Ce séminaire a eu lieu à Paris le 11 juin 2010 sur le thème « Diversités, identités, discriminations : quels enjeux pour les associations ».
Premiers constats
Sur la présence de la diversité dans l’espace public
– On constate l’invisibilité dans l’espace public de certaines minorités, de même les associations identitaires sont absentes de la représentation associative à la Cpca. (J. Mengin)
– On retrouve les mêmes inégalités d’accès aux responsabilités dans la vie politique, économique et associative en France (J.P. Worms). Une partie de la vie associative s’est en effet institutionnalisée et a produit une élite sociale qui, même si les logiques de fonctionnements associatifs se veulent démocratiques, reproduit la domination d’une catégorie de la population sur les autres. (M. Salemkour)
– On peut voir surgir dans l’opinion publique le soupçon de communautarisme dès lors que des personnes se regroupent en fonction de caractéristiques identitaires. (J. Mengin)
– Le contexte de crise actuelle donne l’idée d’un « sauve-qui-peut généralisé » qui n’incite pas à l’ouverture mais plutôt aux crispations sur les acquis. (J. Mengin)
Sur le lien entre vie associative, diversité et discriminations
– Les associations présentent des blocages pour lancer une véritable réflexion sur les discriminations, en raison de la forte prégnance de l’idée selon laquelle l’association est par nature porteuse d’égalité entre ses membres. Or les principes associatifs ne suffisent pas à éviter les discriminations. (J.P. Worms)
– Le monde associatif est confronté à la question de la représentativité des fédérations associatives : comment les fédérations peuvent-elles être plus en phase avec leur composition, plus diverses ? Comment peut-on organiser d’autres modes de promotion interne, de sélection des élites ? La question de la diversité est un des symptômes forts des difficultés que traverse actuellement le monde associatif. (N. Bellaoui)
La société française doit apprendre à mieux vivre la diversité des identités qui la composent. Comment les associations peuvent-elles y contribuer ?
Explications historiques et culturelles
Passion de l’égalité et citoyen abstrait
Jean-Pierre Worms a développé son propos autour de l’histoire de la République française, notre conception particulière du rôle de l’état et notre « passion de l’égalité ». L’égalité a été pensée à travers l’égalité juridique formelle des citoyens, dépouillés symboliquement de tous signes particuliers qui pourraient les distinguer les uns des autres (égaux parce que semblables), et à travers l’uniformité de la règle administrative.
Association et modèle politique français
Cela a engendré une conception particulière du monde associatif, de son rôle dans la société : les associations souhaitent faire reconnaître leur légitimité dans l’espace public à travers l’état (agréments, labels, etc.) : « On recherche de manière un peu paradoxale la reconnaissance de la part de la puissance de laquelle on souhaitait s’émanciper. » Jean-Pierre Worms évoque une situation de dépendance du monde associatif vis-à-vis de l’état, dépendance pas seulement financière mais aussi symbolique.
Un mimétisme institutionnel
La construction du monde associatif s’est en effet pendant un siècle organisée en correspondance avec les secteurs d’organisation de la société par l’état (découpage administratif). Les mouvements associatifs développent un principe de chasse gardée sur le domaine où ils sont reconnus comme interlocuteurs par l’état : il y a une sorte de « consanguinité entre les structures de l’appareil de l’état et les structures associatives ».
Cette tendance se retrouve dans la logique de sélection des élites du mouvement associatif. La composition sociale, ethnique, de genre, d’âge est similaire entre élites politico-administratives et élites associatives. Les représentants de la société civile sont les mêmes que ceux des appareils de domination sociopolitique.
Questions au mouvement associatif
Comment lutter à l’intérieur du monde associatif contre l’exclusion de ceux qui ne participent pas de la « famille » et comment lutter contre le mimétisme avec l’appareil de l’état concernant la sélection des élites ?
Comment accepter un autre principe d’organisation de la représentation de la société, à partir de ses éléments de diversité ? Comment recomposer le commun à partir des éléments de diversité, des appartenances particulières de la vie sociale (générations, sexe, minorités visibles, etc.) ? Par définition en ne reconnaissant pas la diversité sociale et culturelle, les identités multiples, on appauvrit la construction du commun.
