Associations et démocratie Enjeux sociétaux

Les services à la personne au service de la solidarité

Tribune Fonda N°202 - Associations, syndicats… - Avril 2010
La Fonda
Restitution de la rencontre organisée par la Fonda sur le développement des services à la personne, des liens qu'il peut y avoir entre associations et syndicats et du modèle de société derrière ces activités
Les services à la personne au service de la solidarité

L’évolution de la société invite les syndicats et les associations à poser ensemble les questions propres à conduire à une véritable transformation. Nous constatons que la répartition entre la sphère du travail et celle du hors travail s’estompe, amenant chacun à se pencher concomitamment sur les interactions entre les conditions de vie sociale et de vie professionnelle. Les syndicats et les associations sont alors contraints d’élargir le champ traditionnel de leur réflexion et d’intervention, ce qui les amène à se côtoyer davantage.

Articuler les actions, chercher les complémentarités, construire des alliances deviennent une évidence et une nécessité. C’est aussi une gageure compte tenu des problèmes de légitimité et de représentativité qui se posent aux uns et aux autres. Outil d’action collective, les associations et les syndicats doivent aussi prendre en compte la transformation profonde du sens de l’engagement. Les individus aspirent et exigent que leur implication participe de leur propre épanouissement.

Favoriser les rapprochements et les passerelles au service de la solidarité est une des missions de la Fonda. C’est pourquoi nous proposons une rencontre entre responsables syndicaux et associatifs pour débattre et étudier la possibilité d’œuvrer ensemble sur un enjeu majeur actuellement : le développement des services de proximité.

Moteur de la création d’emplois, ce secteur d’activité est au cœur de nombreuses problématiques : précarisation de l’emploi, vieillissement de la population et développement de la dépendance, besoin en matière de garde d’enfants… Tout nous invite à développer, sur ce sujet, cette vision transversale et partagée des problèmes qui permettra à chacun de développer son action de manière complémentaire sur des points capitaux pour le devenir de nos concitoyens.

C’est pourquoi la Fonda, think tank du monde associatif, a souhaité organiser le mardi 20 janvier 2009 au Conseil économique, social et environnemental, une rencontre intitulée « Les services à la personne au service de la solidarité ». Une invitation lancée aux organisations syndicales et aux acteurs du monde associatif à venir ouvrir le dialogue tous ensemble, sans autre enjeu que celui de partager des analyses, mais avec la volonté de faire progresser une société plus solidaire. Vous retrouverez ci-après l’essentiel des échanges.

 

Les services à la personne, entre solidarité et rationalité économique

Marie-Eve Joël, professeur à l’université Paris Dauphine, a introduit le séminaire sur les services de proximité pour évoquer les principaux enjeux du développement des services à la personne. Elle pointe en tout premier lieu que la manière d’aborder cette question peut avoir des répercussions économiques significatives au regard du nombre d’emplois et d’usagers. Le couple solidarité / rationnalité économique, qui guide la réflexion sur ce sujet actuellement, ouvre sur un ensemble de considérations et de questionnements complexes. Il permet néanmoins de dégager quatre sujets qui devraient faire l’objet d’approfondissements.

Les services à la personne se situent en dehors du modèle bismarkien de sécurité sociale, c’est-à-dire que cela concerne pour une grande part la prise en compte de risques clairement « hors travail » (personnes âgées, personnes handicapées, exclusion…). C’est aussi un domaine où le secteur associatif est fortement représenté, compte tenu de la capacité à saisir l’expression citoyenne de besoins sociétaux pour en faire des réponses de terrain. Dès lors, nous sommes sur un champ « de solidarité » qui échappe pour partie aux acteurs traditionnels de la protection sociale. C’est pour cela qu’il est indispensable que les associations, les syndicats et les pouvoirs publics cohabitent et coopérent sur les territoires.

Face à cet enjeu social, nous devons constater qu’une forte pression pour une rationnalité économique et une meilleure gestion s’exerce sur les acteurs. Ceci se traduit par une demande d’évaluation, la mise en place de référentiels de qualité ou encore les tentatives pour réduire les inégalités. Cette tendance accompagne naturellement le fort développement des services. En effet, tant que la solidarité touche un petit nombre de personnes (ex. l’Anpe en 1967 concernait 60 000 personnes) les exigences de gestion sont limitées. Mais dès qu’un dispositif prend de l’ampleur et que les ressources d’un dispositif sont largement socialisées, le « citoyen solidaire » se réveille et demande de rendre compte du bon usage des fonds. Ceci concerne directement le secteur associatif dont l’action se fonde sur une implication militante solidaire, qui dans certains cas peut fonctionner dans un certain flou, favorable à des ajustements « de solidarité ».

Il faut aussi faire attention à délimiter le sujet concerné par cette exigence « économique ». C’est d’ailleurs ainsi que nous pouvons mettre en évidence certaines contradictions. On va s’attacher à trouver parmi des femmes chômeuses de longue durée des aides très compétentes et magnifiques d’engagement, mais à oublier à côté le rôle des aidants familiaux. Il faut définir le périmètre de ce que doit être la rationnalité économique. Elle ne peut être que partielle, et de nombreux sujets n’en relèvent pas à l’évidence. D’un point de vue économique, les questions en suspens restent néanmoins importantes et déterminantes.

 

Un secteur complexe qui va se restructurer ?

La complexité des dispositifs et la pression qui s’exerce sur les services poussent le secteur à se restructurer. Quelle forme cette restructuration va-t-elle avoir ? La complexité, évoquée dans le rapport du Conseil économique social et environnemental (Cese), apparaît dès la définition des services (par métiers, par services rendus, par publics…). Ceci se double d’une complexité dans le langage qu’illustre une forte créativité de sigle en tous genres.

