Comme l’indique son titre même, la démarche de prospective sur la société de l’engagement1 part du constat que le domaine de l’engagement s’est considérablement étendu au-delà de l’engagement bénévole associatif auquel la Fonda s’était intéressée jusque-là2 .
Nous l’avions observé du côté des entreprises, avec nos amis du Pro Bono Lab et du Pacte Mondial, et du côté des pouvoirs publics avec le Service civique et la Journée citoyenne.
Grâce aux auditions menées par le groupe de travail consacré aux territoires vulnérables, qu’il s’agisse des quartiers de la politique de la ville, des zones montagnardes et territoires ruraux délaissés3 , nous avons pu mesurer l’ampleur et la diversité des engagements de proximité.
Ces engagements « par la force des choses » répondent aux besoins de la vie quotidienne et entretiennent la vitalité du lien social là où les institutions ne le font plus.
Alors même qu’ils se situent sur le terrain des besoins essentiels, le terrain de ce que Pierre Rosanvallon appelle « les épreuves de la vie4 », ces engagements restent la plupart du temps invisibles parce qu’ils sont le fait des invisibles de la société.
Sans doute faut-il leur accorder davantage de reconnaissance, mais par qui, sous quelle forme et pour quoi faire ? Poser cette question, c’est ouvrir celle, plus large, de la triangulation entre le lien social, le pouvoir d’agir et l’institution. Laissons-la ouverte en attendant les premières conclusions de nos analyses prospectives le 9 octobre prochain5 .
Le plus souvent, ces engagements de proximité relèvent tout simplement de l’entraide, un comportement aussi vieux que les sociétés, qu’elles soient humaines ou animales. A priori, il n’y a là rien de très prospectif, à moins que la valorisation de l’entraide, aussi appelée pair-aidance dans le monde la santé et du handicap, soit un axe stratégique du renouveau du travail social et de la santé publique.
Nous nous étions déjà intéressés à l’idée d’une reconnaissance juridique et fiscale de l’entraide civile6 . Près de dix ans plus tard, alors que la pauvreté ne recule pas et que la précarité prolifère, le dossier reste ouvert, au risque d’un débat nécessaire sur le travail gratuit.
Dans une société qui se lamente sur la perte des valeurs et s’effraie de sa propre fragmentation, l’exploration de l’engagement sous toutes ses formes et auprès de tous les publics fait apparaître un fil encore ténu qui relie l’entraide, l’associativité et la citoyenneté.
La revendication des singularités, la diversité des projets de vie et leurs trajectoires imprévisibles, l’exigence croissante de respect pour les personnes, l’insurrection contre toutes les formes de dominations, à commencer par la domination masculine, ne sont pas les symptômes du repli sur soi, mais les signes avant-coureurs d’une nouvelle vitalité démocratique.
- 1En 2022, la Fonda a lancé un nouvel exercice de prospective participative « Vers une société de l’engagement ? » pour comprendre la place de l’engagement dans la société actuelle puis se projeter à l’horizon 2040.
- 2De 2010 à 2017, la précédente démarche prospective participative de la Fonda « Faire ensemble 2020 » a éclairé l’avenir des associations à l’horizon 2020.
- 3De mars à septembre 2023, la Fonda a animé un groupe de travail sur l’engagement sur les territoires vulnérables en mobilisant quinze chercheurs et acteurs de terrain.
- 4Pierre Rosanvallon, Les épreuves de la vie : comprendre autrement les Français, Seuil, 2021.
- 5Le 9 octobre 2024, la Fonda organise l’Université de prospective « Vers une société de l’engagement ? » à Paris.
- 6Michel Bérard, « Pour un statut juridique de l’entraide civile », Tribune Fonda n° 225, mars 2015.