Engagement Enjeux sociétaux

La place du service civique dans le parcours de formation des jeunes

Tribune Fonda N°234 - L’engagement associatif, source d’apprentissages - Juin 2017
Mathilde Bellini
Mathilde Bellini
INITIATIVE │Synthèse des échanges avec Mathilde Bellini, responsable de formation et de projets à Unis-Cité, sur la dimension apprenante du service civique.
La place du service civique dans le parcours de formation des jeunes


Unis-Cité est une association qui organise et promeut le service volontaire des jeunes pour la solidarité, afin de contribuer à l’émergence d’une société d’individus responsables, solidaires et respectueux des différences. Mathilde Bellini, responsable de formation et de projets à Unis-Cité, revient sur le rôle joué par le volontariat dans le parcours de formation des jeunes. Ses propos sont recueillis par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.


Comment le volontariat intervient-il dans le parcours des jeunes? Est-ce plutôt un complément de la formation? ou un temps de respiration par rapport à celle-ci?

Les motivations pour effectuer un service civique sont variées. Les jeunes viennent pour des raisons différentes, et ont des niveaux de diplôme, donc des parcours de formation, très différents. Pour des jeunes qui font des études supérieures et qui décident de faire leur année de césure à Unis-Cité le service civique est au service du parcours de formation. Mais le plus souvent, et particulièrement pour ceux sans qualification, c’est après-coup que les jeunes se rendent compte de l’impact du service civique sur leur parcours de formation. Pour certains, après une première année à l’université marquée par une situation d’échec, le service civique va permettre une reprise d’études, sur la même filière, ou dans une nouvelle filière.
Le service civique permet d’acquérir des compétences. Il s’agit de compétences transversales plutôt que techniques, relevant des savoir-être que l’on va utiliser dans le monde professionnel : les fameux « soft skills ». Le service civique permet de s’approprier les codes relatifs à la manière de travailler avec des collègues, à l’intégration de contraintes, à la méthodologie de projet et au travail d’équipe. Il permet d’apprendre à travailler à la fois avec une forme d’autonomie et avec d’autres personnes avec lesquelles on doit interagir. Ce faisant, les volontaires construisent également de la confiance en soi. Autant d’éléments qui ne sont traditionnellement pas évalués dans le système scolaire.


Pour les jeunes dîplomés ou ceux qui sont en cours de formation, le service civique vient-il compléter la formation ou va-t-il plutôt leur permettre d'expérimenter de nouvelles voies?

Pour des jeunes en année de césure, le service civique intervient plutôt comme complément. Pour d’autres, il va permettre d’expérimenter de nouvelles pistes et jouer un rôle de réorientation. Je pense à une jeune fille qui était en fac de droit un peu par « obligation familiale », et qui voulait travailler dans le social. Au départ elle venait pour se rendre utile, en complément de ses études qui ne lui prenaient pas un temps complet. Nous avons construit avec elle au cours de sa mission un projet de réorientation en vue de devenir assistante sociale. Une autre jeune fille, qui avait fini un master autour du développement territorial et local, souhaitait compléter sa formation théorique par des actions concrètes.
Ce sont les cas les plus flagrants, mais il y a beaucoup de situations intermédiaires, de jeunes qui vont apprendre des choses sans en avoir l’intention au départ, sans s’en rendre compte, et qui vont prendre conscience après que le service civique leur a apporté des apprentissages complémentaires ; principalement le fait de travailler en équipe ou la découverte de nouveaux secteurs d’activité.


Les jeunes en situation de décrochage ont-ils accès au dispositif de service civique? Le cas échéant, le service civique parvient-il à jouer un rôle d'aide à l'orientation ou de retour à la formation?

Lorsque la loi instaurant le service civique a été votée en 2010, il était attendu que celui-ci concerne tous les jeunes, et que la population de volontaires soit représentative de la jeunesse française, y compris les jeunes décrocheurs qui représentent chaque année plus de 110 000 jeunes en France. En réalité les jeunes qui sont venus le plus spontanément vers le service civique étaient diplômés, bac ou bac+2. Ce sont souvent des jeunes filles qui veulent travailler dans le social – même si ce portrait a tendance à changer. Les jeunes décrocheurs ayant moins accès à l’information ou pouvant être victime de leur propre autocensure ont un accès moins facile au service civique ; d’autant plus renforcé par de nombreux refus des structures moins à l’aise avec ce profil de jeunes. Il a donc fallu aller chercher ce public particulier de décrocheurs.
À Unis-Cité nous avons été vigilants depuis le début sur ce sujet, car nous cherchons à constituer des groupes de jeunes dans leur diversité. Cependant, la tendance nationale confirme la difficulté pour ces jeunes de trouver une mission de service civique, c’est pourquoi l’Agence du service civique incite beaucoup les structures d’accueil à aller chercher ces jeunes en situation de décrochage (mais aussi des jeunes très diplômés, qui ne sont pas non plus simples à toucher) et faire les efforts nécessaire pour les accueillir.
En partenariat avec l’Education nationale, l’Agence du service civique cherche à promouvoir le un service civique accessible et pouvant jouer un rôle de raccrochage pour certains jeunes. Unis-Cité s’est fortement mobilisé en ce sens, en liens étroits avec les Missions de lutte contre le décrochage scolaire (MLDS) pour bâtir des missions adaptées à ces jeunes. Notamment autour d’une forme de service civique alterné : trois jours de service civique et deux jours de retour à l’école pour acquérir des savoirs de base.