Le fait que l’intervention soit principalement réalisée au domicile des usagers contribue aussi à ce problème. Les risques afférents à ce lieu d’action sont loin d’être normés. Le service prend alors des dimensions multiples (sociales, techniques, éducatives, relationnelles…) qui contribuent à faire que les dispositifs soient à géométrie variable dans le temps et dans l’espace. Sur une longue période, le service est censé évoluer et s’adapter. L’organisation du travail qui en découle est complexe. La multiplication des intervenants et acteurs, dont certains sont informels (aidants familiaux…), conduit à une co-production du service, ce qui pose d’importants problèmes de coordination, d’autant que l’efficacité des « producteurs formels » est directement liée à l’intervention des aidants de proximité. Ceci définit un objet économique difficile à appréhender.

Nous devons aussi constater qu’il existe un émiettement de l’organisation du secteur, caractérisé par une diversité de logiques de productions (publique, associative, travail indépendant…). Au-delà, il existe des réseaux importants et des effets de mutualisation non étudiés. à cet égard, le tissu associatif est très fort. Nous ne réalisons pas toujours à combien de liens et d’accords explicites ou implicites cela correspond. Les circuits financements contribuent aussi à cette difficulté de lecture tout comme l’émergence de nouveaux « services lucratifs » rendus par des partenaires assurances ou banques. Enfin, les frontières entre les travaux domestiques et le travail non déclaré sont parfois floues.

Dès lors, la combinaison de cette complexité et de la pression économique nous amènent à l’idée que l’offre va nécessairement se restructurer. La question est de savoir quelles peuvent en être les modalités : mises en commun de ressources (enseignes, marques…), mises en place de grands réseaux qui vont distribuer des services avec des opérateurs locaux, constitution de petits réseaux autour de communes ou d’hôpitaux, mouvement de fusions-acquisitions à partir de structures existantes.

Quelles lignes forces vont se dessiner autour de valeurs de solidarités ou d’intérêts économiques communs ?

 

Un secteur soumis à une croissance de masse, une demande qui s’individualise

Cette croissance concerne des services individualisés. Il est indéniable que la demande va augmenter : augmentation du nombre de personnes âgées, du nombre d’Alhzeimer… Mais, il est probable que « nos papy boomers » s’accorderont mal d’un plateau repas modèle cantine scolaire. Ayant toujours travaillé avec un ordinateur, ils auront certainement d’autres types de demandes. Il faudra aussi prendre en compte les innovations thérapeutiques, les modifications des normes de construction… La crise financière actuelle peut aussi contribuer à modifier sensiblement la demande de solidarité de nos concitoyens.

La demande va croître (environ 5 % par an de salariés en plus), mais aussi changer de nature, ce qui sera difficile à apprécier car celle d’aujourd’hui peut difficilement servir de référence. La croissance du secteur pose la question du recrutement, d’autant plus qu’il sera concerné par un nombre important de fins de carrière. L’augmentation du travail des femmes et de leur niveau de diplôme va directement bousculer le mode actuel de développement de l’emploi. Il faudra aussi développer l’encadrement. L’industrialisation du secteur implique nécessairement de prendre en compte cette question.

Nous avons donc la combinaison d’une forte croissance, d’une évolution de la demande et de problèmes importants d’emploi. Ceci est de nature à produire d’importantes difficultés logistiques, dont il faut prendre la mesure. Dispose-t-on actuellement de la base suffisante pour les affronter ? De nombreuses organisations masquent cela pour l’instant par des discours idéalisés.

 

Une gestion de l’emploi associatif qui doit évoluer

Dans le secteur, nous trouvons, souvent parmi les salariés, des femmes à faible qualification et rémunération, dont les formes de gratifications sont symboliques et fragiles. Les temps partiels sont souvent subis et les possibilités de formation et de promotion sont limitées. Le secteur pratique volontiers « le social en interne ». Les associations sont alors obligées de pratiquer des ajustements permanents en faisant appel à des formes d’emplois aidés qui peuvent être coûteux à gérer. Elles doivent gérer les contraintes liées à la ressource bénévole (formation, valorisation, articulation avec les salariés…). Il existe donc un enjeu fort à imaginer : le type de gouvernance à mettre en place.

 

Une innovation qui accélère

L’accélaration de l’innovation dans le secteur bouscule certaines formes de solidarité. Théoriquement, l’innovation est le fonds de commerce des associations. Elles innovent et inventent des modèles qui sont repris ensuite par la puissance publique qui en assure la généralisation et la solvabilisation. Mais, aujourd’hui, les associations doivent être sensibilisées au fait qu’elles ne vont pas conserver ce monopole de l’innovation, qui va concerner dans le futur les modes de gestion aussi bien que les modes de solvabilisation. C’est ainsi qu’une partie de la demande pourrait être solvabilisée directement par les personnes pour peu qu’elles aient l’occasion de trouver une offre en face. De nouveaux financements, notamment par les assurances, participent aussi de cette tendance. Il existe un véritable enjeu pour les associations de services à la personne de maintenir de flot d’innovation dans un nouveau contexte et de réfléchir au moyen de sa reprise.

Ces quatre points (restructuration de l’offre, croissance de masse et individualisation des réponses, gestion du personnel et type de personnel, capacité innovatrice) illustrent bien la tension qui existe entre solidarité et la pression avancée en termes de gestion. Il ne s’agit pas d’une dualité ou d’une contradiction, mais de deux axes sur lesquels il faut être attentif pour comprendre ce qui peut se passer demain.

 

 

Première table-ronde

Quels sont les enjeux en termes de solidarité du développement des services à la personne du point de vue des deux acteurs ?