Le jacobinisme à la française
L’intervention porte sur la place de l’affirmation identitaire dans la construction de l’espace public. En France, l’opinion publique demeure profondément inféodée à un jacobinisme puissant (Mona Ozouf) : c’est avec une extrême difficulté qu’émerge dans l’opinion l’idée d’un pluralisme culturel nécessaire dans notre pays.
On peut identifier trois raisons principales à cela :
- la sacralisation du pouvoir héritée de l’Ancien Régime ;
- une pensée républicaine universaliste et abstraite héritée des lumières ;
- une conception de l’état très centralisateur.
Albert Bastenier constate la subordination de la société française à l’état, qui phagocyte l’espace public : dès qu’on pose la question de la diversité culturelle, le fantasme de la désintégration sociale plane dans les réflexions. Notre conception de l’identité nationale peut presque être assimilée à une religion. Dans cette conception, les inégalités et discriminations procèdent de l’irrationalité : le facteur majeur des dysfonctionnements sociaux est l’ignorance, la bêtise mais pas les rapports de force qui sont à l’œuvre dans la société. Cette conception reste très actuelle.
Cependant, « il ne faut pas céder à l’illusion identitaire » et Albert Bastenier évoque à ce propos la « prison culturaliste » des anglophones.
Des sociétés ethniques
Les sociétés européennes se construisent sur des flux migratoires, et peuvent être désignées par le terme de « société ethnique » : il s’agit d’une dynamique sociale qui hétérogénéise le tissu social et oblige à penser autrement l’intégration des nouveaux venus qu’à travers l’assimilation culturelle. Nous devons réhabiliter la dimension culturelle qui est à l’œuvre dans toute dynamique sociale : « La conscience ethnique est à l’œuvre de manière diffuse partout dans les sociétés européennes et définit des appartenances sociales, des solidarités, mais aussi entraînent des tensions car des populations de plus en plus hétérogènes sont contraintes à cohabiter sur un même espace social ».
Conscience ethnique, conscience de classe
La notion de conscience ethnique peut être utilisée de manière analogique avec ce qu’on désignait avant comme conscience de classe pour parler des conflits économiques qui étaient typiques de la société industrielle. La conscience ethnique ne chasse pas la conscience de classe mais la complète, la complexifie, elle permet de mieux comprendre la structuration de la vie collective telle qu’elle s’organise actuellement. Dans l’espace public des sociétés européennes à l’âge de la mondialisation, de la même manière que la classe ouvrière cherchait son intégration à partir de l’argument économique, des populations cherchent aujourd’hui leur intégration à partir de l’argument culturel de l’ethnicité. L’enjeu dans les deux cas est celui d’une conflictualité sociale qui est paradoxalement intégratrice.
La fin du monoculturalisme
La conscience ethnique est le ressort et l’instrument de l’organisation sociale de la différence culturelle. Des tensions naissent entre des anciens européens qui sont sur place et des nouveaux arrivants. Nous vivons un moment important dans l’histoire des sociétés européennes : la fin du monoculturalisme. Les différences culturelles peuvent devenir la matrice d’un problème politique. John Dewey (philosophe américain, 1859-1952) disait que l’espace public est un espace de risque en même temps qu’un espace d’accomplissement, qui reconfigurent ensemble ce qu’est la réalité sociale. Ce qui transforme en problème politique les comportements des individus n’est pas que les pratiques deviennent visibles, mais la perception des problèmes sociaux qui naissent de la visibilité de ces pratiques. Ce sont les conséquences risquées des pratiques des uns et des autres qui définissent une zone d’interaction commune entre les gens.
L’introduction d’éléments culturels et ethniques dans le débat public est donc un risque mais en même temps une opportunité pour la société d’aller au-delà d’elle-même, pour que se crée la possibilité d’une action commune. C’est ainsi que la composition sociale et ethnique peut être autre que dans les sociétés monoculturelles. On est en face d’un travail qui s’accomplira sur la longue durée. « La capacité des états européens à se vivre comme monoculturels est une histoire de courte durée dans l’histoire du monde, il ne faut pas imputer à une force immémorielle le monoculturalisme qui est une politisation particulière de la culture. »
Les acteurs du changement
Ralf Gustav Darhendorf (sociologue germano-britannique, 1929-2009) pensait que le dépassement ne se trouverait pas dans les institutions actuelles (partis, syndicats, églises, etc.) car elles sont devenues des défenseurs des droits acquis. Cela signifie que les nouvelles forces ont besoin de minorités morales, c'est-à-dire des groupements qui ne souhaitent pas placer leurs avantages au premier plan et souhaitent l’intégration des minorités ethniques. Les démocrates sincères ne doivent pas craindre l’auto-organisation des minorités ethniques et doivent au contraire soutenir cette organisation. C’est cette organisation qui leur donnera le pouvoir d’accéder à l’égalité sociale et culturelle. Ce type de regroupements est nécessaire aujourd’hui car les structures sociales et politiques en place ne reflètent pas la société. Les minorités sociales et ethniques sont engagées dans un combat qui cherche à traduire les idéaux démocratiques en réalités politiques et non un combat pour déstabiliser les ordres établis. La démocratie en sortira renforcée et non affaiblie.
