Cet article constitue une synthèse des interventions de la journée d'étude du 12 décembre 2017. Un compte-rendu complet de la journée sera publié au mois de mars 2018.
— Yannick Blanc a proposé de reformuler l’analyse de l’impact social de l’économie sociale et solidaire à partir du concept de « chaîne de valeur élargie », inspiré des travaux de Michael Porter. Porter considère que les conditions de la performance d’une firme, outre sa productivité ou la qualité des produits qu’elle propose, sont conditionnées non seulement par des activités internes génératrices de coûts (chaîne logistique, fonction commerciale, etc.), mais également par les activités de ses parties prenantes, sous-traitants ou clients. L’acquisition d’un bien ou d’un service par un client ne répond pas exclusivement à la maximisation de son utilité, mais s’inscrit dans sa propre chaîne de valeur, complexe, liée à son mode de vie, à sa perception symbolique des biens, à sa conception du temps, etc.
L’entreprise est performante lorsqu’elle réussit à établir une correspondance entre sa chaîne de valeur, celle de son client et celles de ses autres parties prenantes. La profitabilité de la chaîne de valeur de la firme dépend donc aussi de la solidité de la chaîne de valeur globale dans laquelle s’insère son activité. Transposé à la construction de la vision stratégique d’un acteur social, le concept de chaîne de valeur élargie conduit à définir l’impact social de cet acteur comme l’accroissement de la valeur du commun, écologique ou social, que son action permet.
Un acteur social crée de la valeur à partir de ressources partagées ; cette valeur ajoutée ne se traduit pas par une marge bénéficiaire mais par l’enrichissement du commun : c’est son impact social. Le raisonnement peut être appliqué au service public : alors que la dépense publique est exclusivement considérée comme un coût, le concept de chaîne de valeur permet de mesurer en quoi elle contribue à la création de valeur sur un territoire.
Un acteur social crée de la valeur à partir de ressources partagées ; cette valeur ajoutée ne se traduit pas par une marge bénéficiaire mais par l’enrichissement du commun : c’est son impact social.
— À partir d’une étude sur la filière du facility management (services aux immeubles d’entreprise et à leurs occupants) Xavier Baron a proposé de mesurer la valeur d’un service à partir du concept de « pertinence située ». Alors que les services de cette filière sont l’objet d’une normalisation excessive les empêchant d’innover, le principal enjeu est d’en proposer une définition fonctionnelle : ils ne sont pas une simple mise à disposition temporaire d’un équipement ou de compétences au meilleur coût, mais doivent chercher à modifier favorablement l’état de leur bénéficiaire en s’insérant dans une situation particulière.
— L’exposé de Patrick Ralet a montré comment les fonctions logistiques ont progressivement été intégrées à la chaîne de valeur d’une entreprise. Plusieurs solutions logistiques (diversification des débouchés, rattachement à des circuits de distribution existants, rentabilisation du transport de petits volumes de production, mutualisation des achats, etc.) visant à pérenniser des circuits de distribution alimentaires locaux du Massif Central ont ensuite été analysées. Si certains projets ont émergé, leur pérennisation a été freinée par des logiques d’efficience et de coût immédiat.
Demander aux acteurs (producteur, consommateur, ou les deux comme dans le cas des marchés locaux ou des AMAP) de faire un effort spécifique pour faire vivre les circuits courts suppose donc de penser la chaîne de valeur logistique au-delà de l’entreprise, en l’élargissant à l’ensemble des parties prenantes de l’échange.
— En s’intéressant au secteur de la santé, Nicolas Da Silva a démontré que la vision industrialiste de la valeur aboutit à des contreperformances (multiplication des déserts médicaux, etc.). Illusion d’économiste, la gestion du secteur de la santé à la façon d’un marché de consommateurs pose aujourd’hui le problème de la transformation de la vision globale du secteur, et de la réalisation d’une véritable démocratie sanitaire.
Il a également montré les limites des essais cliniques randomisés, dont le modèle est appliqué pour mesurer l’impact social, mais dont le coût et la durée sont généralement incompatibles avec les contraintes de l’action.
