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Données de santé et capacitation des patients

Tribune Fonda N°239 - Les dynamiques de l'engagement - Septembre 2018
La Fonda
Et Yvanie Caillé, Valérie Peugeot, Christian Saout, Arnaud Vallin, Bastien Engelbach, Claire Rothiot
Synthèse de la rencontre-débat Fond'après du 4 septembre dernier, sur l'appropriation des données de santé par et pour les patients.
Données de santé et capacitation des patients

Les modes de collectes de données relatives à la santé se multiplient, tout comme les usages qui en sont faits. Quels enjeux cela soulève-t-il ? En quoi les données peuvent-elles aider à renouveler le dialogue entre patients et médecins? Susciter des actions de prévention ? Contribuer au pouvoir d’agir des patients ou groupes de patients ?

Cet article constitue une synthèse des échanges entre Yvanie Caillé (fondatrice de l'association Renaloo et directrice de l’Institut national des données de santé), Valérie Peugeot (chercheuse à Orange et commissaire à la CNIL en charge des questions de santé), Arnaud Vallin (sociologue, directeur des usages sociaux et du marketing social de Domplus Groupe) et Christian Saout (membre du collège de la Haute autorité de santé), lors d’une rencontre-débat Fond’après organisée par la Fonda le 4 septembre 2018, intitulée « Données de santé et capacitation des patients » et animée par Bastien Engelbach, coordonnateur des programmes de la Fonda.

Cette synthèse des débats est rédigée par Claire Rothiot, chargée de communication de la Fonda.

 

Les données de santé : production et traitement


La santé est résolument entrée dans l’ère du big data. Les premières données numériques apparaissent avec le début de l’informatisation de l’hôpital, en 1982. Depuis, leur création s’est considérablement accélérée. Leur production naît de multiples sources : hôpitaux (suivi des patients, gestion matérielle…), médecins de ville (qui sont 80 % à utiliser des logiciels métiers), secteur pharmaceutique (données autour des achats de médicaments), mais également des usages du patient lui-même, dans une dynamique appelée le quantified self (objets connectés mesurant des données de bien-être), à travers de nouveaux outils de prise de rendez-vous en ligne, de consultation à distance ou encore de partage d’informations entre patients.

La plus grande base de données de santé en France est le Système national des données de santé (SNDS) géré par la Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAMTS). Son usage est très réglementé par le législateur : le traitement des données est destiné à favoriser les études et recherches présentant un caractère d’intérêt public.

D’autres acteurs se saisissent des données de santé, notamment par le suivi et l’analyse de cohortes administrées par la recherche publique mais également par des acteurs privés. 

Enfin, pour obtenir des enseignements sur la base des données, il est essentiel de pouvoir les traiter et les analyser. Aussi sont-ils de plus en plus d’acteurs privés à s’être lancés dans le traitement et l’analyse des données. Ces data brokers (courtiers de données) passent des accords avec les producteurs de données (laboratoires pharmaceutiques, établissements hospitaliers, chercheurs en génétique ou en intelligence artificielle…) pour leur proposer de les traiter et d’en tirer de la connaissance. 

La question de la finalité du traitement des données est alors centrale : à quels usages sont-elles destinées ? Si certains sont souhaitables, d’autres sont beaucoup plus controversés…


L’accès à ses données de santé, levier d’empowerment pour le patient


Avec l’avènement d’internet et l’accès à la connaissance en ligne, l’asymétrie de pouvoir entre le soigné et le soignant a été fortement réduite. Mieux connaître sa maladie, pouvoir échanger avec des pairs, permettent aux patients de reprendre un peu le pouvoir sur leurs difficultés.

Le dossier médical partagé (DMP), projet en débat depuis plusieurs années, devrait permettre à chacun d’accéder à ses données personnelles, ce qui n’est pas possible aujourd’hui. Le DMP consiste à réunir dans un espace numérique personnel et protégé toutes les données de santé de l’individu recueillies par la CNAMTS. Le médecin traitant y aurait accès et le patient déciderait, au cas par cas, d’ouvrir ce dossier à d’autres médecins. L’enjeu de l’intelligibilité de ces données reste entier dans ce projet, car l’intérêt d’un tel accès serait pour le patient de pouvoir tirer des données des enseignements pour comprendre ses maux et par exemple, changer ses pratiques, son hygiène de vie…

Certaines initiatives émergent pour transformer les données en informations utilisables. Le projet Moi Patient, impulsé par l’association Renaloo, vise, à travers une plateforme en ligne sécurisée, à favoriser les échanges de connaissance entre patients, soignants et acteurs de la recherche, pour en produire de l’analyse, avec la garantie que celle-ci sera compréhensible et transparente. Des dispositifs d’évaluation des soins et des structures sont également à l’étude.

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Intervenants, de gauche à droite : Christian Saout, Valérie Peugeot, Yvanie Caillé, Arnaud Vallin, Bastien Engelbach (animateur).



Mésusages des données de santé et responsabilité de l’individu


Si les données de santé constituent une manne financière pour de nombreux acteurs, elles intéressent aussi des sociétés pour qui les vulnérabilités de l’individu constituent de juteuses informations. Des mésusages sont à craindre, notamment en matière de discriminations (par exemple, aux mains d’un assureur, les données peuvent conduire ce dernier à refuser une assurance à quelqu’un en mauvaise santé).

Si la collecte des données doit toujours être soumise au consentement de la personne, nous ne sommes pas toujours conscients de ce que ce consentement engage. Il y a un travail conséquent à poursuivre pour que les individus mesurent l’importance de leur vie privée et de leurs données personnelles.

