Cette fiche a été réalisée par Mateusz Evesque, étudiant en master Politiques publiques à Sciences Po, avec le concours de François de Jouvenel, délégué général de Futuribles International, et Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.
Pouvoir accéder à l’eau, aux services d’assainissement et d’hygiène est un droit humain. Malgré cela, les chiffres de l’ONU montrent que 2,4 milliards de personnes sont privées des services de base comme les latrines et que 1,8 milliard consomment de l’eau contaminée. Un problème auquel il faut ajouter le manque d’eau qui touche 40 % de la population et qui risque de s'accroître, ainsi que la pollution des cours d’eaux par les activités humaines. Qualité et viabilité de l’accès à l’eau d’un côté, accessibilité à des sanitaires de l’autre sont ainsi les deux grands enjeux de cet ODD.
Repères
SITUATION DE l'ODD EN FRANCE
Indicateurs à suivre
- Pourcentage de la population desservie par une eau non conforme
- État quantitatif et qualitatif des eaux
- Taux de conformité de la performance des stations de traitement des eaux usées domestiques
- Part de la population raccordée à des stations d’épuration des eaux usées
- Indice de pollution des cours des eaux
Où en sommes-nous en France ?
L’ODD n°6 de l’ONU concerne peu la France dans la mesure où elle dispose de systèmes de traitements des eaux usées efficaces. La France a d’ailleurs des ambitions plus élevées que l’ONU en ce domaine. Par exemple, son objectif de réduction des eaux usées non traitées d’ici à 2030 est de 100 % (pour un taux d’eaux usées de 3% en 2014 selon l’Insee) tandis que l’objectif affiché par l’ONU est de 50 %. Le taux de conformité de la performance des stations de traitement des eaux usées domestiques quant à lui avoisine les 90 % depuis 2010 (Insee) et 99 % de la population est raccordée à ces stations (Insee).
En matière d’état quantitatif et qualitatif des eaux (souterraines et de surfaces) et cours d’eaux, l’ONU ne mentionne pas d’objectif chiffré, contrairement aux directives européennes. Ainsi peut-on lire sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire que la France s’est fixé l’objectif d’avoir en 2015 deux tiers de ses masses d’eaux continentales en bon état pour répondre à la directive cadre sur l’eau (DCE) ; les chiffres de l’année 2013 montrent que la directive est respectée pour les eaux souterraines (67 % de masses d’eau en bon état chimique, 91 % en bon état quantitatif) mais ne l’est pas pour les eaux de surface (43 % de masses d’eau en bon état écologique, 48 % en bon état chimique).
Les directives « nitrates » et directive cadre sur l’eau fixent quant à elle les normes concernant aussi les cours d’eaux et l’on peut lire sur le site du ministère que la France a connu depuis 1998 une diminution forte de la teneur en orthophosphates des cours d’eaux grâce à la baisse importante de l’utilisation des engrais phosphatés, sans que toutefois la teneur en nitrates ne diminue considérablement.
Une question en termes d’inégalités d'accès à l’eau se pose sur le territoire national. Inégalités géographiques tout d’abord dans la mesure où les territoires d’outre-mer connaissent un moins bon traitement des eaux usées que la métropole, et que certaines régions françaises sont plus touchées par les pénuries d’eau (Sud-Ouest de la France notamment lors des sécheresses). Des inégalités sociales d’autre part: des centaines de milliers de personnes, en situation de précarité, d’exclusion ou de mal-logement souffrent des difficultés d’accès aux services de base.
La question de l’accès universel et équitable à l’eau se pose principalement pour les personnes victimes de l’une ou l’autre de ces inégalités, qui la plupart du temps se recoupent.
Prospective exploratoire
Tendances lourdes
— L’amélioration du traitement des eaux usées
Les eaux usées se répartissent en trois catégories que sont les eaux usées domestiques, industrielles et pluviales. Les eaux usées domestiques proviennent principalement des eaux ménagères (salles de bains et cuisines), généralement chargées en détergents, solvants ou graisses et des eaux-vannes (toilettes) chargées de germes fécaux et de diverses matières organiques azotées.
Les eaux usées industrielles contiennent matières organiques azotées ou phosphorées mais aussi parfois produits toxiques, solvants, métaux lourds, micropolluants organiques ou bien encore des hydrocarbures. Les eaux de pluies enfin peuvent se charger d’impuretés au contact de l’air (résidus de pesticides, fumées industrielles) mais aussi de résidus déposés du fait des ruissellements sur les chaussées des villes ou les toits (métaux lourds, résidus de pneus, carburants...).
Si avant 2007 la France faisait figure de mauvaise élève au sein de l’Union européenne en matière de traitement des eaux usées, elle a depuis largement rattrapé son retard. En témoigne la station d’épuration Seine Aval, plus grande station d’Europe, qui connaît actuellement une phase de modernisation.
— La démonstration française d’une volonté de lutter contre le stress hydrique
On parle de stress hydrique lorsque la demande en eau dépasse la quantité disponible pendant une certaine période ou lorsque sa mauvaise qualité en limite l’usage.
