Rédigé à partir de l’enquête « Paysage associatif français » conduite par le Centre d’économie de la Sorbonne en 2011 et 20121 , cet article présente les principales tendances qui traversent le monde associatif. Il soulève des questions d’avenir pour les associations.
Recomposition du paysage associatif
Alors que l’image dominante auprès du grand public est celle des grandes associations, celles-ci ne forment que 2 % du paysage associatif. Ce sont en majorité des associations de réparation sociale dont beaucoup font appel à la générosité publique2
. Celles qui gèrent des établissements ou des services dans le domaine sanitaire et social s’apparentent d’ailleurs davantage aux yeux de la population à un service public qu’à une création citoyenne. L’image traditionnelle des associations tend néanmoins à évoluer. Auparavant associé aux pouvoirs publics et tirant sa légitimité d’un éventuel soutien financier de leur part, le monde associatif se transforme : 86 % des associations ont un budget annuel inférieur à 1 000 euros et 43 % ne reçoivent aucun soutien financier de la part des pouvoirs publics.
Les petites et les très petites associations, s’appuyant principalement sur le bénévolat, ont ainsi crû de près de 10 % par rapport à l’enquête de 20063 . On assiste, semble-t-il, à un mouvement social qui se développe de façon autonome et qui ne semble plus rien attendre des élus. Ce mouvement reste toutefois largement invisible. Et pourtant il se développe rapidement, deux fois plus vite que la moyenne des associations4 . La société s’autonomise et se développe, créations et disparitions animent les territoires.
Se profile donc une fragmentation du paysage associatif, entre d’un côté les grandes associations, employeuses et à fort budget, qui sont minoritaires, et de l’autre des associations, nombreuses, petites, autonomes, protestataires ou militantes, qui nourrissent un mouvement social créatif. Celui-ci reste cependant très éclaté, dispersé et pourrait, à l’avenir, gagner en visibilité pour devenir force de proposition, notamment dans les territoires et sur la toile où se manifestent de nouvelles formes de militance et de collectifs informels.
L’avenir des associations de taille moyenne est pour sa part incertain. Durement impactées par la transformation des subventions en une certaine généralisation de
La commande publique, peu outillées pour répondre aux appels d’offre, elles connaissent une dépendance accrue aux recettes issues de la vente de services aux usagers. Cette évolution peut les conduire à privilégier une offre de services en direction des publics rentables, mettant à mal la spécificité de la pratique et de l’éthique associative qui était dans le mixage des publics. La disparition des associations de taille moyenne ou leur conversion vers les seuls publics solvables serait particulièrement dommageable dans la lutte contre les discriminations. Rendre le même service à tous, quelles que soient les situations économiques et sociales des populations, est au cœur de l’intervention des associations de taille moyenne et constitue un élément structurant de la cohésion sociale sur les territoires.
Évolution des financements
Le financement du secteur s’est profondément modifié au cours des dernières années et le sera durablement. Jusqu’ici principalement soutenues par les pouvoirs publics, les grandes associations – ou davantage encore les moyennes –, sont touchées par la raréfaction des crédits publics, une mise en concurrence accrue et un durcissement croissant du cadre administratif et juridique. La transformation des subventions en commandes publiques, qui ont désormais un poids comparable dans le budget total du secteur5
, s’installe à tous les niveaux de collectivités et tend à privilégier les associations qui ont les moyens requis sur le plan administratif et financier pour répondre aux appels d’offre.
Plus gravement, le passage de la subvention à la commande publique transforme les associations en auxiliaires – voire prestataires – des politiques publiques et se fait au détriment d’un soutien aux initiatives associatives et à la créativité sociale. Liée à une marchandisation accrue des rapports sociaux, cette évolution va de pair avec un accroissement des ressources privées à un rythme beaucoup plus rapide que le financement public6 . Cette privatisation du financement associatif est notamment liée à la participation financière des usagers aux services rendus, aux ventes de biens et services et aux cotisations des adhérents. Il est à noter que parmi les ressources qui alimentent le budget cumulé des associations, la part du mécénat reste limitée7 .
