Engagement Associations et démocratie

L’appel à créativité, un exemple de co-construction nantaise

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Sophie Labeille
Sophie Labeille
Initiée en 2017 par la ville de Nantes, la démarche « Quinze lieux à réinventer » a permis aux citoyens, associations, riverains et collectifs d’imaginer ensemble comment utiliser des espaces verts laissés en friche et des bâtiments municipaux.
L’appel à créativité, un exemple de co-construction nantaise
15 lieux à réinventer. © Ville de Nantes.


« La ville de Nantes vous propose d’écrire ensemble le futur de quinze lieux appartenant au patrimoine nantais ». Tel est le défi qui fut lancé en 2017 par la collectivité à ses habitants.

Contrairement à la mise en place d’un budget participatif ou d’un appel à projets urbains innovants, l’objectif de cet appel à créativité est de « profiter de l'élan créatif reconnu des Nantais et, grâce à leurs propositions, de transformer ces espaces au service des habitants », précise Bassem Asseh, adjoint en charge du dialogue citoyen. « Aujourd’hui, poursuit-il, beaucoup de personnes ont envie de faire par elles-mêmes. Il faut leur donner les moyens de le faire. Et les lieux font partie de ces moyens. » 

Une innovation dans les rapports entre collectivités et associations qui n’est sans doute pas étrangère à l’élection de Nantes, deux ans plus tard, au rang de capitale européenne de l’innovation. 

 

 

 

Une méthode participative


Une année de réflexion collective a permis de recueillir les quelques cinq cent quatre-vingt-cinq propositions des Nantais imaginant un nouvel usage pour cinq bâtis et dix espaces verts. Ces « inspirations citoyennes », intégrées au cahier des charges techniques des lieux, ont nourri les porteurs de projet. 

Les fondateurs d’une champignonnière1 sont fiers d’avoir intégré la dimension pédagogique demandée par les habitants en ouvrant le lieu au grand public et aux scolaires. Grâce à ce processus participatif, assure Élise Bélard, le projet du « Grand Bain » a pris en compte la demande historique citoyenne d’une épicerie et d’un potager collectif dans la réhabilitation des bains douches2 .  

 Le rôle de la collectivité est d’identifier et mettre à disposition des lieux. Elle doit également s’assurer que l’exercice de la coconstruction demeure démocratique et délibératif. Il s’agit aussi de renforcer la cohésion sociale en s’assurant de la présence de profils variés dans les débats », explique Bassem Asseh. 

En outre, en favorisant les échanges, l’appel à créativité a contribué à dynamiser le tissu associatif en donnant naissance à des collectifs et des associations. Si certains lauréats étaient déjà bien installés dans l’écosystème associatif et ont vu l’occasion unique d’obtenir un lieu mis à disposition dans le centre de la ville, d’autres projets, au contraire, sont nés de rencontres organisées lors d’ateliers citoyens. 

Ainsi, le collectif d’habitants Le Fort de St-Jo a pu construire son projet grâce à la rencontre de deux associations professionnelles de l’agriculture urbaine3 . De leur côté, les membres de la galerie du Zéro Déchet4 s’engagent, quant à eux, à questionner l’usage du lieu à long terme. « À travers ce tiers-lieu dédié à la réduction des déchets, c’est un besoin bien plus large auquel nous souhaitons répondre, celui d’une maison de quartier souhaitée par les habitants », projette son président, Christian Renoulin.

« Nous sommes à la croisée de l’appel à projets et de la participation citoyenne (...) c'est une aventure collective », analyse Michel Bourdinot, chef de projet des Quinze lieux à réinventer.

15 lieux à réinventer
Visuel présentant les quinze lieux concernés par la démarche. © Ville de Nantes.


Le temps de la confiance


Débattus en 2017, votés en 2018, les projets ont été mis en œuvre et les lieux investis jusqu’au début de l’année 2020. 

Les porteurs de projets concluent que le temps de la coconstruction leur a permis de faire évoluer leur projet. « Nous avançons par logique de questionnements. C’est le doute qui construit. Il faut du temps pour mettre de la réalité dans ce rêve qui se construit », témoigne le philosophe Christian André, co-porteur du projet de rénovation d’un site des berges de la Sèvre5 . « Le fonctionnement de notre cantine solidaire s’est affiné pendant l’année suivant le vote. Se projeter concrètement dans ce lieu amenait de nouvelles questions », explique Margot Coradini6 . « Avant l’ouverture officielle, une année d’expérimentation n’est pas de trop pour s’approprier les lieux, commencer les travaux intérieurs » témoigne Élise Bélard, à propos du projet Grand Bain. 

La particularité du dispositif tient aussi dans la souplesse de travail des directions de la ville qui ont été mises à disposition des projets, une fois ceux-ci lauréats. « Aucune direction ne savait à l’avance quel lieu elle aurait à gérer. C’est un nouveau rôle qui est donné aux agents : d’exécutants d’une décision politique, ils ont été acteurs de la construction du projet », garantit Michel Bourdinot. Une fois l’usage du lieu décidé par le désir citoyen, le rôle de la collectivité est d’accompagner les porteurs de projets pour que leurs envies se concrétisent. « Le temps donné par les habitants à la coconstruction ne doit pas être perdu », affirme Bassem Asseh. 

Bien que de lourds travaux de rénovation incombent à la ville, propriétaire de ces espaces, la recherche de financements repose sur les lauréats. Investissements propres, main d’œuvre sollicitée dans l’écosystème associatif ou encore appels à financements participatifs, les heureux nouveaux locataires continuent de mobiliser les énergies et les sources de financements pour rendre leurs projets autonomes.

Pour la collectivité, le temps passé est plus long que ne le demanderait le travail avec un prestataire professionnel, concède Michel Bourdinot, mais il est rentabilisé par le gage d’une implication pérenne des citoyens. La confiance née au cours des échanges, et quelques fois des désaccords, a permis d’installer la méthode de cet appel à créativité innovant. 

Gageons que cette expérimentation se renouvelle et permette encore de renforcer les liens de confiance pour une collaboration efficace entre associations et collectivités au service du territoire.

  • 1« Le champignon urbain » installera une production de champignons dans la Chapelle du Martray.
  • 2« Le Grand Bain », porté par L’Ouvre-Boîte 44 (CAE), réaménage les anciens bains douches pour rassembler des initiatives coopératives (espaces épicerie, bien-être, boutiques de créateur.ice.s, co-working…)
  • 3Le Fort de St-Jo entend préserver l’espace naturel des deux hectares mis à disposition en organisant des ateliers pédagogiques autour de l’agriculture urbaine.
  • 4Ancienne galerie des Beaux-Arts, la galerie Dulcie devient un lieu témoin d’expérimentation et de sensibilisation, autour des principes du zéro déchet.
  • 5 Contre l’urbanisation grandissante du quartier Sud-Loire, le collectif Rêver Sèvre veut préserver la nature du lieu et créer du lien entre les habitants.
  • 6La Cocotte en verre, restaurant fermé depuis trois ans, devient une cantine solidaire ouverte à tous dans le but de lutter contre l'isolement et la précarité.
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