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La construction d’un monde juste, solidaire et durable implique la mobilisation de tous les acteurs, ainsi qu’une coopération entre eux, comme le rappelle l’objectif de développement durable n°17 de l’Agenda 2030. Dans un contexte de multiplication et de complexification des défis contemporains, quel rôle les entreprises peuvent-elles jouer ? L’engagement des salariés conduit-il de facto à faire de l’entreprise une structure engagée ? Quelles sont les caractéristiques d’une entreprise engagée ?
Engagement des salariés : effets d’affichage ou changements systémiques ?
La quête de sens des individus est bien présente au sein des entreprises, tout particulièrement chez les jeunes, observe Maryline Filippi. Ils souhaitent travailler dans une structure qui soit en phase avec leurs valeurs, tout en donnant du sens à leurs actions pour participer à la construction d’une société plus juste.
Les entreprises en ont conscience, ajoute Agathe Leblais, car « pour chercher des talents, elles ont besoin de convaincre de leur sincérité et de recréer de la cohérence ».
Une fois embauchés, « les salariés cherchent à s’engager, car c’est une véritable bouffée d’oxygène dans leur quotidien » complète Agathe Leblais. Ils peuvent ainsi élargir leurs horizons, explorer de nouveaux domaines voire faire bifurquer leur projet professionnel. Le pro bono, que ce soit du mécénat ou du bénévolat de compétence, est un levier d’engagement des salariés, mais aussi une variable de départ.
Aujourd’hui, les entreprises s’appuient sur des acteurs associatifs pour engager leurs salariés. C’est le cas notamment de Pro Bono Lab qui travaille depuis plus de dix ans sur des programmes d’engagement au sein d’entreprises. Agathe Leblais observe une tendance de ces entreprises à mesurer et valoriser l’engagement des salariés avec la création d’un « KPI de l’engagement », des indicateurs clés de performance. « Les entreprises surresponsabilisent les salariés. Or, elles devraient d’abord modifier leurs cœurs de métiers pour être elles-mêmes engagées », souligne Agathe Leblais.
Caractéristiques d’une entreprise engagée
Une entreprise engagée a une fonction productive qui arrive à réconcilier les préoccupations environnementales et sociales. Autrement dit, « c’est une entreprise qui fait du bien pour la collectivité en mobilisant les salariés, les actionnaires et les acteurs locaux », selon Maryline Filippi.
Kate Raworth propose dans son ouvrage Doughnut Economics de penser d’une nouvelle manière l’économie afin d’allier les enjeux environnementaux — le plafond environnemental — et la justice sociale — le plancher social1 .
Agathe Leblais rappelle les cinq critères identifiés par l'économiste pour savoir si une entreprise est réellement engagée :
- Pourquoi existez-vous ? Pourquoi le monde aurait-il besoin de vous ?
- Quel est votre réseau ?
- Quelle est votre gouvernance ?
- À qui appartient votre structure ?
- D’où vient l’argent et comment est-il employé ?
Ce qui compte pour qu’une entreprise soit engagée, ce n’est pas tant sa taille, mais bien ses caractéristiques, ses enjeux et ses modes opératoires, ajoute Maryline Filippi. D’ailleurs, en France, plusieurs organisations doivent répondre à certains critères, notamment quant à la gouvernance et l’utilité sociale, pour être considérées comme des structures de l’Économie sociale et solidaire (ESS)2 .
Pour que les entreprises transforment leur organisation, il est indispensable de changer leur grille d’évaluation, tout particulièrement le compte de résultat et le bilan. « L’idéal serait que ces documents rendent visible la création de valeur et de liens, et plus globalement la contribution de la structure à la construction d’un monde viable », rebondit Agathe Leblais.
Maryline Filippi indique que des acteurs de terrain et des chercheurs tentent déjà de coconstruire des indicateurs qui prennent en compte le vivant, à l’opposé de ceux liés à la maximisation du profit initiée par Milton Friedman3 .
Coconstruire un monde durable
« C’est au niveau des territoires que nous pouvons trouver des solutions pour faire face aux crises actuelles, répondre aux besoins des personnes et reconstruire la société », rappelle Maryline Filippi. Cela suppose de mobiliser les différentes parties prenantes d’un territoire, dont les entreprises, pour faire ensemble.
Telle est la philosophie de la Responsabilité territoriale des entreprises (RTE)4 qui propose « un ancrage des entreprises dans leur écosystème, d’identifier les besoins concrets des communautés locales et d’y répondre collectivement », poursuit-elle.
La démarche de Territoires zéro chômeur de longue durée en est un exemple. Elle repose sur une coopération entre collectivités territoriales, associations, entreprises et acteurs du service public de l’emploi et de l’insertion au sein du comité local pour l’emploi5 . Il s’agit d’une logique plus collective que la responsabilité sociétale des entreprises et qui s’inscrit pleinement dans le fonctionnement de l’entreprise, « dans son réacteur », selon Maryline Filippi.
En revanche, Agathe Leblais n’observe pas cette logique de responsabilité territoriale à l’œuvre dans les grands groupes. Cette approche fait cependant sens pour relever les grands défis contemporains. La constitution de communautés pour construire ensemble des solutions répondant aux besoins des acteurs locaux s’avère être un enjeu prioritaire pour notre avenir.
Conclusion
Les entreprises favorisent de plus en plus l’engagement de leurs salariés ce qui leur permet de (re)trouver du sens dans leurs missions.
Cependant, ce phénomène s’accompagne d’une volonté de mesurer et de valoriser cet engagement, sans véritablement remettre en cause les orientations stratégiques de l’entreprise.
Une entreprise engagée doit au contraire aligner ces orientations avec les considérations sociales et environnementales. Au-delà d’initiatives individuelles, il est temps d’enclencher des dynamiques territoriales partant de besoins.
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Ce compte-rendu a été rédigé par Hannah Olivetti de la Fonda et relu par Charlotte Debray, Maryline Filippi, Agathe Leblais, Anna Maheu et Agathe Thiebeaux dans le cadre de la journée d'étude de la Fonda. Il est mis à disposition sous la Licence Creative Commons CC BY-NC-SA 3.0 FR.
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- 1Kate Raworth, Doughnut Economics : Seven Ways to Think Like a 21st-Century Economist, Random House Business, 2017.
- 2Cf. la loi relative à l’économie sociale et solidaire de 2014, dite « loi Hamon ».
- 3Si le concept de maximisation des profits a irrigué les travaux de l’économiste américain, sa position est résumée dans son article New York Times Magazine du 10 septembre 1970, « A Friedman doctrine — The Social Responsibility Of Business Is to Increase Its Profits » : « l’entreprise n’a qu’une responsabilité sociale, celle d’utiliser ses ressources et de mener des activités visant à maximiser ses profits. »
- 4Maryline Filippi (sous la direction de), La responsabilité territoriale des entreprises, Éditions le bord de l’eau, 2022.
- 5Lire à ce sujet Alexeï Tabet (La Fonda), Territoires zéro chômeur de longue durée : quelle création de valeur ?, 2022, [en ligne].