Logique d’émancipation, logique de reconnaissance
Le concept de reconnaissance est central à mobiliser pour comprendre les logiques sociales à l’œuvre. On est face à une demande de reconnaissance, de prise en compte dans la vie sociale. L’un des enjeux de la vie démocratique est une organisation où chacun se voit reconnu une place dans la société et un droit à avoir voix au chapitre. Aujourd’hui beaucoup de mouvements ne disent pas « nous voulons ci ou ça » mais seulement « nous existons ».
Le modèle français a été l’un de ceux les plus réticents à cette reconnaissance. L’exigence d’émancipation contenue dans notre modèle politique ne permet la reconnaissance qu’à l’issue d’un long parcours au travers duquel l’individu va devoir faire la preuve qu’il est émancipé. Dans la théorie de la justice de Rawls, le concept de voile d’ignorance désigne le processus par lequel les individus vont choisir le type de société le plus juste. Le voile d’ignorance permet dans cette théorie de régler le problème des différences de positions sociales et d’identités en le niant. On fait abstraction des différences car on est dans un idéal d’un individu émancipé, sans appartenances.
La logique de la reconnaissance postule qu’il n’y a pas de droit à acquitter à l’entrée alors que la logique de l’émancipation dit qu’il faut être émancipé, s’être détaché de ses appartenances, être rationnel. En permanence le soupçon est donc porté sur ceux qui affirment leur appartenance. La culture politique américaine est au contraire plus ancrée dans la logique de la reconnaissance. L’empowerment prend toute sa place, il s’agit de donner aux gens les armes pour agir, sans forcément d’exigence préalable.
Retourner nos priorités
Nous devons en France reconsidérer ce qu’est l’espace public. On a deux modèles : celui d’Habermas pour qui l’espace public est un espace de dialogue, de langage, un espace rationnel ; et celui d’Anna Arendt, pour qui c’est un espace visuel où les gens se retrouvent et constatent qu’ils ne sont pas à la même place, se perçoivent comme des individus différenciés. Nous devons également retourner nos priorités et les donner à la reconnaissance et non à l’émancipation. On a la reconnaissance quand on a bien travaillé à l’école, cela nous paraît étrange qu’on puisse avoir la reconnaissance avant d’avoir bien travaillé, voire que la reconnaissance est une nécessité pour bien travailler. Pourtant la reconnaissance est un préalable à considérer.
L’exemple de la politique de la ville
La politique de la ville a hésité entre deux tendances : d’une part banaliser ces quartiers, les désenclaver et assurer leur accès aux centres villes, d’autre part faire de ces quartiers des centres villes. Dans le premier cas, on est dans la logique de l’émancipation, dans l’autre cas, c’est la logique de la reconnaissance. Or, « il faut donner aux gens à la fois les moyens de partir et l’envie de rester » : les moyens de partir, c’est l’émancipation, l’envie de rester, c’est la reconnaissance. « On ne peux pas avoir envie de rester si on n’a pas les moyens de partir. »
Culture politique et pluralisme
La question de la visibilité publique de la « diversité » dans toutes ses formes est un enjeu décisif : sur les listes électorales, parmi les élus, les responsables... Plus généralement, nous devons être davantage attentifs à la visibilité. Comment reconnaît-on la diversité des appartenances ? Si le pluralisme est aujourd’hui fondamental dans la construction des sociétés démocratiques, c’est un élément nouveau dans notre culture politique.
