La prise en charge d’une personne – physique ou morale – pour l’accompagner vers la résolution de ses difficultés est un exercice complexe. Si leur bonne volonté ne saurait être remise en cause, les aidants ne sont pas toujours en mesure de faire face à toutes les difficultés, et dans certains cas ils peuvent les aggraver. Ainsi, pour accompagner, pour aider, pour participer, il faut parfois mettre en œuvre des compétences spécifiques.
On ne s’improvise pas psychologue, juriste, expert en marketing, en stratégie ou en systèmes d’information.
L’intermédiaire, un « généraliste » du secteur associatif
Une personne désireuse d’en aider une autre commence en principe par comprendre la situation de la personne à aider – il s’agit de « poser un diagnostic » ; puis elle définit son « champ d’intervention ». Ici intervient un premier problème : si le diagnostic est effectué par un spécialiste dans une compétence, il sera effectué avec un biais correspondant à cette discipline qui peut l’empêcher d’identifier l’origine de la difficulté à laquelle la personne fait face.
Autrement dit, si un problème de vision vous conduit à chuter régulièrement, entraînant des dommages à vos dents, ce n’est pas le dentiste qui pourra traiter le problème à sa racine, il ne pourra traiter qu’un symptôme. Un problème en cache souvent un autre. En fait, si la prise en charge d’une personne est complexe, c’est que la situation d’une personne est complexe – qu’il s’agisse d’un individu physique, ou d’une personne morale.
La compréhension de cette complexité est facilitée par l’intervention d’un « généraliste », afin qu’un premier diagnostic permette une compréhension ouverte et large. Ces « généralistes » sont souvent appelés des « intermédiaires », ou des « structures d’intermédiation » ou de « médiation ». Ils jouent le rôle de prise en charge générale d’une personne, pour l’aider à mieux définir ses besoins, à prioriser les interventions requises, puis à accéder à ces interventions.
Dans le cadre de la prise en charge de personnes physiques ou individus, des expériences comme celles de l’association Cordia (en milieu socio-sanitaire) ou de l’entreprise Domplus (notamment dans la relation entre les usagers et l’administration publique), montrent que la création d’une culture de l’accompagnement et l’utilisation d’outils normés d’analyse permettent de mieux répondre aux besoins des personnes, grâce à des analyses précises des situations et à la mise en œuvre d’un processus adapté pour répondre au besoin.
D’après Arnaud Vallin de Domplus, « le moyen de mobiliser les bonnes solutions est d’entendre la totalité de la situation de la personne ». Par exemple, le temps étant parfois limité et l’urgence présente, on traitera en priorité un problème de logement ou de santé chez une personne, avant de s’occuper de la mise à jour de sa situation administrative. Cette capacité à comprendre un besoin puis à prioriser les réponses en accord avec son interlocuteur est une compétence clef pour un intermédiaire.
Une deuxième capacité clef d’un intermédiaire consiste à mettre en relation la personne concernée avec les acteurs qui sauront répondre à son besoin. Cela signifie que l’intermédiaire dispose d’un réseau d’intervenants dont les compétences sont bien identifiées.
Comme l’indique Jean-Luc Cousineau, directeur de Cordia, « L’être humain étant compliqué, un travailleur social seul n’y parviendra pas, ni un médecin, ni un psychologue. Par contre vous mettez trois familles de professionnels en convergence vers la personne, et le dispositif fonctionne ».
Dans le cas de l’accompagnement d’une personne morale telle qu’une association, si un problème concernant la communication est relevé, on pourra par exemple lui proposer de rencontrer un bénévole ayant une expérience dans le domaine tel que le fait Passerelles et Compétences, ou bien des salariés en mécénat de compétences tel que le fait Pro Bono Lab. Au préalable, on s’assurera que la mise en œuvre d’une réponse à ce besoin est prioritaire et indépendante d’autres besoins qui se situeraient en amont du problème considéré – par exemple, au niveau de la stratégie ou du projet associatif.
Ces acteurs « généralistes » de la prise en charge des personnes, qu’on appelle « intermédiaires », développent aussi leurs propres spécialités. Ils sont souvent capables d’intervenir directement pour participer à la résolution de problématiques spécifiques, après avoir réalisé un diagnostic général. Ils se concentrent alors sur les compétences et les modes d’intervention que l’expérience leur a permis de maîtriser, ou d’encadrer avec la participation d’autres acteurs leur réseau.
Ils n’ont pas vocation à remplacer les intervenants spécialisés ou les organisations « de terrain », mais bien à orienter vers ces organisations les personnes prêtes à être accompagnées ou prises en charge.
