Une liberté multidimensionnelle : le pouvoir d'agir
Dans des sociétés contemporaines qui érigent en idéal la capacité d’agir de l’individu libre et autonome, de nombreuses vies sont à mille lieues de cet idéal d’accomplissement libre1 . La liberté suppose la garantie des libertés civiles, mais va bien au-delà. Elle est toujours liberté sociale, car les individus, même autonomes, sont interdépendants.
Vanessa Wisnia-Weill identifie cinq sphères du pouvoir d’agir :
- la production,
- la consommation,
- la reliance,
- la connaissance,
- la démocratie.
Chacune de ces sphères n’est pas seulement pensée comme une dimension importante de l’existence, mais bien comme un espace où chacun doit disposer de marges de manœuvre pour sentir qu’il pèse sur la conduite de sa vie, qu’il s’y reconnaît, en un mot qu’il y dispose d’un pouvoir d’agir2 .
L'influence des philosophes américains
Cette grille résulte de la combinaison de deux conceptions : celle des capabilités fondamentales de Martha Nussbaum et celle des sphères de justice de Michaël Walzer. La première a identifié il y a une décennie dix capabilités fondamentales: le fait de vivre, la santé, l’intégrité, l’imagination et la pensée, les émotions, la raison pratique, l’affiliation, la vie avec les autres espèces, le jeu et le contrôle de son environnement matériel et politique3 .
Dès les années 1980, Michaël Walzer développait une conception de l’« égalité complexe », qui ne se limite pas à la juste répartition des biens socio-économiques4 .
On peut distinguer dans la société plusieurs sphères – politique, économie, mais aussi famille, éducation, religion, santé, monde des loisirs, etc. — auxquelles correspondent différents biens : pouvoir, argent, amour, connaissance, grâce divine, sécurité et santé, temps libre… On peut être perdant sur un type de bien, mais y gagner par ailleurs.
Il faut cependant éviter que le groupe qui a le monopole des biens d’une sphère s’empare des biens d’une autre sphère. Il convient de faire en sorte par exemple que ceux qui dominent le marché économique n’en profitent pas pour accaparer le pouvoir politique.
Dans une société juste, le pouvoir est dispersé entre les différentes sphères.
Quelles politiques publiques pour ces pouvoirs d'agir ?
Vanessa Wisnia-Weill ne se contente pas de croiser les typologies de Nussbaum et Walzer et de proposer une nouvelle grille d’analyse. Elle propose de développer des cadres d’action propres à chaque « pouvoir d’agir », par exemple « réorienter la production dans la transition écologique » dans la sphère de la production ou lutter contre l’isolement social dans la sphère de la reliance.
De fait, certaines de ces propositions ont déjà été mises en œuvre, mais sans les résultats espérés. En effet, instaurer des politiques publiques ne suffit pas, encore faut-il qu’elles permettent de développer le pouvoir d’agir des individus dans leur environnement social. Sans la mise en œuvre des stratégies coopératives, les politiques publiques dans les domaines clés du pouvoir d’agir sont dépourvues d’impact réel.
Vanessa Wisnia-Weill, Les nouveaux pouvoirs d’agir, Seuil, 2020, 112 pages.
- 1Jean Bastien, « Entretien avec Vanessa Wisnia-Weill sur Les nouveaux pouvoirs d’agir », nonfiction.fr, 19 mai 2020, [en ligne].
- 2Jean Bastien, Ibid.
- 3Martha Nussbaum, Capabilités : comment créer les conditions d’un monde plus juste ?, Climats, 2012.
- 4Michaël Walzer, Sphères de justice, Seuil, 2013.