Animation des échanges : Gérard Alezard, vice-président honoraire du Ces

Cet échange a vocation à comparer les diagnostics, en écoutant deux voix, celle du monde associatif et celle du monde syndical, avec pour objectif de dégager des lignes de convergences, voire des actions communes.

 

Dominique Balmary, président de l’Uniopss

Le rapprochement entre associations et syndicats est tout à fait heureux, en particulier sur la question des services à la personne.

Nous faisons face aujourd’hui à deux situations paradoxales :

  • la superposition de deux objectifs différents : le développement du volume de l’emploi et l’amélioration du sort des plus fragiles ;
  • la recherche de l’intérêt général par le moyen du marché, qui se renouvelle aujourd’hui, avec le développement du service aux personnes.

Sur le premier point, on aurait pu croire avec la loi de 2002 et l’entrée des services aux plus fragiles dans la catégorie du médico-social, que le souci du qualitatif allait prendre le pas sur les soucis quantitatifs. La loi Aubry avait permis des avancées significatives, dont la détaxation fiscale. à l’époque, le contexte économique était plutôt favorable.

En 2004-2005, la possibilité d’une nouvelle dégradation de l’emploi était présente dans les esprits, et a donné naissance à la loi de cohésion sociale de janvier 2005 puis à la loi de juillet 2005 sur les services à la personne, mise en vigueur en janvier 2006. Les objectifs étaient clairement le développement quantitatif de l’emploi : 500 000 emplois en plus en trois ans. Le texte tentait de résoudre les trois problématiques : la structuration de l’offre, la solvabilisation de la demande et l’attractivité de métiers plutôt déconsidérés. Sans parler des moyens mis en œuvre, ni même des résultats, on peut souligner que l’apparition d’un deuxième régime juridique et fiscal en 2005, se superposant au régime de 2002, s’est faite au détriment de la lisibilité de l’action publique.

Le « droit d’option » ouvert aux acteurs du service à la personne, entre « l’autorisation modèle 2002 » et «l’agrément modèle 2005 » signe l’hésitation entre une formule à caractère étatique d’une part et une formule répondant aux exigences du marché d’autre part. Il montre également la difficile conciliation entre les objectifs de la politique de l’emploi avec ceux de la politique de protection et d’action sociale, qui est toujours problématique quand on essaye de les combiner. De fait, l’objectif « emploi » est toujours celui qui pèse le plus. La question que je soulève et laisse au débat est la suivante : les enjeux de développement de la qualité de l’offre, d’individualisation des réponses, ne peuvent-ils trouver de réponse que dans une conjoncture apaisée de la situation de l’emploi ?

Deuxième aspect problématique du sujet : les tensions qui résultent du recours aux règles du marché en matière d’action sociale, ce qui n’est d’ailleurs pas propres aux services à la personne. De nombreuses activités, comme l’hôpital et plus globalement le secteur de la santé, basculent dans le régime du marché. Cela n’est réellement problématique que sur le volet social, médico-social, voire sanitaire du service à la personne : l’assistance informatique ou le soutien scolaire n’ont pas, à mon sens, tellement de raisons de ne pas se soumettre aux règles du marché. Mais on peut craindre que le développement d’activités lucratives dans le secteur social, notamment à destination des plus fragiles, n’ait pour effet une sorte d’écrémage des publics, selon le niveau de leurs moyens… Pour l’heure, le risque est moindre, dans la mesure où la part des structures lucratives représente encore moins de 5 %. Mais il faut rester vigilant, bien entendu.

Par ailleurs, les questions de qualité et de contrôle sont au cœur de la crédibilité et de la fiabilité de ces services et des emplois qui en sont le support. De ce point de vue, le droit d’option conduit à favoriser la formule la moins protectrice et exigeante : l’agrément permis par la loi de 2005. Elle peut conduire certaines structures à se détourner du régime de l’autorisation au profit de l’agrément. On voit aussi des conseils généraux rechigner à payer le juste prix de prestations. Cela oriente l’arbitrage des structures en faveur de l’agrément.

Enfin, les règles du marché dans les relations avec les pouvoirs public, la traduction en droit français du droit européen en matière d’appel d’offre et de commande publique, constituent une inversion du processus d’innovation : des personnes privées qui repèrent des besoins nouveaux et organisent une réponse créative. Désormais, le repérage des besoins et le cadrage de la réponse, du fait d’une réglementation européenne nouvelle, reposent largement sur la puissance publique. C’est utile quand il y a défaillance de l’initiative privée, mais c’est surtout un basculement du droit à l’initiative privée au profit de la puissance publique, qui va chercher des sous-traitants pour y répondre. On peut craindre une stérilisation de l’offre alors que les besoins de personnalisation des réponses sont tout à fait primordiaux en matière de services à la personne.

En définitive, on peut craindre que des visons mécanistes de la politique de l’emploi, son étanchéité traditionnelle à l’égard de la politique d’action sociale, conduisent à une sorte de marchandisation de l’action sociale, qui en définitive ne sera bénéfique ni pour l’emploi, ni pour l’action sociale. Je crois que sur ce sujet, la cohabitation de deux objectifs, deux textes, deux approches différentes, nous amène à un choc des solidarités que nous ne sommes pas prêts de résoudre.

 

Yves Jalmain, pour la Cgt

Pour commencer je voudrais pointer deux chiffres : 7 à 9 % du salariat en France se situent dans le secteur des services à la personne. Parallèlement, un ménage sur quatre est demandeur de ces services.

Plusieurs raisons motivent notre présence au côté des associations sur ce sujet : dans les statuts de la Cgt, il est écrit que l’on doit transformer la société et aider à l’émancipation et la formation des populations. Parallèlement, la charte de l’économie sociale indique dans son 7e point être une économie au service de l’homme. Il y a donc une convergence de nos projets.

