Engagement Modèles socio-économiques

Un paysage associatif en clair-obscur

Viviane Tchernonog
Viviane Tchernonog
Et Hugues Sibille
« Les chiffres témoignent d’un fort désir d’engagement, et le monde des associations reste un corps social divers et actif. Et ce, malgré le manque de diversité dans leur composition sociale et la baisse des financements publics ».

Cet article est une reproduction de la tribune de Viviane Tchernonog et Hugues Sibille parue dans le journal le journal Le Monde du 17 octobre 2018 (cliquer ici pour télécharger l'article du Monde au format PDF).
 

Vu de loin, le paysage associatif paraît immuable. De près, il se transforme. La base du tableau, les petites associations, s’élargit sensiblement, tandis que le sommet, les moyennes et grandes, se concentre. Au premier plan, le modèle économique change nettement : pour la première fois, le budget associatif consolidé stagne entre 2011 et 2017, et les subventions publiques ne représentent plus qu’un euro sur cinq. Il est essentiel de disposer de données plus régulières pour suivre ces mutations, et l’actualité invite à mieux connaître ce que pourrait être une « société de l’engagement ».

La France compte 1,5 million d’associations, immense biodiversité citoyenne. Sa démographie est positive, avec 200 000 associations de plus qu’en 2011, soit une augmentation de 2,4 % par an. Ce sont pour l’essentiel de petites associations locales de bénévoles. Les associations employeuses, elles, amorcent un léger recul en nombre. Ces chiffres témoignent d’un fort désir d’engagement, corroboré par le rythme élevé de développement du bénévolat.

Le nombre d’heures bénévoles augmente de 4,9 % par an, soit 1,4 million d’équivalents temps plein. Ces chiffres ne sont pas assez pris en compte dans la comptabilité nationale et les indicateurs de richesse. Si l’on écarte tout critère de durée minimale, ce sont 22 millions de Français qui donnent de leur temps. De nouvelles attitudes émergent et des formes d’engagement « informel » se développent, tels les collectifs citoyens, sans personnalité morale.

Il faut se réjouir d’un dynamisme témoignant d’une société française active, gage de démocratie et de lien social. Par comparaison, certaines sociétés d’Europe de l’Est, où la société civile organisée est menacée, inquiètent. Mais il ne faudrait pas pour autant céder à une euphorie française pour deux raisons.

La première tient aux gouvernances. De nombreuses associations peinent à renouveler leurs conseils ou leur présidence. Ces gouvernances restent « monopolisées » par les hommes (64 %), les seniors (41 %) et les catégories socioprofessionnelles supérieures (31 %). Cela conduit à une seconde alerte. Le bénévolat associatif apparaît insuffisamment ouvert à tous, en particulier aux personnes en difficulté.

Les jeunes précaires ne s’engagent pas. Les personnes dont le niveau de qualification est bas s’engagent moins. De fait, le bénévolat est touché par la société à deux vitesses. Avec un risque de renforcement des fractures. La mise en place du Service civique concernant 150 000 jeunes en 2018 et les annonces faites sur le Service national universel cherchent à corriger ces risques.

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© Le Monde, édition du 17/10/2018. Chiffres issus de l’étude « Le bénévolat en France en 2017 » de Lionel Prouteau.


Faire plus avec moins


Il faut saluer le rapport « Pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement », remis au premier ministre en juin 2018. Il fourmille de propositions pour promouvoir des « parcours d’engagement tout au long de la vie », scolaire, active, retraitée.

Ces propositions nécessiteront un dialogue durable avec l’éducation nationale, mais aussi avec les partenaires sociaux, ainsi que des moyens. Que représentent les 8 millions d’euros du Fonds de développement de la vie associative pour 5 millions de responsables bénévoles, quand le budget annuel de la formation professionnelle est de 32 milliards ?

Il n’existe pas un, mais une multitude de modèles socioéconomiques associatifs. Cependant l’économie associative fait apparaître plusieurs tendances.

Premièrement, le budget associatif français ne progresse pratiquement plus entre 2011 et 2017, stabilisé à 113 milliards d’euros, après plusieurs décennies de forte croissance. C’est une rupture historique. Une baisse aurait même été enregistrée si les départements n’avaient pas externalisé certaines de leurs activités vers les
associations.

Les associations doivent faire plus avec moins. Jusqu’où ? Des limites sont atteintes, les Ehpad le montrent. En outre, la privatisation des ressources est
d’autant plus marquée que la baisse des financements publics s’accélère. Les ressources privées représentent 55 % du total de ressources en 2017, principalement grâce à la participation des usagers (42 %).

Le service associatif « s’achète » désormais, avec de forts risques d’inégalité d’accès, y compris territoriale.

Les subventions publiques continuent de baisser ; leur poids est passé de 34 % des ressources en 2005 à 20 % en 2017. La commande publique est maintenant la modalité dominante de financement public. L’inscription de la subvention dans la loi de 2014 relative à l’économie sociale et solidaire l’a sécurisée en droit mais n’a pas arrêté sa chute en fait. Où s’arrêtera cette chute ? Un niveau raisonnable de subventions est nécessaire au paysage associatif.

Par ailleurs, la concentration s’accélère sous la pression des pouvoirs publics et de la mise en concurrence. Le nombre d’associations employeuses diminue, le secteur social se développe plus que les autres, le poids budgétaire des très grandes associations augmente : elles captent une part croissante des ressources publiques, marchandes mais aussi du mécénat. Jusqu’où iront la concentration et la mise en concurrence ?
 

Une redéfinition de l’intérêt général ?


Que faire ? Résister collectivement à la marchandisation et à la rigueur budgétaire, c’est, bien sûr, ce que fait le groupement Mouvement associatif. Mais au-delà ? Être pragmatiques en s’assumant, lorsque nécessaire, comme entreprises associatives, être imaginatifs pour conjuguer innovation financière et innovation sociale, être coopératifs en renforçant les fédérations, les groupements et les mutualisations.

L’intérêt général (re)devient d’actualité, la mission « Entreprise et intérêt général », lancée en janvier, et la loi Pacte [Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises] qui donnent une place plus grande aux impacts sociaux et environnementaux de l’activité de l’entreprise en témoignent. Sa définition politique et fiscale peut transformer le paysage associatif.

D’un côté, les associations jouent un rôle essentiel de co-construction de l’intérêt général sur les territoires avec les entreprises et les collectivités. De l’autre, des menaces apparaissent sur la spécificité du rapport associatif à l’intérêt général. Aujourd’hui la reconnaissance d’intérêt général associative repose principalement sur le rescrit fiscal délivré par Bercy. Est-ce normal ?

Surtout, les associations craignent, à travers la modification du Code civil ou l’émergence de sociétés à objet social étendu (SOSE), une banalisation de l’intérêt général et un recul de sa dimension « non-lucrative ». Ce sujet n’est pas uniquement français et renvoie à l’Europe à travers la question des services sociaux d’intérêt général (SSIG). Les échéances européennes de 2019 seront une sérieuse préoccupation associative.


→ Téléchargez l'article au format PDF (page du journal Le Monde du 17/10/2018)

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