Enjeux sociétaux

La transition écologique des territoires : une opportunité pour passer de l’interdépendance à la symbiose

Tribune Fonda N°245 - Associations et collectivités - Mars 2020
Louise Vaisman
Louise Vaisman
Et Annabelle Jehl
Quelles opportunités la transition des territoires offre-t-elle pour développer de nouvelles synergies ?
La transition écologique des territoires :  une opportunité pour passer de l’interdépendance à la symbiose
Séminaire « Climat – Air – Énergie » avec des acteurs des territoires de la région Grand Est, 2017. © Rouge Vif territoires

La transition écologique des territoires émerge aujourd’hui en tant que nouveau « mode de faire » partagé pour déployer les politiques publiques territoriales de manière plus transversale et moins thématisée. Elle induit une nécessité de repositionnement des acteurs dans l’organisation du développement local et amène à repenser les habitudes de collaboration entre associations et collectivités territoriales. 


Évolution de la relation entre associations et collectivités locales 


Les collectivités locales et les associations occupent une place majeure dans la mise en œuvre des politiques publiques sur les territoires. Actrices du développement local et de terrain, elles sont les premiers interlocuteurs des citoyens et partagent des objectifs communs. Leur mode de coopération s’est construit progressivement et a connu plusieurs définitions pour accompagner leurs transformations respectives. 

La loi de 1901 évoquait des liens uniquement « occasionnels » (Fialaire, 2003 ; Abrioux, 2010) avec les collectivités. Ces liens se sont renforcés au fur et à mesure de la prise de responsabilité des associations dans l’animation territoriale (Abrioux, 2010) et du mouvement de décentralisation, amenant ainsi un soutien accru, principalement financier, de la part des collectivités dans un cadre juridique de plus en plus précis (circulaire du 27 janvier 1975 puis loi du 12 avril 2000). Les chartes d’engagements réciproques entre l’État, les collectivités territoriales et les associations de 2001 et 2014 ont achevé de dessiner le cadre de collaboration actuel de ces acteurs. 

L’accroissement des interactions et des interrelations entre ces acteurs réside dans la proximité partagée des sujets et champs d’intervention exercés : comme le précise Florence Abrioux, citant Serge Pugeault, « les associations apparaissent (…) comme des “ partenaires naturels, sinon privilégiés, des collectivités locales ” parce qu’elles interviennent sur les mêmes territoires, auprès des mêmes populations, parfois sur les mêmes objectifs. Les associations sont en outre largement tributaires des aides publiques (…) ». Ainsi, les associations sont aujourd’hui qualifiées d’« auxiliaires de l’État et des collectivités » maillon essentiel du lien social local, ce qui justifie le soutien financier qui leur est apporté. 

Il apparaît aujourd’hui une relation d’interdépendance assez marquée entre ces entités dans la mise en œuvre de projets locaux : les collectivités disposant d’un relai citoyen qualifié et de confiance pour s’impliquer et les associations disposant d’un soutien solide et stable pour la mise en œuvre d’initiatives. Cependant, l’apparition puis la systématisation de la relation contractuelle, se substituant pour partie au subventionnement et impliquant de nouvelles responsabilités pour chaque partie, tend à modifier le lien entre puissance publique et société civile organisée. L’immédiateté et l’opportunité des relations évoluent ainsi vers un cadre plus normé mais aussi plus sécurisé pour les deux parties. 

Ce mode de collaboration implique un besoin de professionnalisation des acteurs et fait émerger des incompréhensions réciproques croissantes. Les formats associatifs sont très diversifiés et ne présentent pas les mêmes capacités de réponse aux nouveaux besoins des collectivités qui laissent, pour leur part, une place moins importante à la capacité d’expérimentation des acteurs associatifs. Pour certains territoires, cela freine en partie la possibilité d’émergence et de déploiement d’initiatives locales citoyennes, comme dans les secteurs de l’ESS.

Pour autant, cette évolution renforce la légitimité des acteurs associatifs dans le cadre du dialogue territorial où ils apparaissent comme des personnalités qualifiées, voire expertes, habilitées pour intervenir à différents stades de projets et dans des instances diversifiées, à la fois citoyennes et techniques. En retour, ils s’impliquent de manière volontaire et qualitative auprès des chargés de mission territoriaux pour accompagner l’implantation et la mise en œuvre de projets auprès des citoyens. Cette relation résulte d’un format historique que la transition écologique des territoires amène aujourd’hui à requestionner.


