Associations et démocratie

Démocratie contributive, de quoi parle-t-on ?

Tribune Fonda N°232 - Démocratie contributive : une renaissance citoyenne - Décembre 2016
La Fonda
Et Grégoire Barbot
Réflexions autour de la crise démocratique et du rôle de la démocratie contributive face à ce défis.
Démocratie contributive, de quoi parle-t-on ?


La situation de crise que nous vivons depuis près d’une décennie touche plusieurs piliers de la société, parmi lesquels les institutions démocratiques et leur fonctionnement. L’idéal démocratique, contesté par de nombreux facteurs, faute de se renouveler et d’évoluer, peine à cimenter la société en jouant pleinement son rôle de contrat social.

Dans ce clair-obscur entre le vieux et le nouveau monde d’où peuvent émerger les monstres qu’évoquait Gramsci, il faut prendre conscience des menaces qui pèsent sur la démocratie. Il faut également prendre la mesure des opportunités de changements ouvertes par cette crise, qui peuvent faire émerger de nouvelles façons de faire ensemble en symbiose avec les valeurs démocratiques essentielles.

Ainsi se dessine, au confluent de plusieurs initiatives et pratiques, un modèle démocratique re-dynamisé, que l’on peut qualifier de démocratie contributive.

D’émergence récente, la notion de démocratie contributive peut-elle être précisée ? Il serait vain de chercher une définition stable et exhaustive de la démocratie : modèle en construction depuis son origine, elle s’enrichit constamment des progrès et évolutions de la société.

La démocratie moderne, protéiforme, se décline sous différentes appellations : la démocratie représentative, qui désigne le mode de fonctionnement traditionnel de nos institutions, où les citoyens élisent leurs représentants ; la démocratie participative, qui regroupe les instances de concertation mises en place par les pouvoirs publics ; la démocratie délibérative, inspirée des travaux de John Rawls et de Jürgen Habermas qui insistent sur la qualité de la prise de décision, fruit d’échanges raisonnés entre individus égaux ; la démocratie d’interpellation, portée par des démarches telles que l’Alliance citoyenne de Grenoble, ou la coordination « Pas sans nous », qui accompagne la structuration d’une parole collective pour permettre à tous d’agir sur leur environnement ; des formes qui insistent sur l’engagement des individus, autour de l’intervention sociale communautaire ou du mouvement des communs.

Ces différentes approches ne segmentent pas la démocratie, mais en présentent des facettes complémentaires, visant à la réalisation effective de l’idéal démocratique.

La notion de démocratie contributive est à considérer dans cette perspective comme un enrichissement de notre compréhension et de notre pratique de la démocratie. Elle permet d’insister sur l’idée d’une démocratie d’initiative partagée, portée par une pluralité d’acteurs.


Les racines de la crise démocratique


Quelles sont les raisons qui nous conduisent à considérer cette notion de « démocratie contributive » en vue de revitaliser notre modèle démocratique ?

À l’heure où la politique semble devoir se soumettre à l’impératif économique, de nombreux citoyens partagent le sentiment que les modalités d’action de leurs représentants, sont entravées par d’autres principes que ceux autour desquels la démocratie a fédéré la société. L’idéal du projet collectif, de l’intérêt général semble s’effacer au profit des lois du marché, ou plutôt de la loi des marchés.

En parallèle, alors que de plus en plus de décisions se prennent à l’échelon européen et international, l’État se trouve confronté à des défis situés au-delà de sa sphère d’action traditionnelle : crise économique, vagues de migrations, réchauffement climatique, rôle croissant du numérique… Ces défis s’inscrivent dans un temps long en décalage avec les mandats des élus. Les institutions peinent à s’ajuster à l’accélération du monde, que cela soit au niveau de leurs moyens et périmètres d’action, de leur rôle ou même simplement par rapport aux attentes de la société.

Tout ceci concourt pour les citoyens à un sentiment de dépossession des enjeux démocratiques. Sentiment renforcé par un regard critique à l’égard de nos représentants, discrédités par un entre soi, de fonctionnement, d’organisation, de renouvellement, qui les éloignent du reste de la société ainsi que de ses problèmes et préoccupations. En 2016, 88% des sondés du baromètre Cevipof de la confiance en politique répondaient par l’affirmative à cette question : « À votre avis, est-ce que les responsables politiques, en général, se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme vous ? »

Avec la crise de défiance envers les institutions, la démocratie moderne, reposant sur l’idée d’une délégation de la souveraineté populaire à des représentants désignés à ce titre par les électeurs est profondément remise en question. Le baromètre Cevipof indique que 67 % des interrogés pensent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout, tandis que les taux d’abstention aux élections sont élevés : 20,52 % au premier tour des élections présidentielles de 2012 ; 39 % d’abstentions au second tour des municipales de 2014 ; 41,59 % au second tour des régionales de 2015…

Repenser le modèle démocratique sans avoir recours aux canaux d’expressions traditionnels risque d’affaiblir davantage encore la légitimité des représentants. Comment maintenir la légitimité d’institutions que l’on désinvestit alors qu’elles ont été pensées comme les seuls espaces possibles d’expression de la démocratie ?