L’immigration portugaise en France
Une grande partie de l’immigration portugaise a eu lieu dans les années 1960-70 et vient en majorité du centre et du nord du pays. Une des particularités des Portugais est qu’ils sont présents un peu partout sur le territoire français et non concentrés dans certaines régions. La France était la principalel destination de ces migrants. On compte aujourd’hui 1,5 million de Portugais et de personnes d’origine portugaise en France, seulement 200 000 en Allemagne. à leur arrivée en France, les Portugais n’étaient pas ressortissants européens, puisque le Portugal est entré dans l’UE en 1986. Comment se sentent-ils aujourd’hui ? Français, Européens, immigrés ?
Identité française et double culture
Pour ces migrants, avoir une double culture est naturel. Comment la société française peut-elle mieux le comprendre ? Terre d’immigration, une part de l’identité française passe aujourd’hui par la double culture. à leur arrivée en France, « les parents ont reproduit ce qu’ils connaissaient, leur culture » (« les trois F » selon H. Sanches : Fatima [le lieu de pèlerinage], le fado et le foot). Dans cette situation instable qu’était la migration, « reproduire le modèle qu’ils connaissaient dans leur pays était une manière de se préserver, de se laisser un espace indispensable pour s’adapter ».
La vie associative franco-portugaise
On compte environ 950 associations franco-portugaises en France. Beaucoup se sont créées pour organiser l’entraide pour l’emploi, ce qui a permis de limiter le chômage. On constate que ces associations sont pour beaucoup des regroupements de portugais entre eux, ce qu’on peut regretter, mais en même temps, c’est la conséquence logique de leur culture : beaucoup d’activités sont organisées autour de leur héritage culturel, les fêtes religieuses sont importantes. C’est pour cela qu’on a pu parler à une certaine époque de ghettos.
Parallèlement, ces associations n’ont reçu quasiment aucun soutien, ni du Portugal ni de la France. Le financement des associations franco-portugaises par les pouvoirs publics français est quasi-nul. Aucun événement organisé par la communauté n’a eu la présence d’un président, d’un premier ministre ni même d’un ministre de la République. En revanche les maires sont généralement présents.
Questions posées à la société française
La conséquence est qu’on connaît peu en France la culture portugaise et la langue est très peu apprise à l’école. La France a du mal à reconnaître que les mélanges culturels d’un pays font sa richesse. Il existe beaucoup d’amalgames dans la pensée des gens, il y a le soupçon de communautarisme. « C’est d’ailleurs un peu la carte qui arrange tout le monde, le citoyen qui ne veut pas s’interroger et le financeur qui ne souhaite pas soutenir une association. Ce jeu de ping-pong arrange tout le monde. »
Dès lors, comment accompagner ces associations, les soutenir, les accepter comme partie intégrante de l’identité française ?
Éclairages juridiques
L’inégalité est une situation concrète qui peut découler des individus, elle est une différence perçue comme injuste dans la distribution des ressources sociales.
La discrimination est le fait d’un agent, et d’un acteur qui discrimine et amène une situation d’inégalité. Si la discrimination produit de l’inégalité, toute inégalité ne provient pas d’une discrimination.
La discrimination indirecte existe lorsqu’une disposition ne touche pas une population en particulier a priori, mais qu’elle devient discriminante dans son application. Par exemple, une mesure dépendant du temps de résidence sur un territoire va, dans son application, discriminer les populations les plus récemment installées.
Il existe une conception large de la discrimination, qui considère que la différence de traitement est contraire au principe d’égalité, et une conception plus restrictive qui punit le traitement défavorable dont sont victimes des personnes en particulier. L’accès à la fonction publique en France est fondé sur le principe d’égalité, alors qu’en matière d’embauche, même si les critères interdits sont de plus en plus nombreux, la liberté n’est restreinte que par les critères interdits.
