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Économie et inclusion

Tribune Fonda N°222 - Économie et inclusion sociale : espoirs et controverses d'une transition - Juin 2014
Hélène Bonvalot
Hélène Bonvalot
Cet article est la synthèse d’une table ronde qui a eu lieu durant la deuxième université « Faire ensemble 2020 » à Paris le 29.11.2013.

Animée par Delphine Lalu (directrice de la Rse et des fondations à Ag2R La Mondiale), cette table ronde réunissait Jean-Marc Borello (président du directoire du groupe  sos),  François Chérèque (inspecteur général des affaires sociales et président de Terra Nova), Jean-François Connan (directeur responsabilité et innovation sociale d’Adecco France, chargé des questions d’insertion au Medef et président d’extramuros), Philippe Durance (professeur au Cnam, chaire prospective et développement durable), Pierre Langlade (président de Coorace) et Bénédicte Menanteau (déléguée générale d’Admical).
 

Comment promouvoir des modèles économiques au service de l’humain, fondés sur un autre rapport à l’avoir et au travail ?


Nous vivons depuis 2008 une profonde crise économique et financière qui montre les limites de l’économie financiarisée. Elle se manifeste notamment par le maintien d’un taux de chômage élevé et une aggravation de la pauvreté. Parallèlement, le modèle de croissance fondé sur l’exploitation des ressources naturelles est mis à mal. Face à cette crise, de nouveaux modèles économiques émergent (économie des biens communs, consommation responsable, systèmes collaboratifs…).

Des alliances intersectorielles se nouent (entre associations, entreprises, centres de recherche, pouvoirs publics). Le sens même du travail évolue, la production industrielle cédant progressivement le pas à la production de valeur immatérielle (savoirs, bien-être, liens sociaux…). Ces évolutions laissent entrevoir un rééquilibrage de la relation entre une économie à l’écoute des besoins sociaux et une finance au service de l’économie.

L’économie est-elle génératrice d’exclusion ou facteur d’inclusion ? La coopération est-elle la clé pour corriger les effets néfastes de la compétition ? Comment valoriser le capital de connaissance de la société et créer de la richesse dans une société marquée par le chômage, l’exclusion et une pression insoutenable sur l’environnement ? Comment promouvoir des modèles économiques au service de l’humain, fondés sur un autre rapport à l’avoir et au travail ?


Complexité et inadéquation des dispositifs de lutte contre la pauvreté


Le rapport annuel d’évaluation du Plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale qui a été rendu par l’Igas1 en janvier 2014 souligne que le taux de pauvreté ne cesse d’augmenter. La France bénéficie certes d’un système de protection sociale plus efficace que d’autres pays européens mais celui-ci pèche par sa complexité. Plutôt que de réformer un système d’accès aux droits qui génère de l’exclusion, l’État privilégie la création de guichets spécifiques et dérogatoires pour les plus exclus.

Est-ce aux personnes de s’adapter aux systèmes sociaux ou aux dispositifs de s’adapter aux réalités des personnes ? François Chérèque appelle à un choc de simplification des politiques publiques, qui doivent s’adapter et évoluer en fonction des réalités locales. Rassemblant plus de 500 structures agissant dans le secteur de l’insertion par l’activité économique, Coorace partage cette position. Sous-tendus par des logiques descendantes, les dispositifs d’insertion ne font pas suffisamment confiance à la capacité d’entreprendre des individus. L’accès aux droits doit concerner l’ensemble des populations et ne peut faire l’objet d’une segmentation et d’un fléchage des publics en direction de dispositifs spécifiques.

Citant l’exemple du secteur de la santé, Jean-Marc Borello affirme que nous avons aujourd’hui le choix du modèle économique. Souhaite-t-on créer des services spécifiques pour les populations non solvables parallèlement au maintien d’un système réservé aux populations qui en ont les moyens ? Ou souhaite-t-on promouvoir un système inclusif proposant les mêmes conditions d’accueil pour tous les publics, indépendamment de leur situation économique et financière ?

Dans un système pensé pour les actifs sans accident de parcours, comment penser la rencontre entre ceux qui sont dans le monde inclus et ceux qui en sont exclus ? François Chérèque constate que les grands absents des débats sur la lutte contre la pauvreté sont les représentants du monde de l’entreprise, pourtant directement concernés par la crise économique. La rencontre entre ceux qui agissent sur le terrain et ceux qui décident est également complexe. Bien souvent, les acteurs de terrain sont plus pragmatiques que les décideurs. Comment dépasser la défense des dispositifs pour privilégier la réponse aux besoins des usagers ?