Existe-t-il des accompagnements spécifiques pour permettre aux volontaires de valoriser leur expérience de service civique?

La Loi du service civique prévoit et impose qu’un accompagnement au « projet d’avenir » soit organisé par les organismes d’accueil pour chaque jeune. L’important dans ce cadre est de permettre la valorisation de l’expérience de service civique, faire en sorte notamment que les jeunes puissent en parler à des recruteurs, mais pas exclusivement à visée professionnelle car le projet d’avenir peut être d’aller faire du volontariat à l’international, de partir faire le tour du monde ou tout simplement de passer son permis de conduire ou de trouver un logement.
Le service civique permet une montée en compétences, par l’acquisition de compétences transversales et de savoir-être. L’enjeu est de pouvoir le faire exprimer. Par exemple, nous avions monté avec des jeunes des missions auprès de personnes âgées. Ils avaient fait un très bon travail, étaient parvenu à redonner le sourire à ces personnes, et lorsque l’on leur demande ce qu’ils ont fait, ils répondent trop simplement : « On a aidé des vieux, on a parlé avec des vieux. » Si nous les laissons partir comme cela, nous avons raté notre mission. Il faut leur permettre de les aider à conscientiser, de trouver les mots, et de restituer leur mission à partir de faits : Qu’est-ce qui a été fait ? Qu’est-ce qui a été mis en œuvre ? Cet accompagnement-là est fondamental pour donner un sens et une lisibilité de la mission au jeune lui-même. Et ainsi mieux le valoriser, notamment lors de candidatures à un concours ou un emploi.
À Unis-Cité, nous organisons les accompagnements au « projet d’avenir » en trois étapes. Au départ, on se base sur la connaissance de soi. Les étapes suivantes portent sur l’identification des compétences acquises avant et pendant le service civique. Nous essayons de passer par des étapes d’autoévaluation, pour que les jeunes réalisent eux-mêmes ce qu’ils ont fait. La troisième partie de l’accompagnement concerne la valorisation de l’expérience, en mettant en forme le travail de connaissance de soi, de narration de son parcours, de ce que le service civique a permis d’apprendre et des compétences qui y ont été développées. Il s’agit d’apprendre à en parler, de le valoriser pour en parler auprès d’autres personnes. Tout cela se fait par des entretiens individuels et des ateliers collectifs.
L’Institut de l’Engagement assure aussi un appui post-service civique pour plusieurs centaines de jeunes : chaque année il repère des jeunes et les accompagne après leur service civique pour des projets d’études, d’accès à l’emploi ou de création d’activité.
Il est intéressant de constater que dans la dernière étude de l’Agence du service civique 51% des volontaires qui ont accédé ensuite à un emploi pensent que le service civique est perçu comme positif par les employeurs. C’est un chiffre modeste mais encourageant : il représente une progression de treize points par rapport à il y a trois ans.


Comment le service civique s'insère-t-il dans un parcours d'engagement tout au long de la vie?

Durant leur service civique, des sessions de formation civique et citoyenne sont organisées à destination des jeunes. Elles permettent d’aborder des sujets relatifs aux institutions, aux questions sociales ou encore à l’engagement, et de rencontrer des acteurs inspirants, dont des élus. Quand nous abordons la question de l’engagement nous évoquons l’engagement militant associatif mais abordons aussi l’engagement syndical, le fait de rejoindre une mutuelle, la possibilité d’être élu dans sa commune, etc.
Quelle que soit la motivation initiale des jeunes par rapport à leur service civique, l’enjeu est de leur permettre de se projeter en tant que jeune citoyen sur ces sujets d’engagement, de construire et déconstruire les représentations qu’ils peuvent en avoir, et d’y trouver leur place s’ils le souhaitent. Certains souhaitent continuer leur engagement auprès de structures dans lesquelles ils ont été pendant leur service, mais l’impact semble plus global. Dans notre dernière étude, 86% des volontaires se disent intéressés pour avoir une activité bénévole dans le futur.
Sachant que le bénévolat des jeunes change avec le temps, le service civique constitue un socle fort dans un parcours d’engagement, qui permet de réaliser sur la durée d’une mission – 6 ou 9 mois – des choses importantes.
Il serait intéressant de savoir ce que seront devenus dans vingt ans les jeunes qui ont fait leur service civique aujourd’hui. Seront-ils plus impliqués dans la société ? On peut d’ores-et-déjà affirmer que ce temps les rends plus conscients des problématiques de leur société. Et plusieurs raisons donnent le droit d’être plutôt très optimiste.

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