Les critères de discrimination sont nombreux : origine, sexe, apparence physique, situation de famille, grossesse, patronyme, santé, handicap, caractéristiques génétiques, mœurs, orientations sexuelles, âge, opinions politiques, activités syndicales, appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. (Code pénal et code du travail)
Les associations peuvent être concernées à trois titres :
– en tant qu’employeurs, elles sont soumises comme les autres employeurs à l’interdiction de discriminer. La qualité de la structure qui emploie, entreprise ou association, n’a aucun impact sur le droit. De même dans le droit du travail, les salariés ont exactement les mêmes droits que s’ils étaient employés dans une entreprise ;
– en tant que fournisseurs de biens et services, également, les associations n’ont pas le droit de refuser la fourniture d’un bien ou d’un service sur quel critère que ce soit (code pénal). Sur cet aspect néanmoins une exception existe dans le droit français depuis 2008 (code pénal) : « les dispositions pénales ne sont pas applicables aux discriminations fondées en matière d’accès aux biens et aux services, sur le sexe, lorsque cette discrimination est justifiée par la protection des victimes de violence à caractère sexuel, de considérations liées au respect de la vie privée et de la décence, à la promotion de l’égalité des sexes ou des intérêts des femmes ou des hommes, à la liberté d’association. » Cela signifie qu’une exception intervient sur la discrimination liée au sexe : les femmes ont le droit de se regrouper entre elles et de discriminer selon le sexe ;
– sur l’adhésion à leurs structures en revanche, rien dans le droit ne leur interdit de discriminer et de poser les critères qu’elles souhaitent pour sélectionner leurs membres. Ceci à la différence des organisations syndicales et professionnelles dont le droit nous apprend qu’elles sont soumises à l’interdiction de toute discrimination concernant les affiliations.
L’entreprise de tendance n’est pas un concept reconnu comme tel par le droit français : le législateur français selon S. Latraverse « n’a pas tenu compte de la réalité associative foisonnante ou de la société ethnique. Il n’y a aucune règle d’exception à la prohibition de discriminations ».
L’entreprise de tendance désigne d’une part, les structures qui ont pour objectif direct et essentiel de promouvoir une religion ou une conviction et d’autre part, celles qui se fondent simplement sur une éthique à travers la manière dont elles conduisent leurs activités. Elle permet de justifier par exemple dans le cadre d’un recrutement, d’une différence de traitement sur la base des convictions religieuses, en invoquant au titre d’exigence essentielle la loyauté du candidat à l’embauche par rapport à l’éthique de l’entreprise.
Pas de cadre d’exception aux discriminations dans le droit français
La France est un des seuls pays qui, en transposant les interdictions de créer des distinctions ou des différences de traitement, n’a pas choisi de créer un cadre d’exception. En tant qu’employeurs et fournisseurs de biens et services, les associations sont soumises aux mêmes dispositions que les autres employeurs et fournisseurs de biens et services, la qualité de la structure n’intervient aucunement. Un salarié d’association doit donc respecter l’éthique de l’employeur, tant que cela ne va pas à l’encontre des dispositions contenues dans le droit du travail.
Dans ce contexte, quelle place donner à la liberté d’association ?
L’objet associatif est protégé par la loi, donc une association peut faire ce qu’elle veut concernant son objet : la sélection des personnes est autorisée. Mais quand l’association offre des biens et services, elle entre dans le cadre de la loi contre les discriminations, de même quand elle a des salariés. La personne qui travaille doit respecter l’éthique de l’association, le salarié est tenu au silence et au respect de l’objet de l’association.
Un concept a été récemment introduit dans le droit : « l’exception professionnelle essentielle » qui permettrait de poser des conditions pour l’embauche de certaines personnes, mais cette disposition n’a pas encore été interprétée en droit français. La position de la Halde à ce sujet est de permettre au législateur d’introduire des exceptions mais pas à l’employeur de décider. C’est le salarié qui agit et le juge qui évalue s’il y a eu discrimination. L’employeur doit alors prouver que les exceptions sont nécessaires, qu’elles sont rattachées à son objet, et qu’elles ne font pas obstacle aux autres garanties du code du travail. Une association peut-être d’une confession x, attendre légitimement de ses salariés la loyauté et le respect de cette confession x, mais l’association ne peut pas interdire au salarié d’être d’une confession y, ou l’obliger d’être de confession x. « On peut demander aux salariés de respecter le projet de l’association, de ne pas s’exprimer contre le projet de l’association, mais on ne peut pas leur demander de gommer qui ils sont : ce sont les garanties du code du travail. »
La Cour européenne des droits de l’Homme donne aujourd’hui quelques pistes pour éclairer les rapports entre le droit relatif aux discriminations et la liberté d’association : il est légitime pour une association selon la Cour d’exiger le respect de son objet, de faire une sélection en fonction de son objet à l’intérieur de ses membres.
Dès lors, une association est-elle discriminante si elle subordonne l’accès à certains biens et services à l’adhésion ? Non, tant que l’adhésion est libre et ne permet pas d’introduire un contenu sélectif au choix des personnes qui vont accéder aux biens et services. Mais cet aspect est une réelle difficulté à interpréter dans le droit français. En effet, à partir de quel niveau le montant demandé pour une adhésion est-il considéré comme discriminant ?
