Plusieurs articles de ce numéro de la Tribune Fonda s’interrogent sur la définition de l’innovation sociale : réponse à des besoins ignorés du marché et des services publics, nouvelle forme de réponse, utilisation d’une nouvelle technologie, concrétisation d’un idéal, volonté de transformation sociale…
Hugues Sibille poursuit dans nos colonnes son inlassable plaidoyer pour une reconnaissance publique de l’innovation sociale, tandis que Michel Abhervé tire les leçons du cheminement de l’article 15 de la loi ESS à travers les débats parlementaires. Il y a dans cette quête de définition quelque chose de profondément paradoxal car autant l’on peut comprendre l’enjeu d’une reconnaissance politique et d’une légitimation de l’innovation sociale, autant le Conseil d’État a raison de qualifier de « droit mou » toute tentative de définition juridique.
Innover, c’est par construction s’affranchir de règles, de cadres de pensée et d’habitudes. Innover, c’est répondre à un besoin, tenter de résoudre un problème ou de donner corps à une aspiration en donnant la priorité à l’action et à l’expérience.
Prenons l’exemple du projet « Territoires zéro chômeurs de longue durée » porté par ATD-Quart Monde : il a fallu à ses promoteurs mener une longue bataille de conviction pour obtenir un « droit à l’expérimentation », c’est-à-dire la suspension d’un certain nombre de règles de droit. Il faut dire que le concept qui est au cœur du projet, celui d’une « entreprise non-lucrative à but d’emploi », est non seulement un OVNI dans le ciel du droit commercial, fiscal et social, mais aussi un défi aux lois du marché.
Derrière toute innovation sociale, il y a peu ou prou la conviction qu’un autre monde est possible, non par le fait de l’indignation et de la contestation mais par celui de l’action immédiate et de la petite échelle.
Le débat n’est pas nouveau, il opposait déjà les guesdistes et le mouvement des coopératives ouvrières au début du siècle dernier. Il prend cependant une tournure nouvelle dès lors que l’innovation sociale n’est plus seulement l’expression d’un contre-pouvoir mais devient un enjeu de politique publique, avec la problématique du « changement d’échelle », que l’on trouve au cœur du chantier présidentiel La France s’engage, en cours de transformation en fondation RUP afin de se poursuivre après la fin du quinquennat.
Reconnaître à l’innovation venue de la société civile la capacité de répondre aux besoins insatisfaits, émergents ou futurs, c’est tourner le dos tant au modèle du service public qu’à celui de la privatisation. Cela implique à terme de renoncer au gouvernement par les normes et à la normalisation gestionnaire qui ont tant pesé sur les associations depuis un quart de siècle. La stratégie de l’innovation sociale sera aux associations ce que le phénomène des start-up est aux entreprises : d’abord une menace sur les habitudes et les situations acquises puis un levier de transformation structurelle.
C’est pour éclairer et accompagner ce mouvement que la Fonda s’est associée au Mouvement associatif pour lancer le site solutionsdassociations.org à l’occasion de la campagne électorale et au CGET pour créer la « banque des innovations », plate-forme numérique de repérage et de mise en lien des innovateurs sociaux.
Car c’est en nous appuyant sur l’expérience des innovateurs que nous ferons de l’innovation sociale un mouvement de transformation sociale et de revitalisation démocratique. Pourquoi ne pas en faire l’objectif des cinq ans qui viennent ?