La réponse aux besoins sociaux est aujourd’hui un enjeu de société. Mais on a aussi besoin d’un statut de la personne qui travaille dans ce secteur. Au niveau national, un collectif travaille sur l’amélioration des conditions de vie et de travail des salariés de ce secteur et la réponse aux besoins sociaux.

En ce qui concerne les salariés du secteur, la situation est la suivante : invisibilité de leur travail, précarité très forte. On assiste à la constitution de nouveaux métiers, qui se construisent justement sur la précarité, avec notamment l’apparition du secteur lucratif par opposition à celui de l’économie sociale. On note aussi une standardisation des services : Mme de Bonneuil ne préconise-t-elle pas dans son récent rapport une « politique d’industrialisation ». On est bien sur des critères de rentabilité financière et non pas de services.

Syndicalement, il faut reconnaître que nous n’avons pas de tradition sur ce secteur. De par l’histoire du service à la personne, et parce que les organisations syndicales se sont principalement implantées dans de grandes entreprises et dans les secteurs industriels ou dans des services publics anciens. Nous devons reconnaître qu’il nous reste un énorme travail sur ce secteur émergent : définir ce secteur et la place des politiques publiques ; préciser les rôles de chacun, quelle place pour le secteur public, le secteur privé et le secteur de l’économie sociale ; quel contrôle de ces politiques publiques, principalement sur les questions financières, etc.

Un enjeu fort sera de structurer l’offre avec des emplois de qualité, professionnalisés et correctement rémunérés, ce qui sera difficile à concilier avec les questions financières…

Il est important de bien tenir compte de la frontière entre différents types d’utilisateurs : d’une part, les personnes fragilisées et d’autre part, des ménages aisés qui recourent aux services à la personne par confort. Dans le même temps, bien souvent, les salariés précaires travaillent sur les deux secteurs.

Nous avons commencé à réflechir sur un statut du travailleur salarié. Dix thèmes ont été identifiés : les salaires, les temps de travail réels, ou effectifs, c’est-à-dire, les temps de trajet non rémunérés, les congés payés, le travail de nuit ou les week-end, la retraite et la pénibilité de ces métiers, la formation initiale et continue, le droit syndical, les régimes complémentaires de santé et prévoyance, les indemnités de déplacement.

Il nous faut pousser le dialogue social et légitimer des lieux de négociation interprofessionnelle. Aujourd’hui, au lieu de parler de « satisfaction client », il vaudrait mieux parler de la qualité de service et la qualité de l’emploi. C’est l’enjeu de lier les salariés et les utilisateurs autour de ce couple. Notre logique est de mettre en place un dialogue social territorial : avec les interlocuteurs de l’Ess et les organisations syndicales, mais aussi les pouvoirs publics gestionnaires, financeurs, les organismes de formations… C’est ce que nous sommes en train de faire en Rhône-Alpes.

 

Emmanuel Verny, directeur général de l’Una

Tout d’abord, je suis assez d’accord avec les enjeux qui ont été posés par Marie-Eve Joël.

En revanche, à l’Una, nous ne pensons pas que la menace vienne des entreprises privées commerciales, mais plutôt de l’emploi direct du particulier employeur. Il faut comprendre ceci pour appréhender la réalité de notre secteur.

A l’avenir, le choc frontal se situera plutôt entre les représentants des particuliers employeurs, la Fepem, et les représentants des réseaux associatifs qui resteront. Les quelques entreprises privées du secteur ont, quant à elles, pour stratégie de nous « marquer à la culotte », et ne poseront pas de difficulté à professionnaliser le secteur, développer la qualité du service, de l’emploi…

Le choix se situe plutôt entre une solidarité organisée, dont le secteur associatif est le véhicule principal, et une approche complétement individualiste autour de l’emploi direct.

La loi de 2005 était pour nous une assez bonne loi, car elle a sauvé de la faillite un certain nombre d’associations grâce aux exonérations fiscales ; elle a aussi permis l’extension des accords de branches sur les salaires (la masse salariale a augmenté de 24 %, ce qui s’est rarement vu).

Je voudrais rappeler un événement fondateur du secteur dans les années 60 : l’entrée massive des femmes sur le marché du travail. On a découvert que le travail domestique, qui jusque-là était fait bénévolement par les femmes, avait de la valeur, et une valeur commerciale. Nous ne sommes pas encore au bout de la logique de marchandisation des services à la personne, mais elle n’est pas forcément négative.

D’autre part, le problème (ne résultant pas uniquement du fait que l’on a voulu donner la priorité à l’emploi sur l’action sociale) est la sous-valorisation complète du travail d’action sociale et d’aide à domicile. Aider une personne âgée à domicile ne se résume pas à des tâches ménagères. Par exemple, très souvent dans le discours, on sous-entend qu’un diplôme d’auxiliaire de vie sociale, de niveau 5, n’est pas nécessaire… Or, ce travail est un travail complexe, il peut y avoir de l’innovation, de la technologie… L’organisation de la société a écrasé ces données, dans le seul objectif de dévaloriser ces tâches, pour que « cela coûte moins cher ».

En définitive, le problème est une question d’arbitrages financiers et/ou budgétaires. C’est pourquoi j’affirme que la vraie menace pour les associations et leur salariés, c’est l’emploi direct, qui offre la même qualité de service, la même qualité de travail, mais coûte deux fois moins cher. La question à venir, autour du débat du cinquième risque, est la suivante : qu’est-on prêt dans notre pays, à consacrer en termes de dépenses publiques pour répondre aux besoins sociaux, au devenir des enfants après à l’école, à l’accès à l’emploi des mères célibataires, au maintien à domicile des personnes âgées…

 

Bernard Noulin, FO

Je voudrais d’abord rappeler que le dialogue social existe, il est engagé, et nos trois organisations syndicales ici présentes y participent activement. Nos organisations syndicales peuvent être acteurs de la solidarité, mais dans une sphère bien limitée. Les services d’aides à la personne, leur mise en place comme leur développement, dépendent pour grande partie de choix politiques. Ces choix sont ceux du citoyen. Il ne peut y avoir de confusion sur les rôles des uns et des autres.

