la faiblesse des rémunérations dans le secteur de l’économie sociale, il n’est cependant pas déterminant. En ce qui concerne le niveau des rémunérations, l’évolution a été nette ces toutes dernières années vers un rapprochement des conditions du marché pour attirer des candidats intéressants. Mais les groupes privés jouent sur d’autres facteurs : assurances personnelles, bonus, stock-options… Cependant, le problème de la différence de niveau des rémunérations ne semble pas être un handicap déterminant parce que ce n’est pas le premier critère mis en avant par les candidats, et d’autres atouts peuvent jouer davantage. Le critère de la rémunération ne joue vraiment qu’en cas de changement, la sécurité de l’emploi restant l’élément déterminant. (à l’exception de plus jeunes recrutés à bas salaires en période de crise, ceux qui ont eu des accidents de parcours et ceux qui sont seuls.) Ils ont également un souci de conserver et d’enrichir leurs connaissances de divers outils de gestion afin de pouvoir éventuellement se tourner vers le privé.

Le plus déterminant paraît être l’organisation et le fonctionnement des organismes qui devraient mettre en pratique les valeurs proclamées. ÉÉ

Éléments de mutation nécessaires

La spécificité des organisations de l’économie sociale réside avant tout dans leur mode d’organisation : un conseil d’administration, largement bénévole, responsable politiquement du devenir de l’entreprise et des professionnels responsables de la marche de l’organisme, en principe sous l’autorité du dit conseil d’administration. Or, l’équilibre entre les deux est un des problèmes à régler, dans tous les secteurs de l’économie sociale.

Il est indispensable d’assurer la reconnaissance de la légitimité des élus, d’éviter les doublons entre salariés et élus qui provoquent des difficultés et génèrent souvent de l’incompétence aggravée par le faible niveau des administrateurs, ce qui entraîne un problème d’image.

Revenir à un fonctionnement plus démocratique avec une concurrence entre les candidats et une formation accrue des élus où les professionnels puissent trouver leur place, claire, sans doublons, sans empiétement avec des directives claires et négociées. Dans le milieu associatif, il est primordial de travailler sur l’équilibre et le respect des rôles respectifs des administrateurs, bénévoles non militants et militants, et professionnels.