Une culture associative à la française
Tous les résidents en France ont-ils la même reconnaissance dans la vie associative ? Les associations ne sont-elles pas par nature excluantes parce que le fait associatif est par nature affinitaire ? Les associations sont-elles discriminantes de manière plus implicite ? (Malik Salemkour)
Associations et affectio societatis
Les associations fonctionnent selon le principe de l’affectio societatis et cultivent un certain goût pour le consensus, ce qui peut expliquer que tout élément hétérogène peut être considéré comme perturbateur. Ceci peut également expliquer les difficultés pour les associations à accueillir et faire rester les nouveaux venus dans leurs structures : le manque d’accueil et d’accompagnement des bénévoles peut engendrer un sentiment de malaise à travers les normes implicites qui existent dans une association. C’est ainsi que cet affectio societatis et le principe de consensus peuvent faire obstacle à la diversité : ils génèrent la ressemblance des parties prenantes d’une association.
Fonctionnements associatifs
Le fonctionnement de l’association peut également faire obstacle à la diversité. L’organisation de la vie associative a un sens bien précis pour les citoyens d’origine française, car elle correspond à une histoire, un rapport à la citoyenneté. L’organisation sociale des personnes issues des minorités se fait selon des principes différents. Quand les personnes veulent s’organiser, elles n’ont pas le réflexe de créer une association loi de 1901 ; leur rapport à l’entraide, à la solidarité, à la transmission se construit autrement.
De plus, le fonctionnement de nombreuses associations repose beaucoup sur l’écrit, la réunion. N’est-ce pas une forme de discrimination indirecte ? Dans d’autres cultures, le mot « s’affilier » n’a pas le même sens, de même l’engagement est perçu différemment. L’histoire des associations étudiantes montre une construction différente des grands réseaux associatifs, sur un modèle de réseau avec grande indépendance des membres. Ce réseau s’est rapproché d’un grand réseau plus structuré (la Ligue de l’enseignement), d’une famille politique pour avoir un débouché. (N.Bellaoui)
Associations et histoire républicaine
Ceci est particulièrement vrai pour des associations anciennes et dont l’histoire est très reliée à celle de notre République : la Fonda, la Ligue de l’enseignement, la Ligue des droits de l’homme, croient en la politique et au fonctionnement démocratique. Quand l’action politique favorise la promotion sociale, on est moins regardant sur qui est au pouvoir. Aujourd’hui, on constate l’inefficacité des réponses politiques à la fracture sociale. Ces associations doivent donc se demander comment elles, inscrites dans une histoire, une confiance en la politique, peuvent faire venir des personnes pour qui cette histoire a moins de sens, pour qui la politique est inefficace ?
Pistes d’action pour le monde associatif
Ce séminaire a été l’occasion d’étayer un diagnostic sur les modalités de construction de l’identité française et les sources des blocages à l’ouverture à la « diversité » de nos institutions politiques et organisations de la société civile. On a également constaté, à travers les apports juridiques, l’importance du droit pour clarifier ce qu’on entend par « discriminations », mais aussi les limites de l’approche juridique. Des zones d’ombres subsistent concernant les discriminations à l’œuvre dans le monde associatif. En effet, le manque de diversité ne relève pas seulement d’une lutte juridique contre les discriminations, mais aussi d’une approche sociologique permettant de comprendre les discriminations indirectes et implicites à l’œuvre dans les fonctionnements associatifs.
La notion de discrimination systémique a été introduite de manière forte dans le débat : la discrimination systémique n'est ni explicite, ni même consciente ou intentionnelle, mais relève le plus souvent d'un système de gestion fondé sur un certain nombre de présupposés, le plus souvent implicites, quant aux divers groupes et comprenant un ensemble de pratiques et de coutumes qui perpétuent une situation d'inégalité à l'égard des membres des groupes cibles. Le Cjdes (Centres des jeunes, des dirigeants, des acteurs de l’économie sociale) a travaillé et diffusé un outil d’autodiagnostic des discriminations et de la diversité et a récemment publié les premières statistiques recueillies depuis sa mise en place1. La démarche du Cjdes, lors de la diffusion de l’outil auprès des acteurs de l’économie sociale, a consisté à attirer l’attention des acteurs sur la notion de discrimination systémique : l’association n’est peut-être pas discriminante en soi, mais fait partie d’un système qui est discriminant. Dès lors, une association doit s’interroger sur ce qu’elle peut faire à son niveau pour faire évoluer les choses. Chaque acteur doit se sentir légitime à agir sur cette question, parce qu’il a conscience d’être dans ce type de système.