L’enjeu : un accès à plus de justice sociale, et, c’est mon interprétation personnelle, à une répartition plus juste des richesses produites. C’est aussi la prise en compte de l’évolution du temps de vie et du temps de travail, autre forme de répartition nécessaire.

Je vais donc aborder la question sous l’angle des conditions de travail des salariés du secteur. Compte-tenu de la variété des services, ce secteur est atypique, et ses salariés doivent être considérés comme tels, et bénéficier de droits en matière de protection, de prévoyance ou de conditions de travail.

En effet, la qualité de l’emploi induit la qualité du service. D’autant plus que l’exercice de certains emplois requière des qualifications : ne pas les respecter induit des risques pour les salariés comme pour les utilisateurs. Le gisement d’emplois est à prendre avec caution : ils sont trop souvent précaires, à temps partiels non choisis. Les effets d’annonces se heurtent à une réalité beaucoup moins idéale, et nombre de salariés dépassent à peine le seuil de pauvreté.

Un des champs d’investigation dont les partenaires sociaux doivent se saisir est la négociation des conventions collectives. Sur la formation, il ne faut pas seulement favoriser celles où l’on pose des gestes techniques. Une dimension qualitative, humaine, doit aussi être proposée. Les Sap sont une complexe alchimie entre la technicité et une relation humaine, entre le fournisseur et le demandeur. Si l’on brade ces services, ni les utilisateurs, ni les salariés n’y trouveront leur compte et des effets contraires à ceux recherchés (paupérisation et isolement des utilisateurs) se feront sentir.

Par ailleurs, les enjeux en termes de solidarités sont multiples. Une organisation syndicale a un rôle à jouer auprès des prestataires publics et privés. La puissance publique a un rôle par le biais des Dsp et le financement. Les exonérations fiscales doivent être reparties et pas seulement simplifiées.

En 2015, deux millions de personnes auront plus de 85 ans : on mesure alors le potentiel de la demande et de la complexité des offres à mettre en œuvre. Le cinquième risque, dont le coût reposerait en partie sur le recours à une assurance privée, mais aussi sur le recours sur succession doit être sérieusement envisagé.

Enfin, je dirais un mot sur le Cesu, qui est un outil plus qu’une finalité en matière de solidarité : 70 % des personnes faisant appel au service à la personne y ont recours. Les concitoyens y sont favorables.

La solidarité passe par le partage, des choix politiques, l’impôt, dans un souci de justice sociale. Il nous faut poursuivre le dialogue. J’ai le sentiment que les Sap forment un puissant moteur de la cohésion sociale.

 

Thierry Daboville, représentant de l’Admr

Le projet politique de l’Admr s’articule autour de deux axes : – créer de l’emploi de proximité pour faire vivre l’ensemble de nos territoires ; – aider l’ensemble de la population, fragilisée ou pas, à mieux vivre.

La loi de 2005 a eu un effet dopant sur notre secteur. Jusqu’à présent la demande était confidentielle. Elle est aujourd’hui plus forte. Les associations sur le terrain ont été poussées à mieux communiquer, valoriser leurs savoir-faire.

Je ne crois pas qu’il faille opposer les deux logiques 2002–2005 : il faut accepter cette ambivalence, mais travailler pour faire en sorte que ces distorsions s’atténuent sur la question de la qualité, de professionnalisation.

Les enjeux qui se présentent à notre secteur sont les suivants :

  •  faire en sorte que les métiers que nous proposons soient de vrais métiers. De grandes avancées ont déjà été accomplies, mais de grands efforts restent à faire sur la question de la qualification, du temps de travail, des parcours-métiers. En termes de formation, on ne pense pas assez en termes de passerelles à l’intérieur même de notre secteur. Par exemple, une aide-ménagère doit pouvoir évoluer vers des postes d’auxiliaire de vie sociale… ;
  •  la qualité est un sujet transversal très important. Des évaluations externes et internes sont rendues possibles par la loi 2.2 ; la loi de 2005 est orienté vers un système de certification. Des passerelles entre les deux systèmes doivent être pensées ;
  • la reconnaissance de nos coûts est également un point à traiter aujourd’hui, l’Apa est tarifée à 15 € dans certains départements, à 21 € dans d’autres. On ne peut accepter des tarifs trop bas sans mettre en péril l’ensemble de l’emploi dans notre secteur. Les distorsions fortes doivent être régulées, par la puissance publique ou à la Cnsa, chargées de veiller à une égalité de traitement.

Je rejoins Emmanuel Verny, notre principal concurrent c’est l’emploi direct. J’en rajouterais un deuxième : le travail au noir. D’une certaine manière, le plan Borloo, avec les exonérations, permet de limiter le travail au noir.

Quant au particulier employeur, c’est vrai qu’il représente une menace pour nos organisations. Nos associations mettent des moyens sur la formation du personnel, qui ensuite va travailler en direct chez le particulier.

Il est important de conserver et mettre en avant nos spécificités, nos valeurs de solidarité, d’entraide, d’engagement. Ce n’est pas sur la question du tarif que les choses vont se jouer, mais bien sur nos valeurs spécifiques.

 

Bruno Arbouet, directeur de l’Agence nationale du service à la personne

Je vais essayer de dresser le plus objectivement possible le bilan de ces trois dernières années.