Dans ce cadre, un des rôles des associations de patients est de mettre en garde leurs membres sur les risques d’une trop grande exposition de leurs difficultés sur des réseaux ouverts (Facebook par exemple) et d’offrir des espaces d’échanges sécurisés.


L’enjeu de l’appropriation des données pour les associations


L’appropriation des données de santé constitue un enjeu majeur pour les associations de patients et familles de patients : les données permettent de documenter l’action de l’association (meilleure connaissance des problèmes à résoudre), d’alerter les pouvoirs publics et la société civile sur les difficultés des patients (inégalités dans l’accès aux soins par exemple) et de proposer de nouvelles solutions pour y faire face. 

Comme l’illustre l’histoire de l’association Renaloo, la donnée est devenue un outil indispensable pour crédibiliser les  témoignages des patients et parvenir à interpeller. Au départ blog personnel d’Yvanie Caillé, Renaloo s’est rapidement transformé en une communauté de patients échangeant, par voie de forum, sur les difficultés qu’ils rencontraient dans leur parcours de soin. Petit à petit a émergé une volonté d’engagement, le souhait de prendre la parole, de contribuer aux politiques publiques de santé – ce qu’on appelle la « démocratie sanitaire ».

Constituée en association, Renaloo a décidé de se servir des données auxquelles elle pouvait avoir accès (données régionales anonymisées sur les dialyses et greffes) afin d’objectiver, chiffres à l’appui, les témoignages des patients. Cette analyse a permis de mettre en évidence des inégalités régionales dans l’accès aux meilleures stratégies de traitements.

En combinant ces résultats avec ceux d’une une vaste enquête réalisée en 2012 et 2013 auprès des patients (plus de 9 000 réponses soit 10 % des patients souffrant de problèmes de rein), l’association a pu produire des données explicites et méconnues sur la dureté que représente la vie avec la maladie. Ces données ont fait l’objet d’une médiatisation qui a permis à l’association d’interpeller l’opinion et les pouvoirs publics. D’autres études ont suivi, au service du plaidoyer de l’association et de la mise en œuvre de solutions.

Mais si quelques associations ont saisi le potentiel à exploiter de la donnée numérique dans une démarche de démocratie sanitaire, la culture de la donnée est encore peu présente dans le monde associatif. Pour une raison principale : c’est un secteur peu argenté, et le traitement des données nécessite de s’entourer de personnes qui sachent les lire et les analyser. Une idée pourrait être que les associations de santé, à l’instar des consortiums d’organes de presse, se regroupent pour mutualiser leurs moyens et s’attacher la collaboration de data scientists (analystes de données) et alerter ainsi de manière plus offensive.

Aujourd’hui, les associations de santé – et plus largement – collectent de la donnée par voie de questionnaires. Elles travaillent parfois avec des chercheurs. Il est désormais possible pour elles de demander un accès aux données du SNDS via le site de l’Institut national de la donnée de santé, encore peu sollicité aujourd’hui, ce qui devrait évoluer.


Focus sur une approche qualitative du traitement des données, pour comprendre la personne et lever les freins à son encapacitation 


La lecture des données, pour qu’elles puissent fournir des enseignements fins et pertinents, est une discipline à part entière. La société Dhomplus en a fait son expertise. Plateforme d’intermédiation au service de différentes organisations (protection sociale, prévoyance, mutuelles…) et travaillant en marque blanche, Dhomplus propose un dispositif d’écoute et d’accompagnement de leurs bénéficiaires.

La société a identifié de nombreux freins à l’encapacitation des patients, c’est-à-dire aux possibilités qui leur sont offertes de faire face à ses problèmes de santé : son domicile est-il équipé ? Existe-t-il des moyens de transport lui permettant d’aller chez le médecin ? Comment se sent la personne dans son travail, dans sa famille ? Etc. Pour proposer un accompagnement adapté à la situation de chaque personne, Dhomplus se saisit non seulement des données de santé d’ordre physiologique et biologique, mais aussi les croise avec d’autres données d’ordre socio-environnemental. Ces informations transmises par les bénéficiaires aux écoutants Dhomplus, enregistrées et numérisées, font l’objet d’un traitement appuyé par une équipe de data scientists.

Il devient ainsi possible de lever des freins liés à la représentation que les personnes se font de leur santé (refus de recevoir une aide, refus de voir le danger…) et également de mettre en place une démarche préventive et individualisée, moins dans l’injonction et la communication formulées par les campagnes des politiques publiques de santé et davantage dans la conscientisation de la personne. 
 

→ Télécharger le dossier documentaire de cette rencontre-débat

→ Télécharger la présentation PowerPoint d'Arnaud Vallin sur le travail de Dhomplus

 


La « data » au cœur du cycle de rencontres Fond’après 2018

Cette année, les « données » constituent le fil directeur des quatre rencontres prévues (une rencontre par mois de septembre à décembre).

Un nouveau cycle proposé par la Fonda en partenariat avec Domplus Groupe, qui place la donnée au cœur de ses services d’accompagnement et de coaching des personnes, et le Numa Paris, espace d’incubation et de coworking où se croisent problématiques du numérique et de l’intérêt général.

Pourquoi traiter du sujet des données ? Parce que leur production, leur analyse, leur partage, leur accès ou leur captation en font une source de création de valeur centrale pour l’avenir. Mobilisées et utilisées à bon escient, les données peuvent améliorer la compréhension des besoins des personnes et les services qui y répondent. Cependant, la collecte, le traitement et l’utilisation des données soulèvent des questions éthiques, sociales, économiques et écologiques.

Ce cycle de rencontre visent à mettre en débat leur usage par et pour les individus et les collectifs.

 

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