Les intermédiaires, un rôle structurant pour la citoyenneté et pour l’économie sociale et solidaire
Les intermédiaires jouent par nature un rôle économique et politique « central », au-delà de leur impact direct et indirect sur la situation des personnes accompagnées.
Cela est particulièrement vrai au XXIe siècle qui voit se développer dans la société des dynamiques de fluidité et de fragmentation portées par la culture numérique, que cela concerne l’information ou les évolutions sociales. Ce rôle des intermédiaires est controversé : alors que certains considèrent qu’ils peuvent jouer un rôle néfaste de captation de la valeur et de limitation du pouvoir d’agir, d’autres leurs confient un rôle privilégié dans le fonctionnement des chaînes de valeur.
D’un point de vue politique, la culture révolutionnaire française a cherché à abolir les intermédiaires.
Chez Rousseau, le gouvernement représentatif est fondé sur le monopole de l’expression du collectif. Toute « corporation » est alors vue comme créant des barrières néfastes entre les hommes et l’intérêt général – à l’extrême, toute communauté serait un obstacle à la fraternité générale.
Ainsi en 1791 la loi Le Chapelier proscrit les corporations et les syndicats, avant d’être abrogée en 1884. Pierre Rosanvallon montre que cette position théorique mène à une conception très abstraite du lien de citoyenneté. Les intermédiaires ont en effet la capacité de proposer aux citoyens des expériences concrètes de citoyenneté, ce qui n’est pas la mission essentielle de l’État dans sa conception classique. Les chiffres croissants de l’abstention, ou encore le fait que les Français fassent plus confiance aux associations qu’aux pouvoirs publics sur de nombreux sujets, mettent en lumière le rôle actif des « institutions d’interaction » que sont les « corps » intermédiaires.
Dans cette optique, et dans le contexte d’une augmentation de la part des ressources privées dans l’économie associative, avec les conséquences que celle-ci peut avoir sur l’indépendance des associations, on comprend que l’action politique d’acteurs comme le Mouvement associatif, ou d’autres instances de représentation mutualisées, soit devenue cruciale.
D’un point de vue économique, l’apport des intermédiaires est un sujet complexe. Si l’on suit l’analyse de la « concurrence parfaite », on notera que les intermédiaires ont la possibilité de contribuer à une meilleure information sur un marché, de sécuriser les transactions, et de faire baisser les coûts des échanges en les mutualisant.
En 2010, la réforme européenne EMIR des marchés financiers a consisté à créer des infrastructures de marché1 , jouant un rôle d’intermédiaires afin de limiter la possibilité de défauts en chaîne, qui mèneraient à une crise financière systémique. C’est un rôle comparable qui est joué par certaines fédérations associatives ou certains intermédiaires, qui « assurent » et « rassurent » les acteurs du monde associatif dans la durée.
Pourtant, il se développe une rhétorique économique qui consiste à discréditer les intermédiaires en favorisant une logique « de pair à pair ». Si des exemples de réussite existent, force est de constater que ces discours sur la « désintermédiation » sont souvent portés par des acteurs qui se posent en « plateformes » ou « places de marchés », mais qui jouent en fait un rôle d’intermédiaire sans les avantages précédemment décrit.
Ils n’offrent pas de diagnostic, et ils ne mutualisent pas les coûts – parfois, ils les multiplient. On peut citer Uber, ou AirBnB qui, s’ils simplifient effectivement l’information par des offres standardisées ou plus claires, ajoutent cependant un coût aux transactions via le prélèvement de commissions obligatoires.
Plus récemment, on a parfois présenté la blockchain comme une alternative décentralisée aux banques, qui permettrait aux individus de reprendre la main sur la finance. La réalité est que ces initiatives, souvent moins contrôlées par les Etats, conduisent en fait à des situations de monopoles. Dans le cas du bitcoin par exemple, les cinq propriétaires les plus importants auraient une influence déterminante sur la variation du cours s’ils venaient à s’entendre - cela hors du contrôle et au détriment des autres investisseurs.
L’intermédiation est une opportunité pour le secteur associatif, autant pour le soutien direct qu’elle peut apporter à certains projets, que pour la capacité de certains intermédiaires à influer sur les structures institutionnelles et économiques. Il convient cependant de distinguer les rôles possibles joués par les intermédiaires, et de s’assurer qu’ils jouent un rôle d’abeilles et non de moustiques au sein d’un écosystème.
Pour cela, on pourra demander à un organisme intermédiaire le respect de certains principes tels que la transparence, la neutralité, ou encore la contribution à des projets collectifs et sur le long terme.
- 1Notamment deux types de structures intermédiaires, les caisses de compensations ou « clearing houses », et les registres d’enregistrement des transactions ou « trade repositories »