Les associations sont donc amenées à modifier leur modèle économique pour conserver leur indépendance, leur capacité d’innovation et leur créativité sociale. Une marge de manœuvre pourrait être trouvée dans un véritable partenariat public/privé, en particulier avec les entreprises, qui serait basé sur un objectif de développement au service de tous. Sans rejoindre le modèle anglo- saxon, des collaborations pourraient s’établir sur des bases contractuelles « gagnant/gagnant », dans le respect de l’identité associative et en réponse à des besoins sociaux identifiés conjointement.
D’autres voies se dessinent aujourd’hui, telles que l’économie collaborative, révélatrices d’un renouveau de la créativité associative. Fondés sur l’ouverture, l’échange, la transparence et l’horizontalité, liés au numérique, des systèmes d’échange, de co-création, de coproduction se mettent en place pour apporter des solutions aux besoins économiques et sociaux. De manière plus structurée, certaines associations s’engagent dans des rapprochements, créent des structures de mutualisation voire de fusion.
Le défi est de continuer à chercher un soutien public sans se faire instrumentaliser, de vendre des prestations sans s’aligner sur les services privés, de s’engager dans des voies nouvelles d’économie collaborative en y trouvant un équilibre financier et un véritable développement. La voie est étroite mais permettrait aux associations de se renforcer, de gagner en indépendance et de répondre à leur vocation de cohésion sociale et de solidarité.
Transformation du bénévolat
Le bénévolat continue à croître à un rythme annuel de 3 % mais il se transforme dans ses modes d’engagement. De façon notable, on observe une augmentation du nombre de participations bénévoles dans les associations8
. Moins qu’un engagement régulier, les bénévoles proposent désormais des apports ponctuels, des coups de main occasionnels. Ce sont de « nouveaux bénévoles » à la recherche d’une implication limitée, définie, efficace dans le cadre de « prestations » aux contours délimités.
Au sein du monde associatif, comme dans le reste de la société, on observe une affirmation de l’individu autonome au cœur du collectif. Cette évolution de l’engagement bénévole amène les responsables associatifs à aménager leur gouvernance et à repenser leur fonctionnement, ceci afin de répondre aux attentes des bénévoles, en particulier les jeunes, et d’encourager la pratique de la citoyenneté.
D’autre part, la floraison de petites associations fondées sur la mobilisation bénévole participe à un renouvellement du tissu associatif. Cette évolution est particulièrement intéressante au regard du vieillissement des responsables associatifs et de la difficulté à renouveler les instances de gouvernance dans certains secteurs. Certaines associations peinent ainsi à accueillir une plus grande parité et diversité socio-culturelle parmi leurs dirigeants.
À l’image du reste de la société, les femmes sont souvent écartées des postes à responsabilité dans la vie associative. Plutôt qu’une participation croissante dans le monde associatif institutionnalisé, les femmes s’impliquent dans des associations qu’elles contribuent à créer, dont le fonctionnement intègre dès l’origine les contraintes du quotidien. Malgré un certain rééquilibrage des tâches domestiques entre hommes et femmes, la charge d’enfants, voire de parents, continue à incomber majoritairement aux femmes, ce qui, ajouté à leur vie professionnelle, rend difficile la prise de responsabilités associatives. Le fonctionnement plus souple des jeunes associations, qui privilégient les échanges en ligne et limitent le rythme des réunions physiques, facilite l’implication des femmes. En tenant compte des impératifs du quotidien, ces associations proposent aux femmes un fonctionnement mieux adapté à leur emploi du temps, mais aussi à leur culture, à leur façon de vivre.