Développer la réflexion et le volontarisme des associations
Le monde associatif doit développer la réflexion sur le thème de la diversité et des discriminations. Il doit avoir un souci volontariste d’être représentatif des appartenances sociales et « faire entrer la diversité » davantage qu’il ne le fait aujourd’hui.
C’est pourquoi chaque association doit être consciente qu’elle peut être discriminante et s’interroger sur son objet et son fonctionnement, sa place dans la société, les « conditionnements » qu’elle produit, afin de permettre à l’ensemble des citoyens de s’y investir et d’y être reconnu.
Ce volontarisme ne doit cependant pas consister simplement à « aller chercher des gens pour les faire entrer dans des CA » ! le monde associatif ne doit pas « reproduire les travers du monde politique qui va chercher son beur de service ». (Philippe Jessu)
Repenser les fonctionnements associatifs
Les associations doivent être conscientes qu’elles sont des lieux de pouvoir, et développer des pratiques pour organiser le renouvellement du pouvoir en leur sein.
Les associations doivent s’interroger : où est la démocratie participative dans leur fonctionnement ? Au-delà des réflexions sur le fonctionnement statutaire, les associations doivent expérimenter de nouveaux modes de participation de leurs parties-prenantes à la définition et la mise en œuvre d’un projet. Elles ne doivent pas considérer la participation aux instances associatives comme une fin en soi, mais s’intéresser plutôt à la manière de construire une capacité d’intervention de chacun dans la conduite des projets.
Développer les liens entre les associations et les autres dynamiques citoyennes
Comment faire le lien entre des associations et des dynamiques émergentes qui ne prennent pas forcément la forme associative et sont éloignées des mouvements plus « installés » ? Faut-il faire adhérer ces mouvements à l’association ?
Les associations devraient penser autrement leur lien avec les mouvements sociaux qui émergent et ne sont pas forcément structurés, notamment ceux issus de la diversité. Plutôt que de susciter l’adhésion, l’assimilation de ces mouvements avec des associations existantes, les responsables associatifs devraient plutôt développer des coopérations souples, afin de respecter l’autonomie et l’indépendance de ces mouvements. Cette question est particulièrement importante concernant les associations locales, de quartier, où la diversité des appartenances est particulièrement présente.
Promouvoir l’empowerment
Mais l’enjeu le plus crucial pour le monde associatif est peut-être d’être l’outil privilégié de la construction d’une capacité de tous les acteurs sociaux d’exprimer leurs besoins, de définir une demande et d’expérimenter des moyens d’y répondre ; mais aussi de participer à la mise en œuvre des politiques publiques correspondantes. Il s’agit d’abord de permettre aux personnes issues de la diversité d’être elles-mêmes actrices de leur émergence dans l’espace public et dans le monde associatif. Il s’agit de leur donner du pouvoir pour qu’elles prennent en charge elles-mêmes leur promotion individuelle et collective, qu’elles mènent leurs projets et participent au développement de leur environnement. L’empowerment passe aussi par la visibilité des dynamiques qui existent et la reconnaissance des acteurs qui les portent comme interlocuteurs. Il existe en effet une part importante d’auto-discrimination venant des personnes elles-mêmes qui, non reconnues, n’osent pas participer aux associations et à l’espace public.
Conclusion
Ainsi, l’idéal à atteindre par les associations semble être de se nourrir des dynamiques issues de la diversité et de les accompagner pour qu’elles puissent occuper la place qu’elles souhaitent prendre dans l’espace public. Les réseaux associatifs pourraient ainsi jouer le rôle de ces « minorités morales » dont parle Albert Bastenier, qui ne placent pas leurs avantages au premier plan et souhaitent l’intégration véritable des minorités ethniques au jeu démocratique, comme une condition d’enrichissement de la vie sociale de tous. L’un des grands enjeux pour le mouvement associatif les prochaines années serait donc, selon Nadia Bellaoui, de « rechercher les alliances dynamiques qui permettent de rompre avec le cycle infernal où l’on instrumentalise le sujet de la diversité ».