Les défis de la démocratie contributive


La démocratie contributive peut contribuer à restaurer de la confiance dans notre fonctionnement démocratique. Déjà, face à la contestation de la légitimité des élus, avec l’émergence de la politique de la ville et d’outils tels que les conseils citoyens ou les budgets participatifs, des espaces d’implication et de dialogue ont été ouverts , offrant un canal à l’expression de leurs aspirations. La notion de démocratie contributive propose d’approfondir la réflexion sur les liens à bâtir entre les pouvoirs publics et l’ensemble des parties prenantes de la démocratie.

Au-delà de la participation, dont elle tire ses racines, l’enjeu est d’impliquer toutes les parties prenantes d’un territoire ou d’une problématique, de s’appuyer sur leurs ressources, pour identifier des sujets de préoccupation partagés et y répondre collectivement. Cette terminologie vise à reconnaître la légitimité de la société civile à penser et mettre en action des solutions à ses problèmes. Chaque acteur, individu ou organisation, tout en étant un maillon de la chaîne, peut agir, en lien avec les autres maillons, et avoir un impact sur son quotidien. Cette implication se doit d’être la plus large possible et de fédérer l’ensemble des acteurs à l’échelle d’un territoire derrière le développement d’un projet.

Cependant, la démocratie contributive, outil de renouveau démocratique, centrée sur l’idée d’action partagée et pluri-acteurs, porte en elle une série de défis et suppose des adaptations.

En premier lieu, elle interroge directement la notion d’intérêt général : si l’État et sa puissance régulatrice ne sont plus reconnus comme l’unique garant du contrat social, comment composer une société cohérente et homogène ? Une autre limite de la démocratie contributive est liée son échelle : pour être effective, elle demande un territoire précis, voire restreint, afin de permettre l’implication – et pas seulement la consultation – de tous. Mais qu’en est-il à une échelle plus importante ? Qui serait en mesure de faire vivre un projet de société qui ne soit pas uniquement l’agrégat de multiples démocraties locales ?

Dans le cas où les acteurs publics ne sont plus seuls décisionnaires, où la responsabilité de la décision est partagée et le rôle des élus repensé, comment s’assurer que les décisions démocratiques ne servent pas l’intérêt de groupes privés ou d’intérêts particuliers, ou encore qu’elles se retrouvent soumises aux injonctions éphémères d’une opinion volatile ? L’accompagnement devient alors un enjeu essentiel, pour s’assurer d’une part que tous puissent prendre part aux instances délibératives, et d’autre part qu’ils disposent de tous les moyens pour assumer pleinement leur rôle.

Un collectif peut se doter d’organes de régulation, qu’il définira lui-même, mais qui légitimera son action d’un point de vue extérieur ? Qui sera en mesure de sanctionner les éventuelles dérives ? La réflexion sur la démocratie contributive rejoint alors celle sur les communs et le modèle de gestion originale qu’il propose . Ce changement de fonctionnement de la démocratie invite à repenser le rôle des acteurs traditionnels, notamment les élus, en les considérant davantage comme des médiateurs. Or ce changement de posture n’est pas simple à opérer, et suppose un changement de mentalité, une formation ainsi qu’un mode opératoire qui exigera beaucoup de temps avant d’être effectif.

Comment préserver la légitimité des institutions, qui peuvent ainsi se trouver contestées ? Comment sensibiliser les élus à cette évolution de leur posture ? Dans le même temps, comment garantir la légitimité des collectifs qui prennent part aux décisions ? Enfin, comment s’assurer que les pouvoirs publics restent garants de la décision finale ?

Le numérique accompagne cette transition institutionnelle, en permettant notamment la consultation rapide et massive de tous. Là où la concertation classique demande un processus long et complexe, le numérique permet de fluidifier l’expression démocratique et de diminuer le nombre d’échelons intermédiaires entre les personnes consultées et les instances décisionnaires. Certaines de ces technologies existent déjà : plateforme de budget participatif, outils de votes en ligne, interpellation politique en ligne etc. Ces outils peuvent considérablement changer le paysage démocratique et questionner le rôle de l’État , le projet de loi sur la République numérique de 2016 en étant une illustration.

Il ne faut cependant pas se limiter à une réflexion sur les outils. Si le but n’est pas pensé en amont de l’utilisation, s’il n’y a pas de formation ni d’accompagnement, si les outils ne sont pas mis au service d’un projet clairement identifié et partagé, leur puissance transformatrice se réduira à rien, voire peut desservir l’objectif initial. Le numérique doit ainsi faire l’objet d’un accompagnement dans ces démarches, tant pour lutter contre les effets d’exclusion induits par la fracture numérique que pour répondre aux questions de protection des données.

C’est lors de crises que naissent des opportunités pour améliorer nos sociétés. Leurs chemins sont tortueux et peuvent, par manque de vigilance, accoucher de monstres. Il nous appartient donc à tous, acteurs de la société civile, en lien avec les acteurs publics, de construire l’avenir de nos démocraties. Elles ne peuvent plus être dans les mains de la seule élite politique ni se décréter d’en haut, mais doivent se vivre à tous les niveaux de la société afin d’irriguer l’ensemble du corps social. Au-delà de la situation de crise, la notion de démocratie contributive ouvre la voie à une solution porteuse d’avenir.


Comité éditorial de la revue La tribune fonda n°232

 

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