L’avenir n’est pas à subir mais à construire


Plus qu’une réforme des dispositifs d’aide sociale, c’est l’analyse même de la crise économique qui doit évoluer. Selon Philippe Durance, nous vivons une crise globale. Nous quittons un monde ancien – qui s’accroche – pour un monde nouveau – qui a du mal à émerger. La prospective nous enseigne que l’avenir n’est pas à subir mais à construire, ce qui requiert l’implication de chacun. Des indicateurs tels que le chômage ou le PIB ne reflètent pas la complexité du monde en devenir. La société ne peut se limiter à sa partie monétaire et doit intégrer de nouvelles formes de richesse.

Cette transition vers un monde en devenir est une menace importante mais une opportunité fantastique. Avancer vers un monde nouveau suppose l’implication de chacun. Le monde peut certes changer par le haut, mais également par le bas. Pour construire le monde de demain, il est nécessaire de sortir des conformismes et du court-termisme. Il est généralement confortable de s’accrocher à ses repères et inconfortable d’aller vers l’inconnu. Pourtant, comme le souligne Jean- François Connan, l’innovation sociale passe souvent par l’inconfort.


Des alliances entre acteurs pour lutter contre la pauvreté


Jean-Marc Borello nous rappelle que trois formes d’organisation coexistent : le secteur public, le secteur privé lucratif et le secteur privé non lucratif. C’est compliqué de travailler à trois. On constate que les entreprises se mobilisent peu sur le thème de la précarité, tandis que le secteur public est peu engagé dans le secteur de l’insertion par l’activité économique. Il est pourtant nécessaire d’impliquer systématiquement ces différents acteurs pour être à la hauteur des enjeux de précarité. Selon Pierre Langlade, les PTCE2  ouvrent des perspectives encourageantes pour créer des synergies entre les différents acteurs à l’échelle d’un territoire et proposer une offre de services adaptée aux

Consciente des complémentarités existant entre acteurs associatifs et le monde de l’entreprise, Admical a créé une alliance des mécènes pour l’éducation, afin de lutter contre le décrochage scolaire. Réunissant huit entreprises, cette alliance soutient financièrement et met à la disposition d’acteurs associatifs des compétences en vue d’accompagner des collégiens à risque.

Comme le souligne Bénédicte Menanteau, Admical réunit 90 % des entreprises mécènes et constitue à ce titre un vivier d’entreprises responsables qui veulent nouer des alliances avec le monde associatif d’intérêt général pour répondre aux besoins économiques et sociaux des territoires.

Au-delà des alliances, des modèles hybrides émergent. C’est notamment le cas du travail temporaire d’insertion, qui est insuffisamment reconnu dans sa capa- cité à accompagner vers l’emploi les personnes en situation de précarité. Pourtant, selon Adecco, plus de 120 000 personnes ont pu bénéficier de ce modèle hybride, dont 65 % ont évolué vers l’emploi. Créées par de grandes entreprises dans le cadre d’une démarche RSE3 , les agences d’intérim d’insertion ont un statut commercial sans but lucratif, à mi-chemin entre l’entreprise capitaliste et la structure associative. Selon Jean-François Connan, l’investissement réalisé dans les structures d’insertion par l’activité économique est largement rentable, puisqu’il rap- porte à l’État de trois à quatre fois la somme investie.


Place des citoyens et innovation sociale ascendante


Outre les acteurs institutionnels, il est nécessaire de s’interroger sur la place des citoyens dans le débat public. Comment embarquer la majorité des citoyens dans la lutte contre le chômage ? Soulevée par Pierre Langlade, cette question renvoie à la place laissée à l’usager dans la réponse à ses propres besoins. Elle renvoie également à la défiance des citoyens envers leurs élites. Selon Philippe Durance, de nombreuses personnes agissent sur le terrain, hors des cadres institutionnels, mais ces initiatives passent souvent inaperçues, faute de lunettes pour les voir et les valoriser.

L’innovation sociale ascendante fait pourtant désormais partie intégrante des dynamiques engagées pour lutter contre la pauvreté et promouvoir le développe- ment économique et social. Ce basculement entre aide sociale descendante et innovation sociale ascendante suppose une transformation de l’action politique en action publique et une redéfinition du rôle de l’État. Il est nécessaire d’associer le plus grand nombre, d’envisager la complexité des situations et d’intégrer les acteurs qui génèrent de l’inconfort pour avancer vers la construction du monde de demain.
 

  • 1Inspection générale des affaires sociales : www.igas.gouv.fr
  • 2Selon le Labo de l’ESS, un pôle territorial de coopération économique est un regroupement, sur un territoire donné, d’initiatives, d’entreprises et de réseaux de l’économie sociale et solidaire associé à des PME, des collectivités locales, des centres de recherche et des organismes de formation, qui met en œuvre une stratégie commune et continue de coopération et de mutualisation au service de projets économiques innovants de développement local durable.
  • 3Responsabilité sociétale des entreprises.
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