Par ailleurs, l’accès des femmes aux responsabilités associatives est facilité par l’existence d’instances exclusivement féminines. Ce constat concerne notamment les catégories de population les moins favorisées, telles que les employées, les inactives, les chômeuses... On peut dès lors s’interroger sur les perspectives concernant la place des femmes dans le monde associatif. À l’avenir, ces associations dépourvues de mixité seront-elles la pépinière de nouvelles engagées ? Permettront-elles à de nouvelles couches de population de se former « sur le tas », d’acquérir un pouvoir d’agir et d’enrichir un milieu associatif encore majoritairement masculin et issu des classes moyennes ? Ou à l’inverse, ces associations resteront-elles en marge, repliées sur leur projet, sans impact réel sur le monde associatif et la société dans son ensemble ? Comment encourager et pro- mouvoir les passerelles entre un monde associatif institutionnalisé qui peine à se renouveler et de nouvelles formes associatives basées sur l’engagement des femmes et des jeunes ?
Précarisation du salariat
La transformation du bénévolat, qui s’accompagne d’une certaine professionnalisation, va de pair avec une précarisation du personnel salarié dans les associations. Celui-ci recouvre des formes et des statuts variés. On dénombre actuellement 1,8 million de salariés dans les associations, dont beaucoup sont à temps partiel. C’est la plupart du temps un emploi qualifié, avec une forte pro- portion de professions intermédiaires et de diplômés, mais qui présente une précarité accrue. Seuls 47 % des contrats proposés par les associations sont des contrats à durée indéterminée (CDI)9
, tandis que 78 % des embauches se font dans le cadre de contrats à durée déterminée (CDD) de moins d’un mois10
. Le salariat associatif est en outre constitué de contrats aidés financés par la puissance publique.
Les associations, pour remplir leurs objectifs et mener à bien leur projet, font appel à des professionnels dont les statuts évoluent en fonction des moyens disponibles : salariés à temps complet ou partiel, emplois aidés, stagiaires, volontaires… Les associations participent à la professionnalisation de leurs collaborateurs mais également à leur précarisation, ce qui donne lieu à de sérieuses contestations. Prises en étau entre l’obligation de répondre à une demande sociale de plus en plus pressante et une réduction continue de leurs moyens, les associations revoient à la baisse les conditions de travail de leurs salariés, stagiaires et/ou volontaires, tout en exigeant d’eux une plus grande disponibilité et implication.
Trop souvent, la souffrance au travail n’épargne pas les associations. Cependant, les candidats ne manquent pas, notamment chez les jeunes qualifiés qui invoquent l’intérêt d’une action qui a du sens, où ils peuvent développer leurs talents et s’épanouir sur le plan professionnel et personnel. Se sentant démunies devant ces contradictions, beau- coup d’associations ne savent comment répondre aux aspirations et revendications légitimes des professionnels du secteur. à l’heure où les entre- prises commencent à prendre conscience de leurs difficultés de management et cherchent à s’orienter vers de nouvelles formes de gouvernance dans l’intérêt même de l’entreprise, les associations, pour assurer un développement conforme à leur éthique, sont amenées à travailler à l’avènement de nouvelles relations de travail. Elles ont des atouts à faire valoir, en particulier un certain sens des relations humaines et une capacité d’innovation sociale. Les associations devraient pouvoir être actives dans l’élaboration de nouveaux modèles pour l’organisation du travail et la gestion des compétences.
Les associations en réseaux
L’appartenance – ou plutôt la pluri-appartenance – à des réseaux, fédérations, unions, collectifs amène les associations à conduire leur projet en cohérence avec les dynamiques collectives dans lesquelles elles s’inscrivent. Or, l’articulation entre l’autonomie des associations à la base et les politiques définies « en haut » requiert échange, dialogue et complémentarité. Jalouses de leur liberté en matière de créativité, inscrites dans un réseau d’alliances territoriales, les associations demandent une participation croissante à la formulation des orientations et positions des collectifs auxquels elles appartiennent.
L’appartenance à des réseaux reste essentielle pour garantir l’ouverture des associations et leur participation à l’évolution générale de la société. Elle doit toutefois se nourrir de la diversité et de la richesse des associations de terrain. Outre leur implication au sein de réseaux institutionnalisés (de type unions, fédérations…), les associations s’inscrivent de plus en plus dans des collectifs informels qui se font et se défont au gré de l’actualité et de l’agenda politique. Plus souples que les unions et fédérations, basés sur un engagement ponctuel plutôt que sur une adhésion institutionnelle, ces collectifs associent mobilisation en ligne et convivialité pour favoriser la rencontre, l’échange et le retour d’expériences sur un mode horizontal propice à davantage de réactivité.