Pour lutter contre ce phénomène, la France augmente sa part de prélèvements d’eaux dont le renouvellement naturel est suffisamment rapide pour qu’elles puissent être considérées comme inépuisables à l’échelle du temps humain (eaux renouvelables).
Le stress hydrique est fort là où l’agriculture est très consommatrice en eau et touche particulièrement le Sud de la France.
Le Paquet énergie-climat de l’Union européenne engage la France à augmenter progressivement la part des énergies renouvelables (dont l’eau) dans sa consommation énergétique finale (à hauteur de 32 % en 2030), engagement transposé dans la Loi de transition énergétique pour la croissance verte (Loi TECV), sans que toutefois la France ne réussisse en 2014 à atteindre une part qui soit à la hauteur de la trajectoire fixée.
Incertitudes majeures
— Quelle évolution pour l’agriculture française ?
Le modèle actuel d’agriculture, intensif en engrais, est, via les engrais azotés, le premier responsable de la pollution des eaux souterraines. À première vue, l’apparition et la promotion d’une agriculture alternative plus écologique et saine laissent présager une solution au problème, que ce soit par la réduction des engrais artificiels ou par l'utilisation plus rationnelle - car plus raisonnée et raisonnable - des engrais naturels comme le fumier (qui eux aussi polluent les eaux souterraines).
L’agriculture productiviste dispose cependant d’une force d’inertie car elle répond à un besoin massif d’une majorité de la population, aux habitudes solidement ancrées et difficiles à inverser rapidement. Seuls ceux disposant des moyens nécessaires et des informations suffisantes se tournent vers cette agriculture alternative et la question demeure de savoir si cette minorité croissante pourra devenir majoritaire.
— Une dimension mondiale de l’ODD qui hypothèque le volontarisme national et son effectivité
L’impact du réchauffement climatique mondial sur l’eau est d’ores et déjà une réalité pour la France, celui-ci radicalisant les phénomènes climatiques comme les pluies. Certaines zones sont ponctuellement touchées, soit par des phénomènes de sécheresse (sud de la France par exemple) qui accentuent le stress hydrique, soit par des phénomènes de forte pluie où d’intenses ruissellements peuvent faire pression sur les capacités d’assainissement de l’eau et aboutir à un déversement de l’eau pollué en milieu naturel.
En matière d’atténuation du réchauffement climatique, la France ne peut guère avoir d’impact à l’échelle seulement locale et doit donc pour se faire agir sur la scène internationale. Elle peut seulement avoir prise sur tout ce qui concerne l’adaptation au changement climatique, avec l’incertitude de savoir jusqu’à quel point il est possible de s’adapter. Les Agences de l’eau notamment anticipent les adaptations nécessaires. En fonction de l’évaluation quantitative des précipitations (pluviométrie), elles peuvent prendre des mesures pour diminuer les risques encourus par de trop fortes/faibles pluies (par exemple limitation de l’usage de l’eau en temps de sécheresse).
Les villes de taille moyenne risquent de connaître des difficultés importantes d'approvisionnement en eau, du fait du réchauffement climatique, faute d'expertise et de capacités techniques suffisantes. Mais des métropoles sont également menacées de pénurie, telle Los Angeles, en Californie, ou sont appliquées régulièrement des mesures de rétention d'eau.
Émergences
— La sensibilité de la population aux enjeux de l’eau
Une telle sensibilité fait que des possibilités de stratégies participatives pour la gestion locale de l’eau par les citoyens apparaissent. Dynamique incarnée principalement par les Parc naturels régionaux (PNR), au nombre de 52 en 2018 et dont un des objectifs est d’expérimenter de nouvelles formes d’actions publique et collective.
Citons par exemple l’observatoire participatif de l’eau en Chartreuse-Guiers qui par le biais de la négociation et de la concertation a réalisé une base de donnée cartographique après 4 années de travail (2012-2016).
Toujours en France, le Partenariat français pour l’eau (PFE) s’est emparé de l’ODD n°6 et par ses activités contribue à sensibiliser la population aux enjeux de l’eau.
Dans une fiche thématique consacrée à cet ODD, le PFE adresse aux citoyens, aux représentants et élus, aux agriculteurs, aux associations et aux chercheurs des recommandations pour contribuer à la réalisation de l’ODD.
— Les territoires d’outre-mer, objets d’une préoccupation nouvelle
En 2011, la France se voit assignée en justice devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-conformité. Selon les normes de la directive européenne sur les eaux résiduaires urbaines (DERU), 3,1 % de ces eaux ne sont pas traitées correctement. Cette non-conformité est liée à la situation des départements d'outremer que s’explique cette non-conformité.
Un plan d’action pour les services d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à la Réunion, Mayotte et Saint-Martin, dit plan « Eau Dom » a été ainsi lancé en juin 2016. Reste à voir l’impact concret de ce plan.
Ressources
_ Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), « La France passera-t-elle les Objectifs du développement durable ? », 2016.
_ Comité 21, « Quelle appropriation des ODD par les acteurs non-étatiques français ? », 2017.
_ Futuribles international, Rapport Vigie 2016, 2016
_ Martine Valo, « Sécheresse, surexploitation : le monde a soif », Le Monde, 17 février 2018.
_ Partenariat français pour l’eau, « Les ODD. En France, jetons-nous à l’eau ».