Tout travail de prospective conduit à formuler des hypothèses sur ce que pourrait être la réalité dans plusieurs années afin de déterminer, chaque fois qu'il est possible, les principaux leviers permettant d'atteindre les objectifs qu'on s'est donnés ou de les adapter à ce qui pourrait devenir la réalité. C'est l'objet de ce numéro que de continuer d'apporter des contributions à la réflexion collective engagée dans la démarche « Faire ensemble 2020 ».
Il est souvent nécessaire pour comprendre ce qui se passe aujourd'hui de replacer les apports mobilisés dans leur profondeur historique. C'est ce à quoi nous invitent Jean-Pierre Worms et Michèle Boulègue dans leur article sur le rapport des associations au politique. Ils rappellent à juste titre « l'extériorité sociale conférée au politique » par la Révolution française qui, pour casser l'influence des corps et des églises, a créé la République des citoyens ne prenant en compte que les individus. Entre État et citoyens, il n'y avait plus rien. En reconnaissant bien tardivement, à la fin du XIXe siècle, la réalité des corps intermédiaires (syndicats, mutuelles, associations), l'État les transforme alors de fait en acteurs politiques même mineurs.
C'est l'originalité de leur thèse : « Pendant plus d'un siècle, la politique avait installé la primauté de l'organisation collective sur l'individu pour intervenir dans l'espace politique institutionnel. Certes, comme électeur, l'individu restait à la base de la démocratie, mais dès lors que la légitimité de médiations collectives avait été reconnue, l'acteur politique, avant et après l'isoloir, était l'organisation collective. L'individu devait s'y fondre et s'y soumettre. »
Aujourd'hui ajoutent-ils, les individus, notamment les plus jeunes, récusent ces formes d'adhésion qu'on peut assimiler à de l'embrigadement, « confortés en cela non seulement par les moyens d'autonomie personnelle supérieurs dont ils disposent désormais mais aussi par les valeurs individualistes portées par une économie et une société de marché. C'est en tant qu'individus et au nom de leurs particularismes irréductibles qu'ils revendiquent un statut d'acteurs politiques de plein droit. » D'où les dilemmes que connaissent les associations, notamment face au « zapping » militant.
Yannick Blanc tente dans son texte « Les associations face à la reconfiguration des individus » d'éclairer cette question en mobilisant de nombreux travaux notamment sociologiques.
Comme nous l'avait déjà rappelé François de Singly, l'individualisme contemporain n'est pas une régression morale et ne signe pas le déclin irréversible de l'action collective. Pour comprendre ce qui se passe, il faut repérer ce qui a profondément changé dans le travail et dans le rapport aux institutions, il y a déclin d'un certain paradigme de l'autorité des institutions et de celle des croyances et des pratiques religieuses.
Et après avoir esquissé différents scénarios d'évolution, il dit sa confiance en l'avenir des associations : « L'individu reconfiguré est à la fois plus riche de potentiel, porteur de davantage de capacités créatives et relationnelles mais aussi plus fragile lorsque ce potentiel est convoqué par les exigences de la productivité, de l'adaptation et de la précarité. L'association se distingue des autres institutions parce qu'elle ne demande aux individus ni d'être performants ni d'être conformes. Elle est donc, par construction, plus proche des attentes des individus que ne le sont aujourd'hui les entreprises et les organisations publiques. »
L'horizon de notre exercice de prospective est à dix ans. Beaucoup d'évolutions sont déjà inscrites dans ce que nous vivons actuellement. Il nous fallait regarder ce qui dans les ruptures significatives que notre société connaît aujourd'hui - et elles sont nombreuses - allait le plus impacter immédiatement le tissu associatif.
C'est ce à quoi s'est attelé l'auteur de cet éditorial ayant bien conscience qu'il ne pouvait être exhaustif. La grille de lecture privilégie ce qui dans l'évolution du monde pouvait apparaître comme devant structurer le débat public sur les choix collectifs auxquels les associations sont appelées à participer. Dans un second temps, ce sont les lignes de fractures sociétales ou de vulnérabilités individuelles et collectives, le plus souvent prises en charge par les associations, qui ont été travaillées.
Enfin, parce que le mouvement associatif a largement suscité et accompagné le développement de l'État-providence , il était nécessaire de faire le point sur ce qu'on appelle les risques, risques anciens mais aussi risques nouveaux qui appellent des réponses collectives, si possible associatives. Ce qui se dégage de cette lecture peut se résumer en quelques mots : les questions à traiter sont telles qu'un énorme effort de redistribution est nécessaire, un surcroît de solidarité indispensable, ce qui va conduire à d'énormes tensions dans la société française.
L'enjeu pour les associations est non seulement d'accompagner ce moment mais aussi de poser les termes des 'débats à mener et de peser sur les décisions à prendre.