Pour être efficace et s’inscrire dans la durée, l’articulation entre l’individuel et le collectif, le local et le global devrait a minima être régie par des chartes qui renvoient à des valeurs communes, par la détermination de points essentiels qui constituent les marqueurs de la mise en commun et de l’appartenance volontaire à une dynamique collective. L’élaboration de règles d’organisation et de fonctionnement, à la fois verticales et horizontales, est d’autant plus indispensable à la vie des réseaux que la réforme institutionnelle annoncée aux différents échelons des collectivités territoriales va resserrer les liens indispensables entre pouvoirs publics et associations au niveau local.
Conclusion
Les difficultés de financement des associations et en particulier la difficulté de trouver un financement autre que strictement attaché à une action ou un projet précis, formaté par la commande publique, empêche le développement de nouvelles façons d’intervenir. Outre qu’elles rendent très difficile pour les associations la valorisation de leur action, les évaluations de nature quantitative exigées par les pouvoirs publics sont inadaptées à la mesure du développement des per- sonnes et des groupes.
Immergées dans la société et attentives aux besoins des populations et notamment des plus faibles, les associations sont interpelées par les difficultés liées au chômage, à la crise économique, à une certaine désintégration sociale. Elles ont, pour intervenir utilement, à recréer des méthodes d’intervention basées sur l’accompagnement qualitatif des plus vulnérables, dans la continuité de ce qu’ont été en leur temps les méthodes de l’éducation populaire.
À partir de l’expérience vécue par les personnes au quotidien, les associations doivent créer des outils pour que ces personnes reprennent une place dans la cité, qu’elles acquièrent un pouvoir d’agir sur leur vie et leur environnement. Cela requiert du temps, des confrontations, des essais, des expériences, des actions dans la durée, de la persévérance. D’où la nécessité de développer de nouvelles relations avec les financeurs, de créer des liens fructueux avec d’autres acteurs pour faire émerger et valoriser la créativité sociale dans une société sclérosée et en recherche de son devenir. C’est un autre modèle de société qui est à inventer.
- 1Cf. Viviane Tchernonog, Le Paysage associatif français, Mesures et évolutions, 2e édition, éd. Juris / Dalloz, octobre 2013.
- 2Sollicitation active du grand public dans le but de collecter des fonds destinés à financer une cause définie.
- 3Elles représentaient 22 % du nombre total d’associations en 2011 contre 15 % en 2005. Leur poids budgétaire est resté le même : 0,2 % du budget associatif total.
- 4Avec une croissance annuelle de 3,1 % sur la période étudiée, les petites associations de bénévoles se développent plus rapidement que les associations ayant recours à l’emploi salarié (+1,9 % en moyenne annuelle).
- 5Subventions et commandes publiques représentaient respectivement 24,7 % et 24,8 % dans le budget total du secteur associatif en 2011 (contre 34 % et 17 % en 2005).
- 6Les ressources privées ont augmenté à un rythme annuel de 3,1 % sur la période 2005- 2011, contre 1,9 % pour le financement public.
- 7 Les ressources tirées de la générosité des particuliers et des entreprises représentent 4 % du budget du secteur associatif, contre 60,6 % pour les recettes d’activité (publiques et privées), 10,7 % pour les cotisations des adhérents et 24,7 % pour les subventions publiques.
- 8Le nombre de participations bénévoles dans les associations a augmenté à un rythme annuel de 6,9 %.
- 9Ce pourcentage était de 53 % en 2005, ce qui indique une augmentation de la précarité des emplois associatifs.
- 10Cette proportion est de 66 % dans l’ensemble du secteur privé. Source Acoss-Ursaff – Traitement R&S. In La France associative en mouvement, 10e édition, octobre 2012, p. 34.