Possibles solutions

  • Créer une véritable recherche sur le sujet.
  • En réponse aux demandes des jeunes qui sont plutôt attirés par les grandes entreprises, ou carrément par les Ong, il faudrait expliquer que bien que moyennes, les organisations de l’économie sociale sont différentes et en quoi elles le sont. Elles ne sont en rien marginales mais forment un secteur non négligeable de l’économie. De plus, les jeunes sont sensibles à l’aspect solidaire des activités, 13 % de jeunes militent dans des associations. Or, les organismes de l’économie sociale sont fondés sur des principes de solidarité, mais ce trait fondamental est insuffisamment perçu à l’extérieur et ne constitue pas à lui seul un argument réel de recrutement : la présentation de l’organisme aux candidats, ses valeurs propres, déclinées dans la pratique, devrait intégrer l’ensemble de ces aspects. Il serait judicieux d’afficher clairement l’appartenance à l’économie sociale. Il est intéressant de noter que le commerce équitable, malgré ses ambiguïtés, est attractif auprès des jeunes. Compris comme un lieu de contre-pouvoir économique, il est un des seuls secteurs à s’afficher sans complexe, ce qui donne aux jeunes l’impression de s’y retrouver. La culture de l’entreprise est toutefois déterminante et ne peut s’acquérir que progressivement. Souvent, c’est l’objet qui est présenté plus que les valeurs. Par exemple, à la Mgen, l’éducation prime, le reste est peu présent (gestion, produits, développement) et le discours sur les valeurs paraît souvent extérieur.
  • Les militants se forment dès l’enfance par la pratique, par exemple, dans des coopératives scolaires qui devraient être de véritables lieux d’expérimentation pour les enfants. Adolescents et jeunes ne se forment guère aujourd’hui dans les mouvements de jeunesse ; les organismes de l’économie sociale, devraient, dans un souci d’élargir « leur vivier » de militants, s’intéresser, sans les instrumentaliser, aux lieux où les jeunes expérimentent des formes d’action collectives ; ceux-ci ne sont pas en effet attirés par des formes institutionnelles, même si elles leur paraissent « alternatives », ils sont motivés par l’action.
  • Il existe un certain nombre de lieux pour se faire connaître, qu’il faudrait investir : médias, salons, journées portes ouvertes… Il conviendrait de forger une communication pour donner une image adaptée de l’économie sociale. Le langage alors employé est déterminant. Savoir préciser la spécificité de l’économie sociale et s’en tenir à un vocabulaire du secteur : « excédents » et non « bénéfices », non pas « dividendes » mais « participation au résultat »… De même, le slogan « entreprendre autrement » beaucoup utilisé par les Scoop, peut-être ambigu car il brouille l’image de l’économie sociale, faisant référence seulement à la notion d’entreprise, ce qui appauvrit considérablement la réalité et permet une confusion avec le secteur lucratif.
  • Aider ceux qui veulent entreprendre autrement à créer de l’activité dans l’économie sociale (logistique, financement, formation, accompagnement).
  • La relève suppose une bonne intégration des jeunes arrivants dans l’entreprise et donc leur accueil par l’ensemble de la structure. Ils constitueront forcément une population assez hétérogène par rapport au personnel en place, dans leurs objectifs, leur comportement, leur formation initiale. Former et motiver les cadres anciens pour l’accueil et l’intégration des jeunes est un impératif pour garder des cadres de qualité. Dans les Scoop existent des périodes de probation avant que des salariés puissent devenir associés, avec des stages d’information et de formation préalables.
  • La question posée est celle de l’ouverture de l’économie sociale. Les organismes de l’économie sociale fonctionnent beaucoup sur la base du relationnel, au consensus, dû à un recrutement homogène, avec des codes de communication internes non explicites. Ce qui crée, aux yeux des entrants, un effet de « club ». Le recrutement de candidats hétérogènes par rapport au milieu permettrait un renouvellement, une ouverture, mais exige un effort d’accueil et d’insertion toujours assez perturbant. Respectant ses valeurs, l’économie sociale est-elle en mesure de donner leur chance à des candidats moins bien dotés en environnement social au départ ? Est-elle un lieu de promotion sociale et à quelles conditions ?
  • La connaissance des organismes de l’économie sociale et l’attraction qu’elle peut exercer auprès des jeunes se fait aussi par une expérience pratique. D’où l’importance des stages en entreprise mais à certaines conditions : ils doivent être pensés pour ouvrir les jeunes qui viennent non seulement aux techniques de l’entreprise, mais aussi aux caractéristiques de l’économie sociale, aux bonnes pratiques clairement montrées. Par exemple, les stages d’organismes comme l’Ucpa accueillent des jeunes qui viennent pour faire leur stage en entreprise, sans référence au statut d’entreprise de l’économie sociale. Ce devrait être la responsabilité des animateurs de stages et des professeurs de faire la promotion de l’économie sociale auprès des jeunes étudiants. Y sont-ils formés et est-ce dans leurs objectifs ? Il conviendrait d’ouvrir aussi les stages à ceux qui, faute de relations, ont du mal à en trouver. Il faudrait démarcher les professeurs d’université pour les sensibiliser à l’économie sociale, car ce sont souvent eux qui recherchent des stages et les légitiment pour leurs étudiants. Les entreprises pourraient instituer un tutorat au-delà des évidentes difficultés de compression de personnel qui le rende moins disponible pour exercer un tel rôle.
  • Les organismes de l’économie sociale sont-ils en mesure de répondre au désir de participation aux décisions stratégiques de l’entreprise, il y a là tout un champ d’invention conforme à la conception de l’homme que prône l’économie sociale ? C’est sûrement dans ce secteur que peuvent s’expérimenter de nouvelles formes de gouvernance, retrouvant ainsi son aspect de modernisation sociale. Or, ceci correspond aux aspirations de nombreux cadres qui désirent avant tout la reconnaissance de leur travail et une véritable gestion de carrière. Les Scic sont à cet égard intéressantes ; dans les associations, des exemples comme le Mrjc, avec la mise en place d’un système démocratique de gouvernance, également.
  • Une des solutions serait de dépasser la concurrence, quand ce n’est pas la neutralisation, à laquelle se livrent, de fait, les organisations de l’économie sociale pour mettre en œuvre une mutualisation. Répondre aux besoins de sécurité, de carrière, de mobilité aussi, indispensable au développement des compétences pour les personnels et les entreprises suppose qu’il puisse y avoir des passerelles organisées : une bourse du travail, une Apec de l’économie sociale… Peut-être le recrutement de nouveaux membres permettrait-il d’initier un pouvoir collectif des organismes de l’économie sociale et de mettre en place les moyens de mutualisation ?
  • Il faut revivifier la démocratie à l’intérieur des divers secteurs de l’économie sociale.
  • Il faudrait provoquer une prise de conscience des dirigeants de l’économie sociale en créant un observatoire des dirigeants de l’économie sociale avec un questionnaire pour les sensibiliser à ces questions.

J.M. mai 2006

Analyses et recherches
Synthèse