Ubérisation des livreurs à vélo
En déambulant dans les rues, vous êtes sans doute déjà passé devant des coursiers à vélo pédalant à toute vitesse pour effectuer leurs livraisons. Même si le nom et le logo des plateformes change (Uber Eats, Deliveroo ou Frichti, etc.), les problématiques auxquelles ils sont confrontés sont identiques. Un paiement à la tâche, un statut d’auto-entrepreneur n’ouvrant pas de droits sociaux, ou bien encore une injonction à la disponibilité et à la performance rythment leur quotidien. En un mot, les livreurs à vélo font face à la précarité de leurs conditions de travail.
À bas bruits, les plateformes d’économie collaborative de coursiers à vélo s’affrontent. Elles souhaitent capter le maximum de parts de marché et, à terme, être en situation de monopole. Leur seule variable d’ajustement est le prix des livraisons qui ne cesse de diminuer pour rester compétitif, au détriment des coursiers1 . Ces entreprises investissent à perte et la chute peut être brutale et douloureuse. Ce fut le cas de Take it easy en 2016 dont l’aventure en France s’est soldée par une mise en liquidation judiciaire du jour au lendemain.
Pour protester contre les conditions de travail qui leur sont proposées, certains coursiers protestent et se mettent en grève. La nécessité de faire autrement, en proposant des alternatives, s’impose progressivement, notamment lors de Nuit debout. Pour s’émanciper des start-up, un groupe de bénévoles a créé en 2016 un logiciel pour la cyclo-logistique, CoopCycle.
D'une plateforme émancipatrice à la création d'une fédération
Ce projet numérique de rupture redonne le pouvoir aux livreurs à vélo. Ils ne sont plus tributaires d’un algorithme qui les met en compétition les uns par rapport aux autres en fonction de leurs disponibilités et des notes obtenues. Ici, ils décident eux-mêmes de gérer leurs courses en étant en relation avec les clients et les commerçants.
Progressivement, l’équipe de CoopCycle a élargi le périmètre de ses actions pour devenir une fédération internationale des coopératives de livraison à l’autonome 2017. L'objectif est simple : accompagner les livreurs dans le montage, puis la pérennisation, de coopératives de livraison à vélo. Derrière le métier de coursier gravite tout un ensemble de missions indispensables (assurances, comptabilité, commercial, etc.) pour que la coopérative fonctionne
La création de la Maison des coursiersOuverte en septembre 2021, la Maison des coursiers vise à accueillir les livreurs à vélo uberisés (c’est-à-dire qui travaillent pour des plateformes de livraison). Ce projet ambitieux a vu le jour grâce au soutien de la Mairie de Paris, de la Mairie du XVIIIe et de l’association AMLI (pour l’accompagnement, le mieux-être et le logement des isolés). Il est actuellement géré par l’équipe de CoopCycle. Situé au 70 boulevard Barbès (75018), ce lieu poursuit plusieurs objectifs :
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La mutualisation comme maître mot
CoopCycle mutualise tout un panel de services pour réduire les coûts et ainsi créer des économies d’échelle. Elle propose notamment aux coopératives de livraison un appui juridique et administratif, une recherche de financements ou bien encore une négociation collective auprès des assurances et des fournisseurs.
Face à la montée en charge des coopératives, un gros enjeu de professionnalisation au sein du réseau existe. C'est pour cela que la fédération organise des modules de formation (sur le métier de livreur, mais aussi sur la vie et l’économie des coopératives) pour permettre une montée en compétences et un partage des expériences.
Actuellement, compte tenu de son expertise en cyclo-logistique, CoopCycle est sollicitée par des acteurs locaux pour effectuer des prestations de conseil (notamment des audits des pratiques). L'ambition est, qu’à terme, ce soient les coopératives membres qui valorisent leurs savoir-faire en la matière. Elles pourraient par la même occasion consolider leur modèle-socioéconomique, tout en valorisant leurs savoir-faire.