Sur un aspect quantitatif, globalement les objectifs sont atteints. Depuis trois ans, ce secteur génère environ 100 000 emplois par an. En revanche, au niveau quantitatif, le bilan est plus nuancé, notamment en termes de conditions de travail : sur 2 millions de personnes travaillant dans ce secteur, 1,6 millions sont en emploi direct. Concrètement, cela fait beaucoup de personnes qui perdent leur emploi quand leur employeur décède… Il s’agit essentiellement d’emploi féminin, souvent considéré comme des « petits boulots ».

Deux défis se présentent à nous : celui de la qualité de l’emploi, j’y reviendrai, mais aussi un enjeu démocratique. De nos jours, deux types de ménages accèdent aux Sap : les ménages aisés (domesticité) ou les personnes en difficulté. Il est important que chacun ait accès à une offre de qualité. De fait, l’emploi direct est massif. Ma conclusion après trois ans à l’Agence : nos modes de fonctionnement ne permettent pas d’appréhender la question de l’emploi direct, en particulier par les organisations syndicales, mais tout autant par les pouvoirs publics. C’est pourquoi je crois qu’il nous appartient de favoriser la structuration de l’emploi direct. Cette question doit être un enjeu fort des prochaines années.

La question du prix va aussi être un enjeu de taille : même dans le cadre du cinquième risque, on est en-deçà des besoins. Accroître la formation, la qualification des intervenants nécessitent des arbitrages budgétaires significatifs.

Au regard de ces enjeux, les associations comme les syndicats ont un rôle clef. Les associations sont les acteurs historiques, les fédérations, les grands réseaux se sont engagés dans des réformes qui démarrent seulement. Je pense que le leadership que l’économie sociale a pris est un gage du succès de la politique que nous avons mise en œuvre.

Concernant les syndicats, nous sommes également sur un lent cheminement, bien que le secteur commence à être bien identifié. Il y a un travail considérable à faire : je rappelle qu’en 2009, les salariés des entreprises de ce secteur n’ont toujours pas de couverture conventionnelle. Le bilan de ces trois années est engagé, une feuille de route pour les trois prochaines années est en train d’être préparée. Ce que je souhaite, c’est que l’ensemble des acteurs, employeurs, collectivités locales, organisations syndicales, contractualisent sur l’ensemble des points qui structureront la qualité du service à la personne.

En guise de conclusion, je proposerai une ouverture : nous sommes entrés dans une crise profonde, mais qui peut avoir des incidences positives, notamment dans la façon dont elle peut affecter les modes de consommation des ménages, une consommation plus responsable. Dans cette vague-là, le développement des Sap peut trouver une bonne résonnance. Entre donner un chèque cadeau et donner du Cesu, je pense que pour les organisations syndicales, ce n’est pas la même chose. Dans le deuxième cas, c’est du pouvoir d’achat fléché sur l’emploi.

 

Deuxième table-ronde

Quelles coopérations construire sur les territoires au service de la solidarité ?

Introduction des échanges : Jacqueline Mengin

Le diagnostic des enjeux qui se posent aujourd’hui aux services de proximité montre des convergences importantes entre les associations et les organisations syndicales, tant en termes de partage de valeurs de la solidarité, qu’en termes de structuration du secteur, de qualification, de professionnalisation, de formation. On constate bien que les intérêts des uns et des autres se recoupent.

Aujourd’hui, la mise en œuvre de ces rapprochements est encore à l’état d’expérimentation, qui ont du mal à s’inscrire dans la durée. Si elles avancent dans le bon sens au plan national, en revanche, sur les territoires, les choses sont plus difficiles.

Nous avons demandé à des personnes qui ont expérimenté ces convergences concrètes de bien vouloir nous dire quels ont été les facteurs clefs de succès et a contrario, quels ont été les freins de leur travail en commun.

 

Marie-Thérèse Join-Lambert, ancienne présidente d’Alerte

Alerte est un collectif de quarante associations de solidarité animé par l’Uniopss. Dans les années 2003-2004, le collectif Alerte a pointé le besoin d’un nouveau souffle concernant les politiques de lutte contre l’exclusion et la pauvreté : nous avons décidé de nous tourner vers les organisations syndicales et patronales (ce qui a suscité dans le monde associatif quelques réactions étonnantes de réserves ou de refus).

Au bout d’un an de travail, nous avons réussi à nous mettre d’accord avec les organisations syndicales et patronales, sur un texte commun, qui a fait l’objet d’un appel au Conseil économique et social le 26 mai 2005, et qui comprenait des engagements tels que : échanger, désigner des correspondants, se connaître, faire un bilan annuel, d’essayer de trouver des terrains d’expérimentations ensemble… Ces engagements ont été suivis d’effet : dès le 17 octobre 2005, la Cgt rappelait ces engagements et faisait état des directives qu’elle avait transmises aux échelons locaux et régionaux pour tenter de trouver des terrains d’expérimentations en commun avec les associations.

Ensuite, c’était le temps de la renégociation de l’assurance chômage : pour la première fois les associations ont pu, non pas être associées aux négociations, mais avoir des discussions préalables avec certaines organisations syndicales.

Puis, nous avons travaillé sur la question du logement, avec un appel commun, qui exprimait des positions communes, mais avons aussi participé à certaines manifestations…

Dès 2007, un appel et des engagements sur l’accès à l’emploi des personnes en situation de précarité, comprenant des engagements mutuels, étaient élaborés.

En ce moment même est mené un travail sur l’accompagnement social et professionnel.

De cette dynamique on peut tirer quatre enseignements qui peuvent éclairer notre réflexion.