— Les activités de care sont-elles, par essence, immesurables et inestimables ? Alain Loute a montré que cette posture éthique, renonçant à tout type de mesure du travail de care, conduit finalement à reproduire certaines des conditions de son exploitation. Il préconise donc de politiser la mesure du care afin de rendre visible la valeur de ces activités. Cela suppose d’abord de construire des conventions d’équivalence : la quantification, c’est convenir puis mesurer.
— Si la comptabilité conserve une image très austère et technique, elle est en réalité un système de représentation du monde qui détermine le langage d’une organisation. Alexandre Rambaud a illustré l’influence du système comptable sur le comportement d’un acteur économique. Il a proposé de considérer la production d’externalités écologiques négatives comme une dette. Lorsqu’elle émet du carbone, l’entreprise fait une sorte d’emprunt : c’est un passif écologique qui devrait être intégré comme tel dans le bilan de l’entreprise. D’où la nécessité de conduire des travaux pour étendre la comptabilité externe financière aux enjeux du développement durable sous l’angle de la dette, avec une valorisation en coûts de maintien.
— Grégory Marlier a montré l’intérêt et la difficulté de combiner, de confronter différents types d’indicateurs au niveau d’un territoire. L’indicateur de santé sociale des régions françaises permet par exemple de comparer les régions les unes aux autres à partir d’indicateurs hétérogènes. Ainsi, l'Île-de-France, première en matière de richesse économique, est loin derrière du point de vue de la santé sociale. Le travail sur les indicateurs permet également de saisir les capacités de résilience d’un territoire. Ils peuvent servir de support à la conduite des politiques publiques, qu’il s’agisse de l’élaboration des schémas régionaux, ou de la priorisation des aides et de leur fléchage. En somme, la démarche de construction d’indicateurs de bien-être territorial participe d’une approche construite du territoire concerné, donc d’une convention sur les différentes dimensions d’un projet territorial.
— Les monnaies locales sont-elles un instrument de dynamisation des échanges et de relocalisation de la valeur à l’échelle territoriale ? Marie Fare a montré qu’elles pouvaient favoriser une économie de proximité recentrant le système d’échanges sur le territoire, et permettre à des individus jusque-là exclus de s’y insérer. Mais encore faut-il que ces monnaies servent un projet de territoire : instrument dans la construction de valeur, elles s’adossent à des conventions.
— Les circuits courts prennent de l’ampleur. Yuna Chiffoleau estime qu’ils se démocratisent et qu’ils transforment les pratiques agricoles vers davantage de durabilité. La construction du modèle économique des producteurs y est inséparable d’un consensus avec les consommateurs sur les valeurs écologiques et sociales associées à l’échange. Le marché ne se construit pas hors sol, la chaîne de valeur du consommateur est aussi construite à partir des perceptions et représentations intégrées.
Dès lors que plusieurs activités se combinent dans un espace donné, le bénéfice obtenu par chacun des acteurs ne se mesure qu’à partir de la chaîne de valeur élargie.
— En s’intéressant au processus de récupération des vieux objets, Delphine Corteel a détaillé leur processus de revalorisation : travail physique, cognitif, émotionnel et social, cette revalorisation est le fruit de la pratique et de l’usage, d’une construction par tâtonnement et non l’application d’une norme préexistante.
La journée d’étude a confirmé l’intérêt de l’approche de l’impact social par l’analyse des chaînes de valeur. La notion de pertinence située appliquée aux activités de service invite à considérer que la valeur doit être qualifiée en même temps qu’elle est quantifiée.
Dès lors que plusieurs activités se combinent dans un espace donné, le bénéfice obtenu par chacun des acteurs ne se mesure qu’à partir de la chaîne de valeur élargie.
La représentation de celle-ci est le fruit d’une convention entre les acteurs dans laquelle entre une part de mesure experte (combinaison d’indicateurs) et une part de négociation portant sur la qualification et le partage de la valeur. Cette négociation peut être considérée comme une co-construction lorsqu’elle est au service d’un projet de service commun (politique de santé par exemple) ou d’un projet de territoire.
→ Découvrir également le rapport intermédiaire n°1 de l'étude « La mesure d’impact social : caractéristiques, avantages et limites des démarches existantes », publié en décembre 2017.