Une fédération d’envergure internationale
En seulement quelques mois, CoopCycle a changé de braquet. La fédération compte désormais, en septembre 2021, 85 coopératives adhérentes (contre une trentaine fin 2019), avec environ 500 travailleurs concernés.
Bien implantée en France avec à Bordeaux les Coursiers bordelais, à Nantes avec les Coursiers nantais, à Grenoble avec Sicklo & Toutenvélo, à Strasbourg avec Kooglof, à Paris avec les Riders Social Club, à Lille avec Lille‧bike, à Montpellier avec les Coursiers Montpellierains, elle se développe à l’international dans une dizaine de pays (en Allemagne, en Espagne, en Belgique, en Grande-Bretagne, en Suède, au Danemark, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie et au Mexique).
L'arrivée de CoopCycle au Mexique, un exemple de partenariat entre les acteurs publics et privésConscient de la nécessité d’améliorer les conditions de vie et de travail des coursiers à vélo mexicains, le Ministère de l’économie sociale et solidaire (ESS) mexicain favorise l’implantation de CoopCycle au Mexique avec l’ONG ITDP. Pour ce faire, il lance un programme de formation local pour les entreprises de coursiers, il finance aussi la transformation de ces entreprises en coopératives. Il facilite l’acquisition de matériel de livraison (vélo-cargos notamment) en le finançant. Enfin, à partir du logiciel CoopCycle, il finance un développeur pour créer une application pour les coursiers mexicains.
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Toutefois, CoopCycle manque actuellement de ressources suffisantes pour veiller au respect des règles de la fédération. Pour adhérer à CoopCycle, la coopérative doit se conformer à plusieurs règles comme avoir plus de 50% des travailleurs de la coopérative de plus d’un an qui soient associés ou bien encore ne pas sous-traiter plus de 15% de son chiffre d’affaires à des auto-entrepreneurs, etc. Ces règles permettent de garantir aux consommateurs la qualité du service rendu, notamment concernant les conditions de travail des coursiers à vélo. L’idée est de clairement se démarquer des plateformes de livraison habituelles. Recourir à CoopCycle, c’est faire appel à des structures coopératives et où l’emploi salarié est privilégié. C’est pour cela qu’Adrien Claude aimerait à terme être en capacité de réaliser des audits des coopératives adhérentes.
Autre fait marquant, ce sont les membres de la fédération qui décident démocratiquement du niveau des cotisations. Ce modèle permet de financer tous les services mutualisés par CoopCycle proposés par l’équipe salariée.
La volonté de créer une fédération sous forme de coopérative
Actuellement organisée sous forme associative, CoopCycle est en phase de devenir une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Trois types de membres y prendront part : les coopératives de livreurs à vélo (en tant que personnes morales), l’équipe salariée de CoopCycle et enfin les bénévoles historiques.
Les conseils pour «.faire ensemble.», d'Adrien Claude
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Contrairement au schéma d’organisation habituel des SCIC en collèges, Adrien Claude insiste sur le fait qu’il n’y en aura pas au sein de CoopCycle. L’objectif est que les coopératives adhérentes restent majoritaires dans le processus de prise de décision, ce qui se traduit dans la composition du Conseil d’administration. Il comprendra donc huit administrateurs :
- Un administrateur “bénévole historique”
- Un administrateur “salarié”
- Sept administrateurs “coopératives de coursiers à vélo” (dont deux espagnols, deux français, un belge, un allemand et un anglais)
Ancrée dans des valeurs humanistes et émancipatrices, CoopCycle ambitionne de révolutionner le monde de la livraison à vélo en proposant un nouveau modèle. Ce dernier conjugue avec brio considérations économiques (via les coopératives), sociales (via l’embauche des coursiers en tant que salariés) et environnementales (via la cyclo-logistique).
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- 1https://www.capital.fr/entreprises-marches/deliveroo-uber-eats-toujours-plus-de-clients-sans-gagner-le-moindre-centime-1321990