► Donner du temps au temps, ne pas sous-estimer le temps nécessaire. Nous avons consacré, au niveau national, plus d’une année à prendre des contacts, à discuter, à expliquer notre démarche, pour arriver à un texte commun. Certaines Uriopss (locales) ont échoué voulant très vite copier la démarche nationale et la transposer sans prendre le temps de bien connaitre les acteurs.

► Se connaître : il y avait beaucoup de méconnaissance et de critiques mutuelles. Il s’agit de deux mondes, deux cultures, deux histoires, deux modes de fonctionnement… Les associations reprochaient aux syndicats d’avoir laissé tomber les pauvres, les syndicats nourrissaient à l’égard des associations une certaine méfiance quant à leur représentativité, leur reprochaient leur culture caritative, leur supposée absence de laïcité… Les discussions ont permis de mieux nous connaître. Les syndicats ont pu expliquer leurs difficultés à agir sur le terrain de la pauvreté, le fait qu’ils devaient d’abord se centrer sur les salariés dans l’entreprise. Les associations ont dû reconnaître que leurs actions étaient trop centrées sur les exclus et qu’elles devaient déplacer leurs actions vers le centre de la vie économique, l’entreprise, de façon à unir leurs efforts à ceux des organisations syndicales pour protéger les salariés précaires notamment.

► Trouver le bon moment pour commencer : en 2003-2004, les associations de solidarité avaient réclamé des lois pour lutter contre la pauvreté et l’exclusion, qu’elles avaient obtenues et pourtant, la situation de s’améliorait pas. Elles se sentaient responsables, condamnées à gérer l’exclusion, bureaucratisées, mais sans levier réel. Le partenariat avec les organisations syndicales et patronales en représentait un. Ces acteurs les confortaient dans leur rôle de sensibilisation de l’opinion publique. De leur côté, les organisations syndicales étaient préoccupées par un phénomène de plus en plus prégnant : les travailleurs pauvres.

► S’entendre sur un diagnostic concernant les besoins sociaux du territoire. Les partenaires peuvent avoir leur rôle, au-delà des pouvoirs publics, dans l’établissement de ce diagnostic commun. C’est ce qui permet de voir émerger des actions communes.

 

Brigitte Lesot, déléguée générale de Chorum

Face à une croissance de masse du service à la personne, des pistes de réflexions sont explorées sur les territoires, notamment en termes de mutualisations de moyens.

Un des enjeux est d’éviter la précarité des emplois et de favoriser le temps-plein : favoriser les coopérations entre employeurs, comme par exemple à travers des groupements d’employeurs.

De la même manière, une question se pose aux acteurs : comment coopérer, au niveau très local, pour mutualiser au niveau de la formation des employés ? Des parcours métiers ont été imaginés, grâce à un dialogue social territorial, qui va d’ailleurs au-delà des associations et syndicats, pour construire des parcours transversaux. Il s’agit là d’envisager, sur un territoire une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

On réfléchit trop souvent au niveau des branches, dans une organisation verticale. Le défi sera de construire ceci au niveau horizontal. Au niveau du financement de la formation, au niveau de la politique d’emploi qui se décline sur les territoires, des passerelles entre associations, syndicats, et plus largement entreprises, sont probablement une réponse, qui repose sur une volonté d’agir ensemble.

Aussi faut-il favoriser les lieux d’expérimentation, et l’émergence d’espace d’échanges qui doivent être plus larges que les espaces plus traditionnels de dialogue social : construire des réseaux et favoriser les échanges entre les différentes parties-prenantes sur un territoire.

Le secteur du service à la personne est indéniablement un terrain de mise en œuvre concrète des convergences entre acteurs, un lieu où il est possible de construire une offre complémentaire entre mutuelles et associations, mais aussi de mieux associer les syndicats à la promotion de cette offre commune sur un territoire. En définitive, il s’agit là d’une ingénierie à parfaire, mais en ce qui concerne Chorum, nous sommes favorables à développer ces expériences.

 

Yves Verollet, membre de la Cfdt, auteur du rapport et avis du Ces sur le développement des services à la personne (2007)

Je commencerai par citer deux pourcentages. Le premier pour relativiser le poids des organismes prestataires de services à la personne (Sap). 80 % des salariés des Sap relèvent en effet des particuliers employeurs. Le second pour indiquer que 90 % des salariés en mode organisé sont des salariés d’associations.

Ces chiffres sont connus mais peuvent interroger. Ils évoluent peu. Dans les Sap, le « monde » associatif est-il destiné essentiellement à une mono activité, l’intervention auprès des personnes en perte d’autonomie ? C’est une question sur laquelle nous pourrons revenir.

Si j’examine la relation – associations, syndicats, territorialité – à la lumière des deux avis que le Cese a bien voulu me confier et à la lumière aussi des quelques expériences à la frontière du syndicalisme et de l’associatif, je ferais trois réflexions pour contribuer à ce débat qui sont autant d’angles différents pour appréhender ces questions.

Je commencerai par la plus dérangeante.

Les relations syndicats en tant que salariés des associations – associations en tant qu’employeuses

Dans les colloques, celui-ci ou d’autres, nous sommes souvent dans la configuration d’aujourd’hui : dirigeants de grands mouvements associatifs et responsables confédéraux. Comme nous partageons des combats, des projets communs, peu de nuages apparaissent. Nous pouvons nous en réjouir mais pour que ce positionnement ne soit pas factice, il ne faut pas masquer une difficulté qui apparaît souvent.

Après un colloque comme celui-ci, mes amis des structures professionnelles concernées me demandent : « Alors ça s’est bien passé avec tes amis des associations ? Pour nous, sur le terrain, ce n’est pas pareil. » Nous pouvons noter l’effort important des grandes fédérations d’employeurs pour organiser le dialogue social et professionnaliser la Grh mais cela reste bien évidemment plus difficile au niveau local.