La transition écologique comme levier de coopération


La transition écologique est en effet bien plus qu’une transition technique : c’est également une transition comportementale, sociétale et économique. Impactant tous les secteurs, elle demande donc une forte transversalité et instaure de nouveaux modes d’élaborations et de fonctionnement des politiques publiques. Ce décloisonnement des thématiques nécessite une plus forte collaboration entre acteurs spécialistes sectoriels – qui n’ont pas l’habitude de travailler ensemble – mais également une ouverture amplifiée à l’expertise d’usage, réaffirmant ainsi la place du citoyen et des associations. 

Par ailleurs, le caractère « apprenant » et innovant des démarches de transition écologique en font un formidable laboratoire d’innovation sociale. Facilement appropriables (en comparaison d’autres politiques publiques), les projets de transition écologique touchent directement à l’individu, à son action et son interconnexion, renforçant sa mobilisation. 

Le droit à l’expérimentation, fortement affirmé par les démarches de transition, favorise également l’ouverture des schémas classiques d’action territoriale. Néanmoins, ces nouvelles collaborations demandent du temps et de la volonté pour être efficaces. En ce sens, les acteurs publics comme associatifs ont un rôle à jouer pour faire le lien entre les publics et travailler en bonne intelligence dans ce but commun. 

Ce besoin de coopération renforcé a facilité et légitimé de nouveaux métiers : consultants en développement durable, professionnels de la concertation… Ces profils généralistes, ou plutôt multi-spécialistes, ont pour but premier de faciliter les coopérations entre acteurs et peuvent, selon leur positionnement et leur employeur, avoir un rôle de médiateur, de coordinateur ou encore de tiers de confiance. Véritables acteurs du faire ensemble, ils ont pour rôles de faciliter l’émergence d’un langage commun et de faire participer l’ensemble des acteurs. Ils sont donc à l’interface des échanges et sont un soutien précieux pour accroître la participation des associations dans les projets.
 
Aujourd’hui, deux typologies de projets de territoires sont observées : les projets et stratégies issus des acteurs publics d’un côté, les projets portés par des collectifs et acteurs associatifs de l’autre. Dans chaque cas, des difficultés à l’ouverture peuvent être observées : peur de la dépossession du projet, de sa remise en cause, de sa transformation…

Ces difficultés entraînent souvent une association trop tardive des acteurs (en phase de mise en œuvre pour les projets publics, uniquement d’un point de vue financier pour les projets citoyens…) qui nuit au projet et à sa pertinence territoriale. Enjeux de structures et d’organisations, facteurs sociologiques et psychologiques, histoire du territoire ou encore capacité à prendre des risques, de nombreuses raisons expliquent ce phénomène. Néanmoins, de nouvelles pratiques peuvent être observées et tendent à s’installer durablement. 

Les budgets participatifs commencent par exemple à s’ancrer dans les budgets d’investissement des collectivités. Souvent dédiés à des projets sociaux, environnementaux et de cadre de vie, ils instaurent de nouveaux modes de faire avec, notamment : 

  • des propositions issues des citoyens / de la société civile ;
  • une analyse de faisabilité de la part de la collectivité ;
  • la mise au vote du projet auprès de toute la population ;
  • une mise en œuvre partagée entre collectivités et société civile.


Bien qu’aujourd’hui ne représentant souvent que 5 % du budget d’investissement des villes, on peut toutefois noter la transformation de l’essai avec par exemple la forte hausse du budget associé à cette démarche à Paris qui, après une première édition à dix-huit millions d'euros en 2014, y consacre cent millions d'euros par an depuis 2016. Le nombre de budgets participatifs dans les collectivités françaises a par ailleurs explosé ces dernières années, passant de six en 2014 à plus de quatre-vingt en 2018 . 

De même, les projets participatifs citoyens – en particulier dans le domaine des énergies renouvelables – ont le vent en poupe et intègrent des collaborations de plus en plus fortes avec les collectivités : quarante-huit territoires sont aujourd’hui impliqués en France dans des centrales villageoises de production d’énergie ; des coopératives citoyennes contractualisent avec des collectivités pour exploiter leur patrimoine, à l’instar de la coopérative EnerCit’If qui a signé une  convention d’occupation du domaine public avec la mairie de Paris pour installer et exploiter neuf centrales solaires sur des toits d’établissements scolaires… Ces exemples de collaboration tendent à se développer, créant ainsi des retours d’expériences positifs et un effet d’entraînement important pour des collectivités parfois frileuses. 

Les relations entre collectivités et associations sont depuis toujours en perpétuelle évolution. Néanmoins, la transition écologique est aujourd’hui un vecteur fort d’innovation pour catalyser et renforcer la place des associations dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. À condition que chacun s’en saisisse !

 

Analyses et recherches
Analyse