Engagement

S’engager contre, s’engager pour

Tribune Fonda N°265 - S’engager contre l’Autre - Mars 2025
Agathe Leblais
Agathe Leblais
Depuis sa création, la Fonda défend la liberté associative comme fondatrice d’une société inclusive et durable. À l’opposé de notre système de valeurs, certains engagements ont pour racine un déni de l’Autre, qu’il s’agisse de ses droits, de son pouvoir d’agir ou même de son existence. Parce que ces engagements nous interpellent, nous leur consacrons le numéro 265 de la Tribune Fonda : qui s’engage contre l’Autre ? Pourquoi et comment ? Au-delà du travail nécessaire de compréhension du phénomène, nous interrogerons également des structures qui tentent de contrer ces engagements, dans un contexte politique de montée de l’extrême droite.
S’engager contre, s’engager pour
S'engager contre l'Autre de la Tribune Fonda © Anna Maheu / La Fonda

Au moment où nous écrivons ces lignes, nous sommes sur une ligne de crête où l’engagement adopterait un nouveau visage. Celui d’une opposition aux idées progressistes qui ont toujours animé notre association1  et qui se propagent dans la société française selon les travaux de Vincent Tiberj2

Depuis plusieurs années maintenant, nous observons la philanthropie d’extrême droite s’organiser3 , des cortèges défiler contre les droits d’autres êtres humains et des actions spectaculaires réussir à diffuser les idées les plus réactionnaires sur les plateaux de télévision4

L’époque est (d)étonnante en ce sens qu’elle nous rappelle avec une violence et une brutalité inouïes combien la liberté des uns s’arrête à l’existence même des autres. 

Si des associations ou des fondations s’engagent contre la place de certains et de certaines dans notre Cité, alors que reste-t-il même de la notion d’intérêt général ? Et de la « valeur » que nous sommes prêtes et prêts à accorder à ces organisations et à leurs engagements ? 

Cela nous amène, dans ce numéro, à réfléchir à cette question : qui édicte les règles du jeu de l’intérêt général ? Qui pose le cadre de la discussion, selon les termes de la philosophe nord-américaine Nancy Fraser. Nous ne parlons pas ici d’intérêt général seulement sous l’angle fiscal, mais surtout de son acception commune : l’intérêt de toutes et tous, et la possibilité de vivre dans la même Cité. 

À la Fonda, nous partageons la conviction que chaque être a sa place dans le monde, et que nous devrions toutes et tous pouvoir nous y frayer une existence digne de ce nom. Qu’est-ce qui nous permet de penser que ces convictions sont justes ? 

L’assurance que nous pouvions avoir jusqu’à présent dans nos engagements vers l’Autre, dans nos engagements pour l’Autre, provenait du fait que les règles du jeu de la Cité allaient — en affichage et en intention a minima — dans ce sens. La fraternité, au sens de principe de solidarité, a été reconnue il y a quelques années comme un principe constitutionnel. 

Demain si nous entrons de nouveau dans une ère où l’exclusion devient la norme, où seuls les hommes blancs composent la communauté politique5 , alors nos engagements iront contre ces nouvelles règles du nouveau jeu. Si nos règles collectives se retournent, alors s’engager contre l’Autre deviendra légitime, et sûrement attendu. Car la notion d’engagement ne dit rien de ce qu’elle porte et défend6

À notre façon, nous nous engageons toutes et tous contre un adversaire que nous ne nommons pas. 

Et quel que soit notre « camp » : nous avons la conviction que notre cause est juste, et que l’Autre a tort. Peut-être qu’il nous faut, à l’avenir, être intransigeantes et intransigeants sur nos valeurs7 , mais aussi en être conscientes et conscients. 

Peut-être qu’il nous faut être de celles et ceux qui réhabilitent la complexité : si nous partons du principe que les choses sont binaires, alors nous serons toujours affiliées et affiliés à un camp et cela ne permettra pas de tenter de comprendre qui est l’Autre, et ce qui l’amène à penser ce qu’elle ou il pense8

Peut-être que nous avons le devoir d’assumer que l’engagement est le reflet de nos valeurs. Et qui dit valeurs dit singularité, dit éducation, dit vision du monde, dit récit, dit imaginaire. Malheureusement celles-ci ne sont pas les choses les mieux partagées dans un monde qui semble toujours plus fragmenté. 

En espérant que la lecture de cette Tribune vous donnera des idées et du courage pour sortir de ces logiques duelles et dualistes.

  • 1La Fonda est née en 1981 dans le prolongement de l’association pour le Développement des associations de progrès (DAP).
  • 2ncent Tiberj, La Droitisation française, mythe et réalités, Presses universitaires de France (PUF), 2024.
  • 3Adrien Franque, « Qu’est-ce que le projet Périclès », Libération, juillet 2024.
  • 4Sur le rôle des journalistes, lire Salomé Saqué, Résister, Payot, 2024.
  • 5Lire à ce sujet Réjane Sénac, « Les mouvements conservateurs ne sont aussi vocaux que parce que nous vivons une ère d’ouverture. », Tribune Fonda n°265, mars 2025, [en ligne].
  • 6Voir à ce sujet le halo de l’engagement étudié dans l’exercice de prospective de la Fonda « Vers une société de l’engagement ? »
  • 7Claire Thoury et Olivier Guivarch, « Dans ce contexte de montée de l’extrême droite, il est nécessaire de repenser le continuum de l’engagement », Tribune Fonda n°265, mars 2025, [en ligne].
  • 8Lire à ce sujet Baptiste Morizot, Manière d’être vivants, Actes Sud, 2020.
Éditorial