L’engagement associatif, la volonté de défendre une cause, aussi noble soit-elle, ne donnent pas un certificat d’aptitude à la gestion d’un personnel parfois nombreux.

C’est l’un des aspects que nous devons travailler localement entre nous, surtout dans une période où pourrait se développer une concurrence plus forte avec le secteur privé. Il m’est arrivé dans le passé en tant que dirigeant d’union départementale de mon organisation d’intervenir pour jouer l’intermédiaire ou le « facilitateur » entre des dirigeants d’associations convaincus de leur combat et des salariés qui critiquaient fortement la gestion du personnel. Dans les deux avis du Cese, nous avons abondamment traité des questions de conditions de travail, d’emploi, de formation. Tout ne peut pas, et ne doit pas se régler à un niveau national.

 

Les relations syndicats – associations pour la défense de causes communes

En matière de Sap, il y a deux grands domaines d’intervention pour lesquels l’engagement associatif semble couler de source : celui en direction des personnes en perte d’autonomie et celui en direction de la garde d’enfants.

Concernant le premier domaine qui correspond à la grande majorité des associations et de leurs salariés : le secteur de l’aide à domicile, la rencontre syndicats – associations apparaît évidente et pourtant, ce n’est pas toujours le cas.

Sur la réflexion concernant ce que l’on appelle le cinquième risque, le monde associatif du secteur et le monde syndical tentent de mettre sur pied une plate-forme commune : apprentissage de travail en commun facilité en partie par l’existence de la Caisse nationale de solidarité par l’autonomie (Cnsa). Ne cachons pas qu’il s’agit d’un exercice difficile. Pas seulement entre associations et syndicats, mais entre associations aussi !

Si cela marche, les déclinaisons locales se feront, on peut le penser, naturellement. Mais néanmoins, je constate une perte d’habitude du « travailler ensemble » localement. J’aimerais être contredit. Des relations ont lieu mais souvent insuffisamment. Pour le développement de services d’aide à domicile, leur prise en compte par les pouvoirs locaux, les liaisons syndicats, au niveau interprofessionnel et fédérations départementales du monde associatif devraient être naturelles. Elles ne le sont pas. Je suis sûr que dans certains endroits, il n’y a jamais de rencontres à ce niveau.

Ces relations sont nécessaires, pas seulement parce que parfois les dirigeants associatifs sont d’anciens syndicalistes ou par idéologie, mais par intérêt objectif des uns et des autres pour que les enveloppes publiques soient les plus fortes possibles ou les plus cohérentes mais aussi pour favoriser le lien entre les professionnels et ceux qui sont bénéficiaires des services.

 

Relations syndicats dans l’entreprise et associations

Ma dernière réflexion s’inscrit dans une démarche prospective. Dans les entreprises, de nombreux besoins sont exprimés par les salariés, liés en particulier à la (souvent) difficile conciliation vie professionnelle – vie familiale. Il existe même désormais des outils incitatifs : Cesu préfinancé, crédit impôt famille (pour les entreprises, comme son nom ne l’indique pas), loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 avec la possibilité de regrouper les assistantes maternelles (c’est une proposition du Cese aussi)…

La négociation existe encore assez peu dans les entreprises sur ces questions. De même, l’investissement des comités d’entreprise est très variable. Du bon travail en perspective pour les syndicalistes : négociation avec l’employeur, réflexion sur le rôle du CE. Pourquoi pour ce dernier, sur sa compétence en matière d’activités sociales, ne pas envisager de réfléchir à un nouveau rôle ? Dans les années 50 et 60, les CE ont permis le départ massif des salariés en vacances. Au début de ce nouveau siècle, la conciliation vie professionnelle – vie familiale ne pourrait-t-elle pas être un nouveau fil conducteur pour leur activité ? Tout cela pourrait, devrait déboucher sur un lien renforcé avec les associations, voire à en susciter de nouvelles.

Dans les caisses de retraite complémentaire gérées par les partenaires sociaux, plusieurs d’entre elles cherchent à développer des services pour leurs ressortissants. Sur ces aspects, la balle est dans le camp des syndicalistes.

Parallèlement, au cours de nos travaux au Cese, l’un des aspects que nous avons relevé est l’importance du temps partiel non choisi dans les secteurs des Sap. Beaucoup de salariés des Sap veulent travailler plus. Sur ce point, la balle est dans le camp des associations.

Je citerais les préconisations du Cese : intégration au sein d’une même structure d’activités différentes pour accroître le temps de travail et diversifier les tâches, soit par l’introduction de plusieurs activités dans la même entreprise ou association soit par le développement de groupements d’employeurs. Ces modes d’organisation pour le Cese pourront favoriser une organisation de parcours professionnels plus harmonieuse.

Il existe là une part d’investissement associatif inexploité (ou très insuffisamment) et une « mine » de relations entre syndicats et monde associatif. C’est sur cette perspective optimiste que je termine mon propos.

 

Conclusion

par Gérard Alezard et Jacqueline Mengin

Plutôt que de conclure, nous souhaitons terminer sur une ouverture : quid de la solidarité entre deux acteurs, les associations et les syndicats qui ont des valeurs et beaucoup d’intérêts communs, en particulier sur un sujet comme celui du service à la personne ? On ne peut fonctionner si on ne voit pas à la fois la question de la défense des salariés et l’intérêt des usagers. On ne peut pas traiter une branche de la solidarité sans l’autre.

Quand on veut défendre la solidarité et les valeurs qui s’y rattachent, on a intérêt à faire nombre, pour peser et être entendu. Nous rapprocher dans le domaine des diagnostics, des prises de paroles et des expérimentations au plan national comme au plan local devient une nécessité.

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